MYSTÈRES SUR L’ÉLIMINATION D’UN CHEF DU HEZBOLLAH
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Mohamed Ali Younès |
Le coronavirus a placé au second plan l’élimination,
le 4 avril 2020, d’un chef du Hezbollah au Liban-Sud. L’information a été noyée
dans le flot des nouvelles sanitaires et économiques. Le Hezbollah n’a donné
aucune explication officielle sur les circonstances, non élucidées, de cet assassinat
en plein jour qui concerne pourtant une grande figure de la milice. Mohamed Ali
Younes, originaire de Jibchit (caza de Nabatiyé), était un dirigeant discret en
raison de ses fonctions particulières. Son équipe était chargée au Liban de
traquer les «collaborateurs» d’Israël, les anciens et les nouveaux, et
même ceux qui faisaient partie jadis des rebelles de l’ALS (Armée du Liban-Sud) soutenus par Israël. Il était par ailleurs chargé de la collecte d’informations
militaires.
Liban-Sud |
Mohamed Ali Younes a été retrouvé mort dans sa propre
voiture criblée de balles et blessé au couteau, sur la route reliant Qaaqaiyet el-Jisr à Zaoutar el-Gharbiyé. Le Hezbollah a immédiatement imposé le silence
total sur l’affaire mais un détail ne trompe pas, il a annoncé sa mort «en
martyr» ce qui signifie que sa mort serait intervenue dans l’exercice «de
ses fonctions».
Des révélations ont été faites par un habitant de la région sur
le déroulement de l’enquête qui met en évidence un personnage mystérieux. En effet, Ali Younes n’était pas seul dans sa voiture au moment de l’attaque. Malgré des
blessures au couteau, il semblerait que le passager fasse l’objet d’un interrogatoire
serré car il s’agit d’un personnage-clef. On ignore s’il est le meurtrier ou
alors le complice des assassins. Mais il aurait précisé que leur voiture avait
été prise dans une course poursuite avec un autre véhicule, sans autre détail.
Commando Tsahal |
Plusieurs thèses ont été avancées sur les commanditaires
du meurtre. Comme on ne prête qu’aux riches, la première thèse implique le Mossad qui
aurait héliporté un de ses commandos d’élite pour mettre fin à la menace de ce
cadre du Hezbollah. Le passager de la voiture aurait été épargné car il n’était
pas une cible désignée de Tsahal, à moins qu’il n’ait été un informateur. Le modus
operandi reste effectivement dans les normes israéliennes : renseignements
précis, action rapide sans bavure, peu de traces laissées sur le terrain par le
commando. Il fallait mettre fin à la mission de Younes contre les «collaborateurs».
Il s’agissait aussi de désorganiser le Hezbollah au Sud-Liban en frappant à une tête
importante.
Trump et Fakhoury |
Une deuxième
thèse concernerait une vengeance à la suite de la relaxe de l’ancien bourreau
de la prison de Khiam, Amer Fakhoury, et de l’assassinat d’un ses anciens
adjoints Antoine Hayeck, propriétaire d’une boutique dans le village de Miyé
Miyé. Le libano-américain Amer Fakhoury, 57 ans, avait été libéré et renvoyé
aux États-Unis. Il avait été accusé d'avoir supervisé la torture de Libanais
dans une prison du sud du Liban dans les années 1980 et 1990 alors qu'il
faisait partie d'une milice soutenue par Israël pendant l'occupation
israélienne. Sa libération avait suscité les critiques des médias et des politiciens
locaux. Le Hezbollah avait dénoncé la libération de Fakhoury en la qualifiant d'ingérence
flagrante des États-Unis dans les affaires du Liban. L’assassinat
d’Antoine Hayek par le Hezbollah
dans son épicerie était aussi lié à son appartenance à la milice libanaise
soutenue par Israël.
La
troisième thèse porterait sur des querelles internes pour traiter des questions
épineuses de corruption financière. En effet, Younes a été assassiné dans une
zone entièrement sous contrôle du Hezbollah qui prétend que la victime a été
prise en embuscade par des assassins qui sont montés à bord de trois voitures.
Il exclut que quiconque, même le Mossad, puisse organiser une embuscade à une
figure éminente de la milice dans cet endroit libanais, sachant que le Hezbollah
détient tous les détails de quiconque entre et sort de la région. Le fait que le
commandant du Hezbollah ait été abattu et poignardé avec un couteau donne
crédit à la thèse d’un crime de vengeance.
Mais le Hezbollah a pleuré Younes en le traitant de «martyr», suggérant que son
assassinat était lié à la nature de son travail au sein du parti. En fait,
l'assassinat pourrait révéler l'existence d'accords lucratifs impliquant certains membres
du parti et les membres de leur famille, qui montraient des signes
ostentatoires de richesse soudaine. D’ailleurs, le Hezbollah, comme d'autres partis
libanais, notamment le mouvement Amal, souffre de conflits internes et de
différends concernant le fait de bénéficier de certains avantages.
photos d'anciens détenus à l'entrée de l'ancienne prison de Khiam à la frontière israélo-libanaise |
Le
Hezbollah a toujours utilisé l'assassinat de certains de ses cadres pour se
faire passer pour une cible constante des services de renseignement israéliens. Il élimine les gêneurs et soigne sa réputation qui renforce le stock de sympathie dont il jouit dans ses
bastions de la banlieue sud de Beyrouth, de la vallée de la Bekaa et du sud. L'assassinat
de Younes est survenu après que la loyauté des partisans du parti a été mise à
l'épreuve et ébranlée par le scandale al-Fakhouri, car ils ont eu du mal à
croire que la libération de ce dernier avait eu lieu sans l'approbation du
Hezbollah, même implicitement, sachant très bien que le parti contrôle tous les
détails des décisions de l'État et de ses organes, en particulier dans les
questions liées à la sécurité.
En
attendant que le passager, dont on tait soigneusement le nom, révèle tous ses
secrets, il faudra donc se contenter de suppositions, jusqu’à ce que l’enquête
fasse la lumière sur cet assassinat.
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