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jeudi 22 septembre 2022

Au Maroc, le soufisme est l'arme contre l'extrémisme par Francis MORITZ


AU MAROC, LE SOUFISME EST L’ARME CONTRE L’EXTRÉMISME

 

Par Francis MORITZ

 

Festival soufi

Sa Majesté Mohamed VI a peut-être trouvé un antidote à la propagation de l’extrémisme religieux à défaut d’une arme radicale. La question est posée, la haute spiritualité peut-elle efficacement combattre un islam djihadiste ? Tous les visiteurs du Maroc connaissent Marrakech, mais peu savent que la ville a également sept saints patrons soufis qui conservent à la ville son statut de lieu de spiritualité. Le plan de Moulay Ismail (1672/1727), héritier d’une tradition de pèlerinages concurrencée par la tribu berbère des Regraga, a fonctionné à travers les siècles. Il renforça la présence de centres soufis, les zawyas, autour d’Essaouira.



Sanctuaire_al_Jazouli_Marrakech


Contrairement à la tribu berbère, les sept saints ainsi que la famille royale sont d’origine arabe. Ce pèlerinage a attiré de très nombreux visiteurs religieux, qui ont donné une dimension spirituelle à la ville et contribué à son développement économique. Le pèlerinage, qui traditionnellement durait sept jours sur les sept tombes des saints, est peu suivi de nos jours. L’une des tombes est située dans le sanctuaire de Sidi Ben Slimane El Jazuli connu dans tout le Maghreb. Un autre mausolée également célèbre, est celui du tombeau de Sidi bel Abbes.

A partir des X° et 11° siècles, des confréries soufis se sont établies au Maroc. L’un des soufis le plus connu et influant fut Abou al Hassan al Shadili qui fonda l’ordre des Shadhiliyya très répandu en Afrique du Nord.  Un autre grand érudit soufi Ahmed al Tijani, dont la tombe se trouve à Fès, fonda la Tijaniyya. Autant de lieux qui maintiennent la tradition des pèlerinages. Cette présence a permis le développement d’une forme de soufisme populaire incarnée par les marabouts, réputés saints hommes qui eux-mêmes participent aux pèlerinages.

Le sanctuaire soufi de Sidi Bel Abbas à Marrakech


L’extrémisme au Maroc est en corrélation directe avec le niveau de chômage très élevé des jeunes qu’on évalue à 40% et qu’on retrouve dans tout le Maghreb. On relèvera aussi que les auteurs des attentats les plus sanglants en France, ont eu des maghrébins comme auteurs, marocains ou tunisiens. L’Arabie Saoudite a très longtemps financé la diffusion du wahabisme au Maghreb grâce à ses moyens considérables.  On n’a pas oublié les attentats de Casablanca et de Marrakech des années 2000.

Le roi du Maroc, chef religieux de son pays, a favorisé la promotion des confréries soufis et des penseurs islamiques modérés. Il considère que c’est une des façons de lutter contre l’intégrisme. Ce qui ne va pas sans difficulté, car la voie soufie reste une voie individuelle, dont l’effet collectif est difficile à mettre en œuvre. Certains peuvent y voir un parallèle avec la voie kabbaliste que très peu d’individus peuvent suivre, sans pouvoir la partager.

Ahmed Toufik ministre des Habous et Affaires Islamiques du Maroc


Il n’en reste pas moins que le très illustre Émir Abdelkader, qui combattit victorieusement la France, était soufi. Le ministre des Cultes nommé par le roi du Maroc après les attentats de Casablanca est soufi lui-même. Ahmed Toufiq qui a enseigné le soufisme à Harvard, fut ministre des Cultes en 2002 et a été reconduit en octobre 2021 ministre des Habous et Affaires islamiques. Il est l’auteur de divers ouvrages dont les Juifs de Demnate et le Maroc.  Il a déclaré : «J’ai grandi parmi des mystiques et des conteurs qui mettent l’accent sur la cohésion sociale et la compassion, la guérison et la gentillesse envers les autres êtres humains. Le soufisme fait partie intégrante de la culture marocaine. Il est plus social que théorique». En 2014, il avait contribué à la création de l’institut du roi Mohamed VI pour la formation des imans. Le maître spirituel du ministre, Sidi Jamal el Kadiri, chef spirituel de la confrérie Boutchchiya a déclaré : «Le soufisme est un islam sérieux. C’est le cœur et la moelle de base de l’islam. C’est la station d’excellence, de purification, de sincérité et de dévotion dans toutes les actions et travaux».

    Bien que les opinions et les définitions divergent, le soufisme est considéré comme la haute spiritualité de l’islam dans ce qu’elle a de plus universel et que les deux autres religions du livre partagent, C’est pourquoi, il est généralement admis qu’il existe une passerelle ésotérique, aussi étroite soit elle, entre la Kabbale juive à son niveau le plus élevé SOD, l’ésotérisme chrétien et le soufisme. Il ne s’agit pas ici d’entreprendre une étude sur le soufisme mais de souligner qu’il y a un très large fossé entre les confréries soufis et les adeptes de l’intégrisme qui revendiquent le Coran pour entreprendre un djihadisme radical envers tous ceux qui n'acceptent pas de se soumettre. Les soufis sont persécutés parce qu’ils n’adhérent pas au djihadisme ou au salafisme, victimes à leur tour.



Le maître du chant Soufi au Maroc, Said Belcadi

Les soufis s’efforcent de comprendre le cœur de la tradition, de l’intérioriser et de la vivre activement. Pour cela on cite volontiers la métaphore de la noix, qu’on retrouvera ailleurs sous une forme analogique : les formes rituelles extérieures et les commandements religieux sont comme une coquille qui protège l’intérieur de la noix, mais son existence tire la coquille de l’existence du noyau de la noix. En d’autres termes si vous vous accrochez simplement à la coque, vous n’atteignez pas le boyau interne et vous manquez l’objectif.

Ainsi, les soufis privilégient-ils l'intériorisation. Le but de toutes leurs pratiques est de se rapprocher de Dieu. Un hadith célèbre dit : «Celui qui se connaît, connaît son Seigneur».  Ce qui nous renvoie au fronton du temple de Delphes où figure cette maxime : Connais-toi toi-même et tu connaitras les dieux.

Pour les soufis, les racines spirituelles de leur tradition remontent au prophète Mahomet lui-même, qui fut de fait, le premier soufi comme chef spirituel. Mais à son époque, il n'était pas nécessaire de donner un nom propre à la tradition ésotérique de l'islam, puisque c'était la seule existante. Les sahaba, un peu comme les premiers chrétiens autour de Jésus, ont formé la première communauté proto-soufiste-islamique. En Occident l’islam est réduit à une image réductrice qui n’a plus rien à voir avec la spiritualité et l’ésotérisme des soufis.

Les évolutions de l’islam comme religion populaire et intégriste ont creusé un très large fossé par rapport au message spirituel et à la pratique de l'islam. Au fil du temps, ceux qui voulaient aborder la dimension intérieure de l'islam se sont vu attribuer le nom de «soufis» pour les différencier des autres mouvements. 

Participants soufis au Moussem sljfi d’Essalouira


Un étudiant a demandé un jour à son maître qui était en fait un soufi. A quoi il a répondu : «Un soufi ne demande pas qui est un soufi». Ce qui se passe au Maroc semble constituer une exception en Afrique du Nord et au-delà. On peut ne pas être convaincu par ce volet de la politique royale, mais on ne doit pas en sous-estimer la portée. C’est un exemple unique dans l’immédiat où le pouvoir en place veut utiliser une branche de la religion, la plus haute en la circonstance, pour lutter contre la version la plus sombre, la plus sanglante, la plus coercitive, la plus meurtrière de la religion, celle du salafisme et de l’intégrisme en l’occurrence, dans ses œuvres les plus tragiques.  On ne peut que lui souhaiter de réussir même si l’époque ne va pas dans ce sens. La déculturation bat son plein, le recul de la spiritualité se confirme partout, une large partie des jeunes Français et d’autres relativisent la Shoah, sa portée, son enseignement. Le vivre ensemble, que ce soit en Occident ou en Orient, est couvert de nuages.  

1 commentaire:

Georges Kabi a dit…

Dans toutes les communautes musulmanes, le soufisme est considere avec suspicion jusqu'a la persecution et la mise a mort. Le soufisme n'existe pratiquement plus et se reduit a yn folklore dont les manifestations sont payantes. Il en est ainsi des derviches tourneurs, de l danse du soufisme tchetchene ou dans les concerts tel que M.Moritz nous presente. Le soufisme est a tel point repousse dans l'Islam contemporain u'il a ete oblige d'entrer en clandestinite ou bien en commercialisation.