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dimanche 26 avril 2020

Les orphelins du parti travailliste israélien



LES ORPHELINS DU PARTI TRAVAILLISTE ISRAÉLIEN

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
Liste Avoda-Meretz aux élections de 2020
   
          Les résultats décevants du parti travailliste aux dernières élections du 2 mars 2020, seulement 3 députés élus, et la décision de leur chef de rejoindre un gouvernement de coalition avec Benny Gantz, ont été reçus comme un coup de tonnerre par les membres du parti. C’est effectivement un drame pour de nombreux militants qui se trouvent tout à coup orphelins de leur structure politique. Les historiens auront à se pencher avec détail sur les raisons qui ont poussé les électeurs à bouder le parti historique qui a fondé l’État et qui l’a dirigé de manière continue de 1948 à 1977. Trois campagnes militaires victorieuses ont émaillé cette période, la campagne de Suez de 1956, la Guerre de Six-jours de 1967 et la guerre de Kippour de 1973 et jamais, les Travaillistes n’avaient subi de revers permettant de remettre en cause leur gouvernance.



            Même les militants historiques sont dans le désarroi ne sachant quelle attitude adopter, rester au parti pour attendre des jours meilleurs ou le quitter pour aller vers d’autres cieux plus actifs. De ce point de vue, la déclaration dramatique de l’ancien ambassadeur Daniel Shek illustre le dilemme : «Depuis près de cinquante ans, je suis électeur du parti travailliste et membre actif pour la plupart de ceux-ci, tout comme l'était mon défunt père avant moi. Ça n'a pas toujours été une balade de plaisir… Je quitte donc le parti aujourd'hui, en espérant trouver un foyer politique avec des fondements idéologiques non complètement dévorés par le cynisme politique. Souhaitez-moi bonne chance, car j'aime ce pays». Les  capitaines quittent le navire en pleine perdition.
            Depuis de long mois, le parti était dans la déprime à tel point que Netanyahou a voulu l’exploiter pour en abuser. Quelques jours avant de signer avec Benny Gantz, cela explique son hésitation des derniers jours, il avait proposé cinq portefeuilles ministériels aux Travaillistes pour le rejoindre afin de combler les 3 sièges qui lui manquaient pour boucler sa coalition gouvernementale. Pour Amir Peretz ce fut une fin de non-recevoir digne, même si la question de l’avenir du parti se posait. Il ne lui restait que la solution de se saborder pour laisser ses militants libres de rejoindre soit Kahol-Lavan, soit Meretz. Cette solution est loin de satisfaire la majorité des militants d’un parti structuré qui regorge encore de cadres locaux. Le leader du parti travailliste a finalement annoncé sa fusion avec la coalition Bleu-Blanc, ce qui devrait signifier que le parti travailliste sera dissout. Cette solution va finir de briser définitivement le parti.

Peretz-Gantz à la Knesset

            On assiste véritablement à la fin d’une époque et de celle du sionisme socialiste qui avait pris naissance aux origines de la création de l’État d’Israël. Le parti de Golda Meïr, d’Yitzhak Rabin, de Shimon Pères et d’Ehud Barak, avait remporté l’ensemble des élections législatives jusqu’en 1977, défait par le Likoud de Menahem Begin. Depuis cet échec, sa domination historique dans le paysage politique s’est effritée au fil des élections en raison de ses options politiques et de son idéologie.
            Les faibles résultats des accords d’Oslo de 1993, votés à une majorité d’une voix grâce à la trahison d’un député de droite, ont poussé les Israéliens à ne plus croire en la capacité des Travaillistes à organiser la paix. Les accords, entachés par deux Intifada sous les régimes travaillistes, ont fini par enlever toutes les illusions. Le parti était resté attaché à la solution à deux États à laquelle ne croyaient plus les Israéliens, face aux nombreux attentats et à l’intransigeance des dirigeants palestiniens. Ce refus de deux États et ses erreurs de stratégies ont entraîné un basculement progressif de l’opinion publique vers la droite. 
          Le parti a souffert certes d’une droitisation du sionisme historique mais surtout de l’ancrage du libéralisme économique au sein de la société israélienne, faisant perdre aux idéologies, de droite comme de gauche, la clarté dans le débat publique. Les Travaillistes ont refusé de prendre une position claire sur les options politiques fondamentales pour ménager ce qui leur restait de militants.
Avi Gabbay
           
            Croyant trouver la recette pour enrayer leur perte de vitesse, les militants n’avaient rien trouvé de mieux que de faire appel à un séfarade social-libéral, Avi Gabbay, millionnaire d’origine marocaine qui avait choisi la voie du centrisme pour assurer un équilibre interne. Mais il s’était vite décrédibilisé en acceptant de faire des concessions à ses rivaux politiques.
            Le parti a alors subi une baisse graduelle du nombre de sièges : 56 sièges en 1969, 32 en 1977, 13 en 2009 et 24 sièges en 2015 dans le cadre d’une alliance Union sioniste, enfin 5 en 2020. Cette érosion s’explique et s’analyse. Jusqu’à la guerre de Six-Jours, le patriotisme aidant, le camp travailliste n’a souffert d’aucune perte de soutien. Mais l’électorat du parti était constitué en majorité de citoyens aisés, ashkénazes et plutôt sécularisés.
            La campagne électorale de 1977 a été une révélation pour l’électorat oriental qui a manifesté sa désapprobation dans les urnes. Les Orientaux ressassaient cela depuis leur arrivée dans les années 1960 et leur mise à l’écart des postes importants. Ils ont ouvertement accusé les pères fondateurs d’Israël de faire preuve de discriminations à leur égard. Menahem Begin et plus tard Benjamin Netanyahou ont su capter à leur profit la rancœur de cette classe politique. Les éléments défavorisés de la population attachés à leur judéité, et paradoxalement au libéralisme économique, ont donné 43 sièges au Likoud qui, dans une véritable révolution politique, a mis fin à la domination historique des Travaillistes, alors empêtrés dans des scandales de corruption. En 1996, Ehud Barak avait tenté d’effacer l’image d’un parti élitiste et anti-orientaux mais le clivage entre les séfarades, la moitié de la population juive, et ashkénazes était bien ancré dans les esprits.
            Les élections de 2015 ont confirmé cette évolution. La ville de Sdérot, symbole des Orientaux, dont le maire était Amir Peretz, a voté à 7% pour les Travaillistes malgré les missiles qu’elle recevait en permanence et à 43 % de ses 22.000 habitants pour le Likoud. La présence d’Avi Gabbay, dont les parents venaient du Maroc, n’a rien fait pour atténuer la débâcle.
Ben Gourion-Golda Meir

            Les Travaillistes n’ont par ailleurs rien appris de Ben Gourion qui, tout au long de ses mandats, a toujours soigné l’électorat arabe, en l’intégrant même dans son gouvernement. Ils ont singé les dirigeants du Likoud dans leur haine de la minorité. Les Arabes, qui représentent 21% de la population, ont subi les mêmes discriminations que les immigrants orientaux. Alors que dans les premières années de l’État d’Israël, les Arabes étaient de véritables partenaires, ils se sont éloignés des Travaillistes pour donner paradoxalement, par dépit, 30% de leurs voix au Likoud.  Les statistiques ne se trompent pas dans les villages arabes. Les Travaillistes ont perdu au moins 4 députés qui auraient pu être élus avec les voix arabes.  
            Dans une étude publiée par Israel Democracy Institute en 2016, 91% des Arabes israéliens sondés se disaient ainsi victimes de discriminations, notamment sur le marché de l’emploi, dans les aides sociales accordées par l’État et dans leur vie quotidienne. Malgré les progrès visibles de leur intégration économique et sociale au fil des années, le sentiment d’être des citoyens de seconde classe persiste, dernièrement cristallisé par la loi sur l’État-nation juif de juillet 2018. En faisant d’Israël «l’État-nation du peuple juif» et en faisant de l’hébreu la langue officielle du pays, ce texte a été perçu comme le parachèvement d’une hostilité grandissante envers la population arabe. Pourtant, la société israélienne, avec 40 % de laïcs, 20 % de nationaux-religieux, 20 % d’orthodoxes et 20 % d’Arabes israéliens, avait réussi à donner un sentiment d’unité nationale.
Famille Madjala


            La crise du coronavirus a réveillé les esprits pour réaliser le véritable apport arabe à la communauté israélienne. Dans cette famille d'Arabes israéliens totalement intégrée, les Madjala du village de Baka al-Garbiyeh au Centre d'Israël, cinq d'entre eux sont médecins et leur patriarche, le Dr Riad Madjal, a 63 ans. Ils ont lutté au quotidien, en premières lignes contre le Coronavirus, côte à côte avec leurs collègues juifs israéliens, dans les centres hospitaliers du pays. Les Travaillistes avaient peu fait pour mettre en évidence la lacune de les voir écartés des cadres du pays.
            Le parti travailliste vient d’entrer dans l’Histoire, totalement laminé mais la dernière des Mohicans, la députée Merav Michaeli, veut continuer à y croire. Elle a décidé de poursuivre le combat, seule, et de maintenir toujours allumée la flamme historique d’un passé glorieux. C’est véritablement courageux de sa part.


2 commentaires:

Albert LEZMY a dit…

Qu’il y ait une droitisation de la société israélienne, c’est un fait.
Mais de tout temps, les électeurs suivent avant tout beaucoup plus un leader plutôt que le parti qu’il incarne.
Sans paraître blessant, la majorité des électeurs ne font pas vraiment la différence entre des idées de gauche, droite, libérales, ou pas. L’électeur souhaite un candidat qui les représente bien, ait une personnalité et en qui ils puissent s’identifier.
Bibi les comble puisque parmi les points positifs que retrouvons nous le plus souvent ? Il a tenu tête à Obama, il fait de beaux discours en anglais, il a une stature internationale..
Lorsque Gantz est entré en politique, il a connu de suite un engouement auréolé de son prestige de chef d’état major et avec une prestance équivalente à celle de Bibi.
Et à gauche ? Qui a-t-on eu depuis 20 ans ?
Dès Herzog à la voix tramblotantes et nasillardes, des Amir Peretz à la moustache stalinienne ou encore un parvenu comme Gabaï ?
Quel que soit le fond des idées sociales de la gauche, de ses qualité et de son histoire, elle ne s’est pas rendue compte que nous vivions à l’époque de l’image, des réseaux sociaux, et plus à l’époque de la photo en noir et blanc..
Où sont les Rabin, Golda Meir, Dayan, Ben Gurion, Shimon Pères ?
À la place, il y a d’obscurs idéologistes, et encore pas toujours, incapables de se renouveler et dont les électeurs sont bien incapables de s’y incarner..
rien d’étonnant à ce que ce parti disparaisse, suivant en cela la même trajectoire que le Parti socialiste français qui a sombré exactement pour les mêmes raisons..

Anonyme a dit…

🥵je crois que mon voyage en Israël ne se réalisera plus jamais😓je garderai ce souvenir , ma photo avec Shimon Pères , ici avec mes espoirs perdus … les Israéliens au pouvoir n’ont pas construit ce pays… la religion a pris le pas sur l’Amour et les espoirs de ce pays, Israel🥶Andree DEBoRDE