L’ENGOUEMENT DES SÉFARADES POUR
LES ORTHODOXES ASHKENAZES
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Synagogue Petah Tikva de Montréal |
Pour un séfarade convaincu, il est difficile d’admettre que d’autres renoncent à leurs racines pour rejoindre le camp ashkénaze. Or de manière flagrante, les religieux orientaux ont rejoint en masse le courant ashkénaze, à la fois en ce qui concerne ceux qui vivent en Israël mais aussi et surtout, ceux qui font partie de la diaspora française et canadienne.
Orthodoxes à Jérusalem |
Un jeune rabbin de Montréal, dont les parents sont
d’authentiques tunisiens et dont les fidèles sont originaires du Maroc, justifiait
ainsi sa mutation vers le monde des hommes en noir. Il estime que depuis une
soixantaine d’années, la communauté séfarade souffre de l’absence de penseurs
inégalés, en capacité de produire des textes personnels innovants et fondateurs. Il faut avouer qu'il s'agissait de la seule explication plausible qu'il était donné d'entendre. Manitou, Léon Ashkenazi, a certes fait redécouvrir la pensée juive à toute une génération mais il a rapporté les cours qu'il a suivis à la Yeshiva du Rav Yehouda Kook et du Rav Shlomo Binyamin Ashlag. Il n'a pas écrit de textes fondateurs qui fassent autorité.
La plupart des rabbins se bornent à s’inspirer des écrits et des commentaires du passé. Même le rabbin Ovadia Yossef, qui était une encyclopédie vivante capable de réciter par cœur des textes entiers, n’a produit aucun texte fondateur. Or la nouvelle génération des jeunes religieux est plus exigeante et a besoin de réfléchir sur de nouvelles thèses parce qu’elle éprouve le besoin d’être guidée face à l’évolution du monde et de la société juive.
La plupart des rabbins se bornent à s’inspirer des écrits et des commentaires du passé. Même le rabbin Ovadia Yossef, qui était une encyclopédie vivante capable de réciter par cœur des textes entiers, n’a produit aucun texte fondateur. Or la nouvelle génération des jeunes religieux est plus exigeante et a besoin de réfléchir sur de nouvelles thèses parce qu’elle éprouve le besoin d’être guidée face à l’évolution du monde et de la société juive.
Haym Soloveitchik |
Pour justifier son intégration parmi les Ashkénazes, ce
jeune rabbin ne cache pas qu’il a été impressionné par la dynastie des rabbins Soloveitchik,
de Haym et de son grand-père Chaïm Halevi (1853-1918), rabbin de Brest Litovst
(Brisk en Polonais) dans le sud-ouest de la Biélorussie, savant talmudique dont
le génie fut rapidement reconnu et qui fut perçu comme le fondateur de
l'approche populaire vis à vis de l'étude talmudique du judaïsme.
Haym, son petit-fils né en 1937, est le seul fils de
Rabbi Joseph B. Soloveitchik. Il est diplômé de l’École Maïmonide que son père
avait fondée à Brookline, Massachusetts, puis a reçu son BA diplôme de Harvard
College en 1958. Après deux années d'études universitaires à Harvard, il a
déménagé en Israël et a commencé ses études vers une maîtrise et un doctorat à
l'Université hébraïque de Jérusalem. Il a enseigné à l’Université hébraïque
jusqu'en 1984 avec rang de professeur titulaire. Au début des années 1980, il
avait quitté l’Université hébraïque pour enseigner à l'Université Yeshiva
(études talmudiques) jusqu'en 2006. Il est reconnu comme historien contemporain
de premier plan, expert en loi juive. Une grande partie de son travail s’est concentrée
sur l'interaction de la Halakha avec l’évolution des réalités économiques. Son
essai «Rupture et reconstruction», est considéré comme une importante
déclaration sur l'état du judaïsme orthodoxe contemporain.
C’est ce genre de grande tête pensante qui manque parmi
les orientaux alors que l’on connait une renaissance juive moderne.
Effectivement peu de grands diplômés figurent parmi les rabbins séfarades qui se
contentent d’études religieuses sans s’intéresser aux matières profanes. À
noter que notre rabbin canadien sait de quoi il parle puisqu'il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur qui lui
assure une plus grande crédibilité à l’occasion des cours qu’il dispense à ses
fidèles.
Nous sommes loin des moments d’exaltation mystique des
siècles passés, lorsque le ghetto maintenait par son autonomie religieuse,
culturelle et administrative la cohésion de la communauté. Au 17 et 18ème
siècle, la philosophie des Lumières permit l’amélioration de la
situation politique des Juifs, grâce à leur émancipation sous l’influence des
révolutions française et américaine. Mais cette évolution fut lente et
décevante dans les pays germaniques, et quasi inexistante en Europe de l’Est et
dans les pays musulmans où les idées nouvelles eurent du mal à se propager dans
la communauté alors que les Juifs s’interrogeaient sur leur place dans le monde
moderne.
Moses Mendelssohn |
Une première réponse fut fournie par La Haskala,
qui chercha à apporter le savoir et les idées modernes à un vaste public juif
en utilisant des textes en hébreu moderne. Le philosophe Moses Mendelssohn fut
le pionnier dans le Berlin du 18ème siècle. Mais son programme, qui
consistait à associer l’enseignement moderne à la pratique orthodoxe stricte,
resta sans effet. Ses efforts conduisirent plutôt à l’assimilation, voire au
baptême chrétien en vue de la promotion sociale. En revanche, La Haskala
eut plus d’effet dans le sud de la Pologne (Galicie), où elle se manifesta par
un renouveau de l’étude de l’histoire et de la littérature juives en utilisant
des méthodes modernes de critique, la «science du judaïsme» ; ce
mouvement se poursuivit en Allemagne avec un grand succès.
En Russie, une tentative similaire d’assimilation sous le
slogan «Être un Juif chez soi et un homme partout ailleurs», échoua en
raison de la politique violemment antisémite du gouvernement. À sa place se
développa un mouvement nationaliste juif, qui s’exprima d’abord en hébreu,
plusieurs décennies avant l’avènement du sionisme politique. Dans les centres
urbains, un mouvement socialiste juif, dont les membres s’exprimaient en
yiddish, vit bientôt le jour.
Yeshiva |
De nouvelles formes d’organisation de la synagogue furent
appliquées au 19ème siècle. Les Yeshiva se limitèrent à l’enseignement du
Talmud et à ses commentaires. Des séminaires rabbiniques modernes furent fondés
pour des étudiants qui devaient apprendre l’histoire et les traditions juives
pour obtenir un diplôme universitaire. Des œuvres majeures écrites sur la
théologie juive témoignaient de l’influence de la philosophie de Kant. Mais un
phénomène radicalement nouveau fit son apparition dans des mouvements qui prônaient
la laïcité de la vie des Juifs en refusant la religion remplacée par des activités
politiques et culturelles.
La Shoah fut un choc pour le judaïsme contemporain car l’oppression
officielle et la haine se généralisèrent en Europe de l’Est, et l’antisémitisme
prit également de l’ampleur en Occident. Les penseurs juifs affichèrent alors
un sens toujours plus aigu du tragique de la vie humaine. La tendance
nationaliste juive se concrétisa dans le sionisme qui désigne à la fois
Jérusalem, la terre et le peuple d’Israël. Contesté à l’origine par de nombreux
chefs religieux de toutes tendances et par les socialistes juifs, le sionisme
trouva dans le cours des événements la justification de son projet.
Si les spécialistes peuvent à la rigueur donner acte de
l’absence de «lumières modernes séfarades», le jeune rabbin de Montréal
ne convainc qu’à moitié car il n’explique pas comment et pourquoi les séfarades
singent les ashkénazes au sein du courant ultra-orthodoxe alors qu’ils
pourraient avoir leur propre originalité. Les Juifs du Maroc en grand nombre en
Israël et à Montréal se sont en effet engouffrés dans le monde ashkénaze sans mesurer
les conséquences de leur éloignement de leur culture et de leurs racines. Effectivement
l’habit ne fait pas le moine, mais la tenue noire constituait l’uniforme
généralisé dans les Yeshiva et pour les adeptes, il n'y avait aucune raison à y voir une connotation communautaire
spécifique.
Conseil des Sages d'Agoudat Israël |
Les séfarades furent introduits, malgré eux au départ,
dans le monde ashkénaze qui constatait un effritement régulier de ses fidèles
atteints par l’assimilation. Les orthodoxes décidèrent alors de s’organiser
politiquement en créant le parti Agoudat Israël, lors de leur première
Convention à Katowice (Pologne) en 1912.
Mais ils manquaient d’hommes et le seul vivier se trouvait alors en
Afrique du Nord où les Juifs séfarades étaient sous l’influence de l’AIU
(Alliance Israélite Universelle), accusée alors d’être à prédominance laïque.
En effet l’AIU avait collé à la culture française importée par le colonialisme
français mais il s’agissait du seul moyen pour les jeunes juifs de gravir
l’ascension sociale.
Em Habanim à Casablanca |
Les orthodoxes se mirent à l’ouvrage en envoyant leur «missionnaire»
comme les Chrétiens le firent en Afrique. Un rabbin d’origine lituanienne, Zeev
Halperin, fut chargé de contrer l’AIU en créant un réseau scolaire Em Habanim.
Il arriva à tenir dix ans au Maroc avant d’être expulsé par les autorités
coloniales françaises, probablement sur insistance des dirigeants locaux
communautaires.
Pour les orthodoxes ashkénazes, la situation devint
critique après les évènements de la Shoah qui vit le monde de la Torah subir
des pertes effroyables parmi ses éléments les plus actifs, les plus influents
et les plus brillants. Les Américains aidèrent à la reconstruction de la vie
juive en Europe en créant de nouvelles Yeshiva avec l’aide de l’Agoudat Israël mais le potentiel humain manquait.
Ils puisèrent dans le vivier marocain les meilleurs élèves pour diffuser leur idéologie
Hachkafa, la vision du monde concernant la pensée et la philosophie juive.
Alyah juifs du Maroc |
La création de l’État d’Israël et l’immigration en masse de
Juifs en provenance du Maroc fut une source inespérée pour Agoudat Israël qui
pouvait offrir son système éducatif indépendant en ratissant au sein des
populations séfarades des villes de développement. Le parti trouva ainsi un
moyen efficace pour diffuser son idéologie à des jeunes souvent pauvres et incultes, mais
avides de savoir.
Alors les séfarades, qui fréquentèrent les écoles
ashkénazes, se sentirent obligés de se transformer en ashkénazes en adoptant la
tenue vestimentaire noire, en abandonnant leurs rites mais surtout leur
pratique moins rigoureuse de la loi juive. Les orthodoxes estimaient qu’un
certain laxisme existait parmi ces populations habituées plus aux traditions qu’à
la Halakha, la stricte loi juive rigoureuse. Les Marocains finirent par renier leur
identité parce qu’ils la croyaient inférieure à celle des Ashkénazes. Les
élèves séfarades furent convaincus que l’enseignement importé d’Europe de l’Est,
qui s’inspirait de la vision d’avant la Shoah, était le meilleur. Alors, par
mimétisme, plusieurs d’entre eux refusèrent le modernisme et s’éloignèrent du
sionisme parce que leurs maîtres leur avaient inculqué que l’État juif ne
pourrait être créé que par le Messie et non par l’homme.
Eléazar Shakh |
L’organisation du monde séfarade sur ses propres bases,
symbolisée par la création du parti Shass, fut une tromperie sinon une
illusion. Il fut fondé par le rabbin Eléazar
Shakh (1899-2001), leader ashkénaze ultra-orthodoxe non hassidique. Le rabbin
Ovadia Yossef ne fit que le suivre dans ce projet. Le rabbin Shakh tenait à
créer une mouvance non lituanienne pour partir à la conquête des Juifs
séfarades traditionnels.
Pour se dissocier d’Agoudat Israël, il créa à ses côtés un parti lituanien, Deguel Ha torah (drapeau de la Torah). Dans tous ces projets, le rabbin Ovadia Yossef ne fut que l’obligé du rabbin Shakh car le parti Shass n’arriva jamais à se séparer de l’influence ashkénaze puisque les Yeshiva sont toujours dirigées par la mouvance lituanienne et qu’une certaine discrimination existe à l’encontre des séfarades par l’imposition d’un quota d’orientaux dans les Yeshiva ashkénazes. D’ailleurs les uniformes des élèves sont différents pour les deux communautés qui sont séparées par un mur à l’intérieur des écoles. Le parti Shass ne fit rien contre cette discrimination car il tenait à ce que ses enfants fréquentent les structures ashkénazes. Cela explique ainsi la volonté des séfarades de ne pas se distinguer en ne portant pas la tenue traditionnelle des gens du Shtetel.
Pour se dissocier d’Agoudat Israël, il créa à ses côtés un parti lituanien, Deguel Ha torah (drapeau de la Torah). Dans tous ces projets, le rabbin Ovadia Yossef ne fut que l’obligé du rabbin Shakh car le parti Shass n’arriva jamais à se séparer de l’influence ashkénaze puisque les Yeshiva sont toujours dirigées par la mouvance lituanienne et qu’une certaine discrimination existe à l’encontre des séfarades par l’imposition d’un quota d’orientaux dans les Yeshiva ashkénazes. D’ailleurs les uniformes des élèves sont différents pour les deux communautés qui sont séparées par un mur à l’intérieur des écoles. Le parti Shass ne fit rien contre cette discrimination car il tenait à ce que ses enfants fréquentent les structures ashkénazes. Cela explique ainsi la volonté des séfarades de ne pas se distinguer en ne portant pas la tenue traditionnelle des gens du Shtetel.
Ovadia Yossef et Dhery |
Mais la constatation du rabbin canadien qu’il n’existe
pas aujourd’hui de grands penseurs séfarades semble se confirmer. Il est difficile de citer une seule personnalité religieuse charismatique orientale. Il existe pourtant actuellement en
France une école de pensée juive très vivante, intégrée dans les universités
nationales de Paris et de Strasbourg, dont la réflexion porte avant tout sur
l’éthique. Mais son illustre
représentant est Emmanuel Levinas, philosophe français d'origine lituanienne qui a drainé autour de lui les intellectuels venus d'Afrique du Nord.
Il y a aujourd'hui un retour à la religion chez les jeunes. Les courants de pensée exclusivement juifs jouissent actuellement d’un grand dynamisme. La pensée mystique, inspirée de la kabbale et du hassidisme, a toujours un bel avenir devant elle. La création d’un État juif et les questions du monde moderne rassemblent aussi les conditions requises pour un renouveau de la pensée. Et l’approche des textes par l’exégèse connaît un regain de ferveur certain depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais les Séfarades n'ont plus de modèle au sein de leur communauté; ils sont contraints d'aller voir "la concurrence".
4 commentaires:
Le judaïsme séfarade a été et demeure depuis la nuit des temps un judaïsme sioniste religieux. Or l'embrigadement de nos jeunes dans des tendances orthodoxes ashkénazes et qui sont toutes de conception lithuanienne leur tourne la tête. On ne travaille plus, on n'apprend pas un métier. On envoie l'épouse au turbin. On ne fait que" learner". On ne pratique même pas un métier dans le domaine du judaïsme (Chehita, mohel, sopher) tant les portes sont fermées ou étroites. On vit au crocher de l'Etat qu'il soit Juif ou français. Et lorsqu'il s'agit de l'état français on dénigre en plus l'état d'Israël. Triste évolution du judaïsme séfarade.
Le pluriel de "yéshiva" est "yéchivoth". L'important, c'est que -- ashkénaze ou séfarade -- la voix de Yaakov soit entendue en Israël, car c'est cette voix qui nous protège des mains de Essav.
Il semble qu'il y a une difference entre le rabbin Soloveitchik qui est un fondateur du courant americain Modern orthodox, qui est pro-Israel, et un peu moderne et tous ces membres de l'ultra orthodoxie en Israel,dans les partis dits lituaniens ou les partis hassidiques, qui se disent non sionistes,sont reactionnaires et ont reussi a embrigader dans leurs rangs des sefarades francais - j'en connais- qui arrivent en Israel sionistes et en quelques annees c'est fini :tailleur strict et perruques pour les femmes, grand chapeau noir pour les hommes et tenue couleur noir et blanc,interdiction de feter le yom haatsmaout, reve d'integrer des ecoles de rite aschkanaze .C'est aux sefarades de reagir et de creer un mouvement religieux qui leur convient, mais manifestement il n'y a personne...
On est dans un siècle où les religieux expriment leur foi avec de plus en plus de fétichisme et le séfarade s'oriente dans ce qui est le reflet d'un sectarisme poussé à l'extrême
Afin d'éviter ce glissement, j'espère que les prochaines élections feront resurgir un dirigeant Sioniste Laïc qui évitera au pays de plonger dans "l'iranisme" ou il ne fera plus bon d'y vivre.
Bernard Meyer
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