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lundi 21 octobre 2019

Intifada fiscale au Liban


INTIFADA FISCALE AU LIBAN

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
       

           Au Liban, des manifestations de ras-le-bol ont lieu dans toutes les villes. La colère contre la situation économique s’exprime dans la rue de manière violente avec des incendies. Les manifestants ne réclament pas moins que la chute du régime. Tout est parti d’une simple taxe sur les communications via les applications WhatsApp que le ministre des Télécommunications, Mohammad Choucair, a dû retirer en catastrophe. Cette taxe constituait un trop-plein pour la population qui souffre d’une aggravation de la situation économique.



            Si les manifestations ont débuté à Beyrouth, elles se sont rapidement propagées à l’ensemble du pays. Des manifestations ont eu lieu à Saïda et Tyr au Sud, à Taal Abaya et Masnaa dans la Bekaa. Jounié et Zouk au Kesrouan, où l’autoroute a été coupée. Le tunnel de Salim Salam a été fermé par des pneus brûlés. Tripoli a offert le même spectacle peu après, ainsi que Chtaura dans la Bekaa. Bref, un soulèvement sur l’ensemble du pays. Le mouvement a même atteint des localités éloignées, comme Rachaya ou Brital dans la Bekaa, par exemple, ou encore Zghorta, dans le Nord.

            La situation était tendue du côté de Jeita, où des manifestants ont barré la route en incinérant des pneus. Des témoins ont également rapporté des incidents similaires à Zouk Mosbeh et Achout. En soirée, deux pick-up chargés de pneus apportaient du ravitaillement aux manifestants, signe que le mouvement de protestation ne semble pas prêt de s’essouffler. Dans toute la banlieue de Beyrouth et au centre, les manifestants ont brandi des drapeaux libanais, chanté l'hymne national et réclamé la chute du régime. Ils accusent la classe politique de corruption et d'affairisme alors que les infrastructures sont en déliquescence et que le coût de la vie a augmenté de manière notable. Les manifestants n’ont trouvé que ce moyen radical pour espérer un changement. L’excuse de la nouvelle taxe ne tient pas.


            Le centre-ville de Beyrouth sombrait dans la violence avec des routes coupées par des bennes incendiées. Mais les habitants précisent qu’il s’agit de manifestations bon enfant car aucune voiture n’a été incendiée, mais ils espèrent que cela réveillera les politiques chargés de redresser le pays. Des casseurs s’étaient réunis à côté de la grande mosquée Mohammad al-Amine mais ils ne sont s’en pris qu’aux panneaux publicitaires des produits de luxe. Des dizaines d’hommes en mobylettes bloquaient l’avenue Béchara el-Khoury menant au centre-ville mais ils n’ont attaqué ni police et ni l’armée en état d’alerte. Les manifestants voulaient exprimer, par cette manière, un ras-le-bol et surtout un désespoir profond sachant que les perspectives d’avenir semblent bouchées.

            Si le peuple réclame un changement de régime, nul n’est capable de préciser par quel gouvernement de substitution il doit être remplacé. Fait exceptionnel, malgré les désagréments, la population soutient les manifestants ; c’est dire combien est grand l’espoir de changement. Mais toucher à ce qui permet de communiquer a été une grave erreur qui a d’ailleurs été vite réparée.

Michel Aoun au palais présidentiel

            La situation était également tendue au Liban-sud où des civils s’en sont pris à plusieurs responsables Amal et Hezbollah, à Nabatiyeh. Des manifestants ont défoncé la porte des députés d'Amal, Hani Qobeissi et Yassine Jaber, mais ils n’ont occasionné que des dégâts matériels. Face à la gravité de la situation, le président de la République, Michel Aoun, a organisé en urgence une réunion du gouvernement au palais de Baabda.
            Le ministre de l’Éducation Akram Chehayeb a, pour sa part, décrété, le 17 octobre, la fermeture des écoles publiques et privées, ainsi que les universités. Par mesure de sécurité, l'Association des banques du Liban a également annoncé la fermeture des banques. Les  employés du secteur public ont annoncé une grève générale dans toutes les administrations publiques «en raison du bouillonnement populaire dans le pays, et pour protester contre toutes les réformes proposées et qui portent atteinte aux droits des employés et des retraités en particulier, et aux citoyens en général, et afin de permettre aux employés de participer aux manifestations populaires et d'exprimer leur opinion, la ligue annonce la grève générale du vendredi 18 octobre 2019 dans toutes les administrations publiques».
Akram Chehayeb

            Mais la suppression de la nouvelle taxe ne parvient pas à apaiser la colère des manifestants face à l'austérité et à la décadence. Ils s’élèvent contre les prix du carburant, de la nourriture et du pain. Les manifestants forment un peuple uni contre l’État et ils veulent qu’il s’effondre. La situation est tellement tendue qu’un membre de l’équipe de sécurité du ministre Akram Chehayeb a ouvert le feu sur des manifestants alors qu'ils tentaient de bloquer la route traversée par un convoi dans le centre de Beyrouth.
            Le Liban subit des crises environnementales, une croissance économique catastrophique, un chômage croissant, des infrastructures en ruine et une pression croissante sur la monnaie et le système bancaire du pays. Des incendies de forêt se sont propagés dans tout le pays, mais aucun hélicoptère d'urgence n'a été disponible pour les éteindre car ils n'avaient pas été réparés depuis plusieurs années. Le gouvernement a proposé des mesures d'austérité et des hausses d'impôts pour équilibrer le budget du pays, alors que les citoyens accusent les politiciens de corruption et de mauvaise gestion.
            À l’origine des mouvements de colère, un manque de liquidités en dollars américains qui menace plusieurs secteurs vitaux, notamment ceux de l’importation de blé, de médicaments et de carburant entraînant une ruée des citoyens vers les stations-service.
            La crise économique est grave, cause d'un malaise social aigu. A rappeler le suicide spectaculaire par immolation de Georges Zreik, le 7 février dernier, devant l’école de sa fille, au nord du Liban, à cause de difficultés financières. Le Liban avait été jusque-là épargné par la crise économique mondiale et enregistrait des taux de croissance élevés. Mais la situation économique et sociale s’est considérablement dégradée depuis le début de la guerre en Syrie, en 2011.
Georges Zreik

            Tous les indicateurs sont dans le rouge. La dette publique du Liban, de 50 milliards de dollars, culmine à 141% du PIB, l'un des taux les plus élevés à l'échelle mondiale. Le déficit budgétaire se creuse ; les touristes en provenance des pays du Golfe, qui représentaient le gros du contingent, se font rares. Les investissements baissent. Le chômage augmente : le président de la République, Michel Aoun, a précisé que 46% de la population active était sans emploi. L’économie est en sursis. 36% des ménages vivent dans la pauvreté et sont incapables de subvenir à leurs besoins élémentaires. La situation s’est aggravée, à cause de la présence des réfugiés syriens et des sanctions américaines contre le Hezbollah, qui entravent le développement du secteur bancaire, considéré comme la locomotive de l’économie.
            Les Libanais n’entrevoient aucune perspective et cela augmente leur désespoir. Ils pensent que tout changement est impossible et jugent à présent inefficace le système politique fondé sur une répartition confessionnelle entre musulmans et chrétiens des fonctions publiques et politiques.  Ce système est verrouillé par les grands partis. D’ailleurs les dernières élections législatives, en mai 2018, n’ont pas permis une percée des candidats de la société civile, qui proposaient un programme articulé autour du développement économique. L’État est lui-même confronté à de graves difficultés. Ses besoins sont financés par l’endettement. Une lueur d’espoir a pointé, en avril dernier, lorsque les bailleurs de fonds internationaux réunis à Paris ont consenti 11 milliards de dollars de prêts pour financer de vastes projets d’infrastructures, dans l’espoir que ces chantiers relanceraient l’économie. Mais les querelles politiques ont fait perdre au pays un temps précieux et ce n’est que le 31 janvier qu’un nouveau gouvernement a été formé, après neuf mois d’attente.
Saad Hariri

            La taxe WhatsApp n'a été que l'étincelle qui a mis le feu à une situation plus profonde. Une classe politique corrompue et incompétente a entraîné le pays vers le bas et créé un dysfonctionnement total. Le gouvernement, qui comprend la quasi-totalité des principaux partis libanais, s'efforce de mettre en œuvre des réformes retardées qui sont considérées comme plus vitales que jamais pour commencer à résoudre la crise que le journal libanais an-Nahar a décrite comme «une intifada fiscale» qui ébranle le gouvernement d'union du Premier ministre Saad al-Hariri. Le Liban a échappé aux "printemps arabes" mais il en détient tous les symptômes.


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