L’ÉGYPTE ENTRE EN SCÈNE EN LIBYE FACE À LA TURQUIE
Par
Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
Al-Sarraj et Haftar |
Il est difficile de suivre ce qui se passe réellement en Libye en raison du conflit transformé en guerre civile entre les deux protagonistes Khalifa Haftar et Fayez al-Sarraj. En tant que Premier ministre et chef du Conseil présidentiel, Fayez al-Sarraj n’a jamais réussi à asseoir son autorité sur la Libye et surtout à s’imposer face à l’ambitieux maréchal Haftar. S’il bénéficie du soutien d’une partie de la communauté internationale, il n’a pas vraiment d’appuis en Libye tandis que les autorités de l’Est, le maréchal Khalifa Haftar en tête, ne cessent de contester sa légitimité. Leur hostilité réciproque date du jour où le maréchal voulait devenir commandant en chef de l’armée. Sarraj a refusé cette nomination sous la pression des milices de l’Ouest inféodées aux Frères musulmans, et il s’est mis sous la protection des milices qui contrôlent Tripoli, dont la force Rada, composée de salafistes madkhalis (du nom de Rabi al-Madkhali, un cheikh saoudien).
Un tank et un véhicule de transports de troupes dans un camp qu'utilisaient les forces pro-Haftar à Gharian |
Ancien officier de l’armée libyenne ayant fait défection
à la fin des années 1980, le maréchal Khalifa Haftar, né en 1943, a été formé
en partie dans l'ancienne Union soviétique et vécut plusieurs années en exil
aux États-Unis, avant de rentrer en 2011 à Benghazi. Il s’est forgé une stature
grâce à ses campagnes militaires contre des groupes islamistes dans l’est et le
sud de la Libye. Depuis le début de la crise libyenne, il se présente comme le
seul homme à même de garantir la stabilité de son pays et d'écraser les
mouvements djihadistes. Un discours qui a trouvé des oreilles attentives
notamment en Arabie saoudite, aux Émirats, en Égypte, aux États-Unis, en France
et en Russie. L’Italie étant neutre. On peut dire que c’est l’homme de l’Occident.
Son rival, Fayez al-Sarraj, ne peut compter que sur l’appui du Qatar et de la
Turquie.
Farraj-Erdogan |
Après l’implication de la Turquie, très critique envers
la politique de l’Égypte et des pays du Golfe, aux côtés de Fayez al-Sarraj, l’Égypte ne veut plus laisser Erdogan
agir librement en Libye. La rivalité idéologique en raison du soutien des Turcs
aux Frères musulmans semble devenir à présent militaire. Ainsi des chars
égyptiens ont fait leur apparition à la frontière libyenne préfigurant une
implication du président Sissi dans une zone déjà convoitée et très troublée. Jusqu’à
présent l’Égypte observait sans agir mais elle a décidé de s’impliquer en Libye
pour ne pas laisser le champ libre à Erdogan.
En avril 2019, fort du soutien des Émirats arabes unis, de
l’Égypte et de la Russie, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’ANL (Armée
nationale libyenne) avait lancé une offensive pour renverser le Gouvernement
d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj, installé à Tripoli sous
l’égide des Nations unies et des Frères musulmans. Mais cette offensive de
l’ANL s’embourba ce qui poussa la Turquie à s’impliquer dans le conflit en
envoyant des équipements militaires, des «conseillers militaires» ainsi
que des mercenaires recrutés parmi les rebelles syriens pro-Ankara. Malgré la
présence de mercenaires russes du groupe privé Wagner aux côtés du maréchal
Haftar, l’équilibre des forces a été modifié.
En déroute en Tripolitaine, l'armée de Haftar a abandonné
les équipements offerts par Abou Dhabi. L'Armée nationale libyenne (ANL) a dû
laisser derrière elle plusieurs centaines de tonnes de matériel qui avaient été
convoyées grâce au pont aérien organisé par les Émirats arabes unis. Par
ailleurs Erdogan a enclenché un pont aérien vers Tripoli et Misrata. La Turquie
muscle encore sa présence militaire sur le front. L'échec militaire à Watiya du général Khalifa Haftar, qui n'a pu
conserver le contrôle de la principale base militaire de l'ouest libyen, a
accéléré l'effritement de ses relations avec son allié égyptien. Le Caire
envisage de lui trouver un remplaçant à la tête de l'Armée nationale libyenne,
tandis que le général pourrait subir d'autres revers dans le sud du pays.
Ces dernières semaines, et alors que Haftar n’était jusqu’alors
pas enclin à signer un accord de cessez-le-feu, l’ANL a subi une série de
revers cuisants face aux forces pro-GNA, le dernier en date étant celui de
Tarhouna, ville située à 80 kilomètres au sud-est de Tripoli. Ce nouveau recul
des troupes du maréchal Haftar a donc mis fin, de facto, à leur offensive vers
Tripoli et ravivé, dans le même temps, le spectre d’une partition de la Libye.
Haftar serait désormais favorable à un cessez-le-feu, que ses adversaires ne
sont plus disposés à accepter, maintenant qu’ils ont l’initiative sur le
terrain. En tout cas, c’est ce qui en est ressorti de l’entretien qu’il a eu le
6 juin avec al-Sissi, le président égyptien qui a proposé un plan, «Déclaration
du Caire», instituant une période de transition pendant laquelle le pays
serait gouverné par un conseil présidentiel au sein duquel les trois régions
libyennes seraient représentées.
Cette initiative prévoit également l’unification des
institutions pétrolières et financières, la dissolution des milices et le
départ des «mercenaires». Mais le plus important est l’idée de
cessez-le-feu, qui aurait dû entrer en vigueur dès ce 8 juin. Évidemment, le
GNA ne l’a pas accepté, d’autant plus que, plus tôt, son chef Fayez el-Sarraj
venait d’obtenir la promesse du président turc d’une aide militaire
supplémentaire. Derrière l’intervention turque en Libye, se profile en fait la
convoitise du gaz en Méditerranée orientale;
Char egyptien en Libye |
C’est donc dans ce contexte que sont apparues, le 7 juin,
des images montrant une colonne de 18 M1A2 Abrams égyptiens, sur des
porte-chars, faisant route vers la frontière libyenne. A priori, ces chars seraient
accompagnés par des hélicoptères d’attaque Mil Mi 24 «Hind»,
habituellement basés à Bordj Al Arab près d’Alexandrie en Égypte. Ces appareils
auraient été acquis d’occasion par le Caire en 2017.
En tout cas, le président al-Sissi avait averti qu’il ne
tolérerait pas de présence militaire turque en Libye : «Nous n’autoriserons
personne à contrôler la Libye, c’est une question qui relève de la sécurité
nationale de l’Égypte». Il a même évoqué une intervention militaire directe
si les forces du maréchal Haftar devaient être «mises en difficulté dans
leur lutte contre le terrorisme», à
savoir le GNA.
Hélicoptères égyptiens en Libye
Il faut noter cependant que la Libye est soumise à un
embargo sur les armes, décidé par les Nations unies tandis que l’Union
européenne a lancé l’opération navale IRINI pour le faire respecter. Elle ne compte
actuellement qu’un navire, la frégate grecque Spetsai qui vient juste d’arriver
sur zone. Cependant, les «parrains» des deux belligérants ont pris l’habitude
de livrer leurs équipements militaire par voie aérienne.
De son côté, Israël tient à sa neutralité bien qu’il
soutienne de manière indirecte Haftar. Avec l’aide des Émirats
arabes unis, il fournit des armes et forme l’Armée nationale libyenne sachant
que Haftar, qui a acquis la nationalité américaine lors de son exil sous Mouammar Kadhafi, est très proche de la CIA.
Il n’est donc pas étonnant qu’il soit soutenu par l’administration Trump qui encourage
secrètement ses campagnes. L’implication de l’Égypte en
Libye change la donne car elle pourrait se traduire par un affrontement direct
avec la Turquie.
1 commentaire:
Il m'a éte dit la semaine passée que 2020 est une année de renégociation de nombreues concessions d'exploitaion petrolieres, est-ce vrai?Cela donnerai un certain relief à beaucoup de choses de part le monde,hors covid.
Enregistrer un commentaire