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samedi 4 avril 2020

Le rôle réel de la Russie au Moyen-Orient


LE RÔLE RÉEL DE LA RUSSIE AU MOYEN-ORIENT

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
       

          Sous ses allures de tacticien glacial, Vladimir Poutine n’a d’autre but politique que de combler les vides au Moyen-Orient pour renforcer la position mondiale de la Russie dont les Occidentaux ont sous-évalué les capacités réelles. D’habile perturbateur voué à des actions révolutionnaires d’un autre temps, Poutine a évolué. Il a prouvé qu’il avait une stratégie élaborée et expansionniste qui tendait à se positionner là où l’Occident a échoué. Alors que la superpuissance soviétique, dotée d’une idéologie communiste, était redoutée par le monde, les années post-soviétiques ont endormi l’attention des Occidentaux, rassurés par les problèmes économiques de la Russie, par ses rivalités internes ethniques et par ses échecs répétés. Ils étaient surtout rassurés car elle avait d’autres chats à fouetter que de se préoccuper du monde extérieur.




            Le président Obama avait visé juste en qualifiant la Russie de «puissance régionale qui menace certains de ses voisins immédiats non par force mais par faiblesse. Nous, les États-Unis, avons une influence considérable sur nos voisins. Nous n'avons généralement pas besoin de les envahir pour avoir une relation de coopération solide avec eux». Si certes Obama avait compris que Poutine cherchait à restaurer le prestige de la Russie depuis l’effondrement de l’Union soviétique et de faire de Moscou un acteur fort sur la scène internationale, il ne considérait pas la Russie comme une menace sécuritaire directe; ce fut son erreur. 
       La crise ukrainienne a entraîné une réévaluation des relations des États-Unis avec la Russie, qui ne visaient pas à relancer la guerre froide, mais plutôt à utiliser la force des alliances internationales pour isoler la Russie et renforcer l'engagement de l'OTAN à défendre ses alliés près des frontières russes. L’ancien Gouverneur républicain du Massachusetts Mitt Romney, avait vu juste en déclarant que la Russie était un ennemi géopolitique américain de premier plan.
            Obama avait tout faux ; il était tombé dans le piège russe car l’intervention de Poutine en Syrie et l'utilisation accrue de la cyberguerre pour saper les démocraties occidentales ont prouvé ses fausses interprétations du pouvoir réel de la Russie.  Au fil du temps et malgré sa faiblesse économique, Moscou était devenu le vrai rival politique marchant sur les plate-bandes américaines. Les États-Unis pensaient que Poutine n’avait pas les moyens économiques pour améliorer ses capacités militaires or il a eu le temps de développer des armes de pointe car il avait annoncé : «Nous protéger de manière fiable la Russie et nos concitoyens contre les menaces extérieures et intérieures, d'anticiper clairement les risques et défis potentiels et d'améliorer leurs performances progressivement et régulièrement. Notre armée et notre marine ont prouvé leur grande disponibilité, mais nous avons l'intention de renforcer nos capacités de défense et de déployer des armes hypersoniques, laser et autres armes de pointe qu'aucun autre pays ne possède. Cependant, ce n'est pas une raison pour menacer qui que ce soit».


            La décision en 2002 des États-Unis de quitter le Traité sur les missiles balistiques avait ouvert la voie à une course aux armements et donné l’occasion au Pentagone d’installer divers intercepteurs de missiles à travers le monde. Mais cela avait aussi permis à Poutine de développer une gamme d'armes révolutionnaires. Son nouvel arsenal comprend le missile balistique intercontinental RS-28 Sarmat ainsi que le véhicule de glissement hypersonique Avangard qui était censé être capable de fournir l'ICBM à des vitesses supérieures à 20 fois la vitesse du son. Également dans le domaine hypersonique se trouvait le missile balistique à lancement aérien Kh-47M2 Kinzhal et le missile de croisière lancé en mer 3M22 Zircon. Toutes ces armes - ainsi que le nouveau drone torpilleur sous-marin Poséidon, le missile de croisière à propulsion nucléaire 9M730 Burevestnik et le système laser Peresvet – sont susceptibles d’être invincibles contre les défenses principales et même potentielles.
            Certes la Russie est sur le papier une puissance en déclin et seulement 11ème économie mondiale, mais elle a réussi à se surpasser. L'annexion de la Crimée et la guerre dans l'est de l'Ukraine ont aggravé la politique d'isolement mais ont poussé Poutine à révolutionner sa politique étrangère malgré les sanctions américaines et la baisse des prix du pétrole.  
            Il est difficile de juger de la finalité de la politique russe au Moyen-Orient. Poutine ne poursuit pas des objectifs économiques malgré ses contrats juteux avec l’Egypte et les pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe). Il cherche à s’élever au rang de puissance mondiale. C’était le pari, d’ailleurs gagné, de la guerre en Syrie et du soutien à l’Iran sur le terrain. Il a réussi à devenir le médiateur politique incontournable en Syrie sans chercher à rétablir la transition démocratique. En s’installant dans la région de Lattaquié, il a mis les fondements d’un statut de courtier énergétique mondial.
          Par opportunisme, il s'est allié à Israël pour briser son isolement diplomatique et a donné l'impression qu'il approuvait sa politique contre l'Iran. Il en a profité pour devenir un joueur tactique neutre au milieu d'une situation chaotique au Moyen-Orient. Avec la Syrie et la Libye en crise et le désengagement américain, l'Arabie saoudite et l'Iran avaient besoin de diversifier leurs relations pour s'offrir à la Russie. 

          Poutine n’a eu aucun complexe à se rapprocher des régimes féodaux et despotiques de la région contrairement aux Occidentaux soumis à une éthique nationale. Il veut être pragmatique pour se montrer plus impartial que les Etats-Unis qui se limitent à des liens étroits avec l'Arabie saoudite et Israël alors que lui intervient et arbitre tout azimut. La Russie traite avec toutes les parties. Moscou veut devenir une puissance qui s’installe et agit là où l’Occident a échoué afin de renforcer sa position mondiale et de compenser ses relations rompues avec l'Occident. Quand les Occidentaux se réveilleront...

1 commentaire:

Harry NUSSBAUM a dit…

Il est intéressant de lire les mémoires tout justes sortis de Gérard Araud, il y a peu ambassadeur de France à Washington. Selon lui, au-delà de l’abime qui les différencie, Obama et Trump ont exprimé et expriment une tendence profonde de l’opinion publique US qui consiste à se désengager du monde extérieur, à renoncer à jouer les gendarmes du monde et à se concentrer sur le « America first », voire « America only ». Ca expliquerait les abandons par les USA de la Syrie, de la Crimée, de l’Afghanistan et leur distanciation vis-à-vis de l’Europe et de l’OTAN.