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dimanche 28 juin 2020

Le projet d'annexion fait bouger les lignes palestiniennes


LE PROJET D’ANNEXION FAIT BOUGER LES LIGNES PALESTINIENNES

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            
Le Fatah en 1978 à Tunis

       Jusqu’à présent les Palestiniens prenaient à la légère les menaces israéliennes concernant le changement de statut de la Cisjordanie. L’approche de la date fatidique du 1er juillet les pousse à présent à agir pour éviter le pire. Conscients de l’échec de leurs dirigeants à bloquer la détermination israélienne, un groupe de Palestiniens exige à présent, à travers une pétition, de reconstruire l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) selon une profession de foi : «Nous sommes un groupe du peuple palestinien, de tous les clans du peuple palestinien, dans la Palestine historique, les pays d'asile et la diaspora ; nous exigeons l'élection d'un Conseil national palestinien (CNP), comme première étape de la reconstruction de l'OLP. La nécessité de cette étape se multiplie à la lumière du plan «Deal of the Century», qui cherche à liquider la question de Palestine et de son peuple, et la législation sur les colonies et la judaïsation de Jérusalem».





Salim Zanoun président du CNP

            Ils s’appuient sur le fait que le Conseil national est élu au suffrage universel par tous les Palestiniens et que le développement des moyens de communication et d'information permet désormais, partout dans le monde, de participer aux élections. Mais une impasse existe sachant que le Fatah détient son autorité en Cisjordanie et que le Hamas détient son autorité à Gaza. Pour résoudre cette impasse, ils veulent «organiser le retour au peuple par le biais du mécanisme électoral et modifier les équilibres internes des équations politiques palestiniennes de manière démocratique».
L'appel à élire un CNP implique «une séparation administrative et fonctionnelle entre l'organisation et l'autorité, la restauration de notre mouvement national à son caractère de mouvement de libération nationale». Le groupe estimant que «le Conseil national est l'autorité suprême de l'Organisation de libération, qui définit la politique, les plans et les programmes de l'organisation, son élection activerait toutes les énergies du peuple palestinien et insufflerait l'esprit de l'institution et de la direction collective ainsi que la démocratie dans l'action nationale palestinienne». Effectivement, tout est pavé de bonnes intentions, reste à savoir si Mahmoud Abbas acceptera d’ouvrir «la voie à la reconstruction de l'entité palestinienne».
CNP à Ramallah

L'intention de ces "révolutionnaires" est bonne car ils veulent faire bouger les lignes figées depuis les accords d'Oslo. Mais la méthode est périmée. Le CNP est effectivement l’instance la plus haute qui représente les Palestiniens et dont les membres sont «élus par le peuple palestinien au scrutin direct». Mais les membres certes motivés, qui veulent réformer la gouvernance palestinienne, ne semblent pas avoir appris les éléments de l’Histoire passée puisqu’ils persistent à ignorer le pragmatisme et les faits accomplis en Cisjordanie. Ils veulent passer de «la lutte pour une partie du territoire seulement, à la lutte pour l'ensemble du territoire et à la lutte pour les droits nationaux palestiniens, individuels et collectifs». C’est à se demander dans quelle Cisjordanie ils vivent. Ils adoptent encore un discours ressassé, répété de manière lassante, consistant à rejeter le dogme de deux États pour imposer une solution qui réponde à la connexion des Palestiniens à l'ensemble du territoire du Jourdain à la mer Méditerranée, en accueillant tous ceux qui vivent sur le territoire maintenant ainsi que les réfugiés palestiniens. Un rêve inconscient.
Cette pétition a pourtant été élaborée par un groupe d'intellectuels, d'universitaires et de journalistes palestiniens indépendants appelé le Forum palestinien, formé en 2018 pour fournir un espace pour une discussion palestinienne sur l'avenir du projet national, sans le blocage des factions. Le forum avait pour but d’exposer une nouvelle vision et des idées innovantes pour la reconstruction de l'OLP. En fait l’optimisme fut de courte durée dès qu’il a été établi que le logiciel palestinien n’avait subi aucun changement et que l’objectif poursuivi était uniquement un changement de dirigeants pour appliquer la même politique, pire une politique encore plus intransigeante.
Salman Abou Sitta

D’ailleurs les dirigeants palestiniens au pouvoir ne s’y sont pas trompés. Le président du CNP, Salim Zanoun, a rejeté la totalité du programme car il fallait selon lui s'unir derrière le président Abbas. Le moment est en effet mal choisi, voire dangereux, alors que les Palestiniens sont en effet confrontés à l’annexion prévisible de vastes étendues de terres en Cisjordanie. L’instigateur de la pétition Abu Sitta, a rappelé que la dernière réunion du CNP avait eu lieu en 1988, en Algérie, et que depuis, de nombreux membres sont décédés et remplacés par des personnes non élues sur simple décision de son président.
Salman Abu Sitta est un chercheur palestinien, plus connu pour son projet révolutionnaire cartographiant la Palestine historique et développant un plan pratique pour la mise en œuvre du droit au retour des réfugiés palestiniens. Son travail a été de montrer que le retour des réfugiés dans leurs foyers est non seulement sacré pour les Palestiniens, légal en vertu du droit international mais également faisable et possible sans perturbation majeure pour les «colons juifs» existants en Palestine. Il a constaté que les pays arabes ne soutiennent plus les Palestiniens avec la même vigueur en raison de la normalisation de leurs relations avec Israël. En conséquence, les Palestiniens devaient à présent réagir car ils ne s’estiment plus représentés par la direction actuelle.
Pour l’instant cette pétition ne recueille pas beaucoup d’adeptes face à une situation  économique dramatique. L’idée de changement est intéressante et innovante mais ce groupe du Forum palestinien devrait s’atteler plutôt à la rédaction d’un projet sérieux et viable à opposer au plan du siècle au lieu de ressasser des antiennes. 
Les Palestiniens, dans le fond, ont aujourd'hui d’autres chats à fouetter que de changer de dirigeants lorsqu’ils comparent leur situation à celle de leurs frères arabes. En fait, ils semblent résignés et même satisfaits du statu quo qui leur assure un niveau de vie acceptable. Décus par les dirigeants qui se sont succédés, ils envisagent avec réticence tout changement, a fortiori révolutionnaire, même s'il fallait renoncer à la création de leur Etat. Les 120.000 Palestiniens qui travaillent quotidiennement en Israël et dans les implantations israéliennes de Cisjordanie sont satisfaits de leurs salaires israéliens sur la base de 29 shekels (8,6$) de l’heure face aux 8,5 shekels (2,4$) dans leurs territoires. Non seulement le salaire est triple mais ils sont assurés de trouver du travail. Un travailleur fait vivre trois familles. En fait, ils sont vaccinés contre les promesses stériles. 

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