LE BEST-OF DES ARTICLES LES PLUS LUS DU SITE, cliquer sur l'image pour lire l'article


 

jeudi 11 juin 2020

L'Egypte entre en scène en Libye face à la Turquie


L’ÉGYPTE ENTRE EN SCÈNE EN LIBYE FACE À LA TURQUIE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            
Al-Sarraj et Haftar

          Il est difficile de suivre ce qui se passe réellement en Libye en raison du conflit transformé en guerre civile entre les deux protagonistes Khalifa Haftar et Fayez al-Sarraj. En tant que Premier ministre et chef du Conseil présidentiel, Fayez al-Sarraj n’a jamais réussi à asseoir son autorité sur la Libye et surtout à s’imposer face à l’ambitieux maréchal Haftar. S’il bénéficie du soutien d’une partie de la communauté internationale, il n’a pas vraiment d’appuis en Libye tandis que les autorités de l’Est, le maréchal Khalifa Haftar en tête, ne cessent de contester sa légitimité. Leur hostilité réciproque date du jour où le maréchal voulait devenir commandant en chef de l’armée. Sarraj a refusé cette nomination sous la pression des milices de l’Ouest inféodées aux Frères musulmans, et il s’est mis sous la protection des milices qui contrôlent Tripoli, dont la force Rada, composée de salafistes madkhalis (du nom de Rabi al-Madkhali, un cheikh saoudien).





Un tank et un véhicule de transports de troupes dans un camp qu'utilisaient les forces pro-Haftar à Gharian
            Le maréchal Khalifa Haftar avait lancé début avril une offensive pour s'emparer de Tripoli, où siège le gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj et reconnu par la communauté internationale. Depuis, le Conseil de sécurité de l’ONU peine à imposer un cessez-le-feu en Libye, en proie au chaos depuis la chute du colonel Kadhafi, en 2011. Sur le terrain c’est l’enlisement après la défaite, le 26 juin, de l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar à Gharian, au sud-ouest de Tripoli. Et les deux hommes forts du pays s'accusent mutuellement de bénéficier du soutien militaire de puissances étrangères.
            Ancien officier de l’armée libyenne ayant fait défection à la fin des années 1980, le maréchal Khalifa Haftar, né en 1943, a été formé en partie dans l'ancienne Union soviétique et vécut plusieurs années en exil aux États-Unis, avant de rentrer en 2011 à Benghazi. Il s’est forgé une stature grâce à ses campagnes militaires contre des groupes islamistes dans l’est et le sud de la Libye. Depuis le début de la crise libyenne, il se présente comme le seul homme à même de garantir la stabilité de son pays et d'écraser les mouvements djihadistes. Un discours qui a trouvé des oreilles attentives notamment en Arabie saoudite, aux Émirats, en Égypte, aux États-Unis, en France et en Russie. L’Italie étant neutre. On peut dire que c’est l’homme de l’Occident. Son rival, Fayez al-Sarraj, ne peut compter que sur l’appui du Qatar et de la Turquie.


Farraj-Erdogan

            Après l’implication de la Turquie, très critique envers la politique de l’Égypte et des pays du Golfe, aux côtés de Fayez al-Sarraj, l’Égypte ne veut plus laisser Erdogan agir librement en Libye. La rivalité idéologique en raison du soutien des Turcs aux Frères musulmans semble devenir à présent militaire. Ainsi des chars égyptiens ont fait leur apparition à la frontière libyenne préfigurant une implication du président Sissi dans une zone déjà convoitée et très troublée. Jusqu’à présent l’Égypte observait sans agir mais elle a décidé de s’impliquer en Libye pour ne pas laisser le champ libre à Erdogan.
            En avril 2019, fort du soutien des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de la Russie, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’ANL (Armée nationale libyenne) avait lancé une offensive pour renverser le Gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj, installé à Tripoli sous l’égide des Nations unies et des Frères musulmans. Mais cette offensive de l’ANL s’embourba ce qui poussa la Turquie à s’impliquer dans le conflit en envoyant des équipements militaires, des «conseillers militaires» ainsi que des mercenaires recrutés parmi les rebelles syriens pro-Ankara. Malgré la présence de mercenaires russes du groupe privé Wagner aux côtés du maréchal Haftar, l’équilibre des forces a été modifié.
            En déroute en Tripolitaine, l'armée de Haftar a abandonné les équipements offerts par Abou Dhabi. L'Armée nationale libyenne (ANL) a dû laisser derrière elle plusieurs centaines de tonnes de matériel qui avaient été convoyées grâce au pont aérien organisé par les Émirats arabes unis. Par ailleurs Erdogan a enclenché un pont aérien vers Tripoli et Misrata. La Turquie muscle encore sa présence militaire sur le front. L'échec militaire à Watiya du général Khalifa Haftar, qui n'a pu conserver le contrôle de la principale base militaire de l'ouest libyen, a accéléré l'effritement de ses relations avec son allié égyptien. Le Caire envisage de lui trouver un remplaçant à la tête de l'Armée nationale libyenne, tandis que le général pourrait subir d'autres revers dans le sud du pays.
            Ces dernières semaines, et alors que Haftar n’était jusqu’alors pas enclin à signer un accord de cessez-le-feu, l’ANL a subi une série de revers cuisants face aux forces pro-GNA, le dernier en date étant celui de Tarhouna, ville située à 80 kilomètres au sud-est de Tripoli. Ce nouveau recul des troupes du maréchal Haftar a donc mis fin, de facto, à leur offensive vers Tripoli et ravivé, dans le même temps, le spectre d’une partition de la Libye. Haftar serait désormais favorable à un cessez-le-feu, que ses adversaires ne sont plus disposés à accepter, maintenant qu’ils ont l’initiative sur le terrain. En tout cas, c’est ce qui en est ressorti de l’entretien qu’il a eu le 6 juin avec al-Sissi, le président égyptien qui a proposé un plan, «Déclaration du Caire», instituant une période de transition pendant laquelle le pays serait gouverné par un conseil présidentiel au sein duquel les trois régions libyennes seraient représentées.
            Cette initiative prévoit également l’unification des institutions pétrolières et financières, la dissolution des milices et le départ des «mercenaires». Mais le plus important est l’idée de cessez-le-feu, qui aurait dû entrer en vigueur dès ce 8 juin. Évidemment, le GNA ne l’a pas accepté, d’autant plus que, plus tôt, son chef Fayez el-Sarraj venait d’obtenir la promesse du président turc d’une aide militaire supplémentaire. Derrière l’intervention turque en Libye, se profile en fait la convoitise du gaz en Méditerranée orientale;
Char egyptien en Libye

            C’est donc dans ce contexte que sont apparues, le 7 juin, des images montrant une colonne de 18 M1A2 Abrams égyptiens, sur des porte-chars, faisant route vers la frontière libyenne. A priori, ces chars seraient accompagnés par des hélicoptères d’attaque Mil Mi 24 «Hind», habituellement basés à Bordj Al Arab près d’Alexandrie en Égypte. Ces appareils auraient été acquis d’occasion par le Caire en 2017.

            En tout cas, le président al-Sissi avait averti qu’il ne tolérerait pas de présence militaire turque en Libye : «Nous n’autoriserons personne à contrôler la Libye, c’est une question qui relève de la sécurité nationale de l’Égypte». Il a même évoqué une intervention militaire directe si les forces du maréchal Haftar devaient être «mises en difficulté dans leur lutte contre le terrorisme»,  à savoir le GNA.


Hélicoptères égyptiens en Libye

            Il faut noter cependant que la Libye est soumise à un embargo sur les armes, décidé par les Nations unies tandis que l’Union européenne a lancé l’opération navale IRINI pour le faire respecter. Elle ne compte actuellement qu’un navire, la frégate grecque Spetsai qui vient juste d’arriver sur zone. Cependant, les «parrains» des deux belligérants ont pris l’habitude de livrer leurs équipements militaire par voie aérienne.
            De son côté, Israël tient à sa neutralité bien qu’il soutienne de manière indirecte Haftar. Avec l’aide des Émirats arabes unis, il fournit des armes et forme l’Armée nationale libyenne sachant que Haftar, qui a acquis la nationalité américaine lors de son exil sous Mouammar Kadhafi, est très proche de la CIA. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit soutenu par l’administration Trump qui encourage secrètement ses campagnes. L’implication de l’Égypte en Libye change la donne car elle pourrait se traduire par un affrontement direct avec la Turquie.

1 commentaire:

GHL a dit…

Il m'a éte dit la semaine passée que 2020 est une année de renégociation de nombreues concessions d'exploitaion petrolieres, est-ce vrai?Cela donnerai un certain relief à beaucoup de choses de part le monde,hors covid.