IMPLANTATIONS, ANNEXION ET CONSÉQUENCES
Par Jacques BENILLOUCHE
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Guivat Harsina à Hébron |
Les
implantations (Hitnahalout), ou "colonies" selon la
terminologie de l’ONU, ont été créées au lendemain de la Guerre de Six-Jours de
1967 sur des terres de Cisjordanie et sont peuplées aujourd’hui par 420.000
habitants juifs aux côtés de 2,7 millions de Palestiniens. 12.000 Français y
vivent, religieux en grande majorité, messianiques pour la plupart. Au départ,
ces créations n’avaient qu’un but sécuritaire pour assurer un maillage en
Cisjordanie. La plupart des «colons» y habitent moins pour des raisons idéologiques qu'économiques, en raison de l’explosion des prix de l’immobilier en Israël et des
nombreuses aides attribuées par l’État, intéressé à consolider les
implantations, au nombre de 132, pour assurer leur pérennité.
Modiin Ilit |
Certaines implantations ont atteint la taille de grandes
villes comme Modiin Ilit à l’ouest de Ramla avec plus de 70.000 ultra-orthodoxes,
Beitar Ilit à l’ouest de Bethléem avec 50.000 habitants et Maale Adumim à
proximité de Jérusalem avec plus de 40.000. Si certains Juifs s’installent en Cisjordanie pour des raisons religieuses afin
de vivre dans les terres bibliques où se trouvent le caveau des Patriarches et
le tombeau de Joseph, la grande majorité a répondu aux incitations du
gouvernement pour bénéficier de conditions matérielles exceptionnelles à
quelques kilomètres de Jérusalem ou Tel-Aviv.
L’ONU ne reconnait pas la légalité de ces implantations qui ne sont
appuyées sur aucune décision internationale et qui ont un impact sur la
population israélienne. Cependant si Israël reconnait juridiquement celles qui
ont obtenu les autorisations du gouvernement, d’autres sont appelées «sauvages».
La Cisjordanie a profité du développement des réseaux routiers
et électriques nécessaires pour des raisons sécuritaires. Selon des chiffres officiels le PNB a connu en 2019 une croissance supérieure à 10 % alors qu'il augmentait de 5,5 % par an en
Israël sur la même période. Malgré cela les Palestiniens critiquent la politique
gouvernementale qui étouffe selon eux leur propre développement, en particulier
dans la gestion de l’eau. Le 24 septembre 1995, l'accord intérimaire a scindé la
Cisjordanie en trois zones :
- la zone A : (20 % du
territoire et 55 % de la population palestinienne) placée sous le total contrôle de
l'Autorité palestinienne. Cette zone regroupe les grandes villes
palestiniennes, à l'exception de Jérusalem-Est
et de Hébron. La police n'entrent pas dans cette zone.
- la zone B : (28 % du
territoire et 41 % de la population palestinienne) placée sous administration
civile palestinienne mais où Israël reste responsable de la sécurité ; l'armée est autorisée à y entrer pour faire respecter l'ordre.
- la zone C : (52 % du
territoire et 4% de la population palestinienne) qui reste sous contrôle total israélien
et où se trouvent l'essentiel des implantations.
Les zones A et B disposent déjà
des attributions d’un mini-État palestinien à l’exception d’une armée et d’une
monnaie propre.
Dans sa dernière position, la
résolution 2334 du 23 décembre 2016, le Conseil de Sécurité : «réaffirme que
la création par Israël de colonies de peuplement dans les territoires
palestiniens occupés depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement
en droit et constitue une violation flagrante du droit international et un
obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à
l’instauration d’une paix globale, juste et durable». De plus, elle «demande
à tous les États, compte tenu du paragraphe 1 de la résolution, de faire une
distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État
d’Israël et les territoires occupés depuis 1967».
Mike Pompeo |
Mais
les Américains sont venus au secours d’Israël. En novembre 2019, le Secrétaire
d'État Mike Pompeo a annoncé que les États-Unis ne reconnaissent plus la
colonisation israélienne en Cisjordanie comme contraire au droit international.
Il a expliqué que l'avis émis en 1978 par le département d'État est aujourd'hui
caduc car «en vérité, il n’y aura
jamais de solution judiciaire au conflit et que les débats sur qui a raison et
qui a tort au regard du droit international n’apporteront pas la paix». A
ces prises de position, l'Autorité palestinienne affirme que Washington n’est «pas
qualifié ou autorisé à annuler des dispositions de droit international et n’a
pas le droit de légaliser des colonies israéliennes».
L'ex-chef de la diplomatie
européenne, Federica Mogherini, ne l’entendait pas ainsi et, pour elle, «la
position européenne reste claire et inchangée. Toute activité de colonisation
est illégale au regard du droit international et compromet la viabilité de la
solution à deux États et les perspectives d’une paix durable, comme le
réaffirme la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies».
Israël estime qu'il n'existe pas
de frontières définies de jure, pas d'arrangements diplomatiques ni de
légitimité légale évidente. Donc le territoire ne peut être considéré comme
occupé que si un autre État souverain le revendique. Or il n’est revendiqué que
par des populations. C’est pourquoi en Israël, on parle de «territoires
contestés» plutôt que de «territoires occupés». Bien sûr, une guerre
de juristes alimente le débat des deux clans. Israël veut uniquement s’appuyer
sur le «principe de lien historique» et sur l'article 22 du traité de
Versailles de 1919 reconnu par la déclaration Balfour, la résolution de San
Remo et ainsi que par l'accord Fayçal-Weizmann de 1919 qui reconnaissent le
peuple Juif comme «bénéficiaire national de la Palestine».
Les habitants des implantations
évitent d’entrer dans les méandres des discussions juridiques et défendent leur
droit inaliénable à vivre sur leur terre ancestrale qui est le berceau
historique et culturel du peuple juif et le cœur de leur vie religieuse. Ils
estiment également que leur installation en Judée-Samarie respecte le droit à
la propriété privée. Les communautés religieuses de Yesha (acronyme hébreu pour
Judée, Samarie, Gaza) croient au droit du peuple juif à la possession de la
terre d'Israël d'après la promesse divine de la Bible. Le peuplement de ce
territoire est donc un droit et un devoir pour ces communautés religieuses.
Les implantations sont
administrées par 13 conseils locaux :
1/ Alfei Menashe (7.583 habitants), fondée en 1983 devenue un conseil
local en 1987.
2/ Beit Aryeh-Ofarim (4.322 habitants), fondée en 1981 devenue conseil
local en 1989.
3/ Beit El (5.899 habitants), fondée en 1977 devenue un conseil local
en 1997.
4/ Efrat (7.912 habitants), fondée en 1983 devenue un conseil local la
même année.
5/ Elkana (3.871 habitants), fondée en 1977 devenue un conseil local la
même année.
6/ Giv'at Ze'ev (14.349 habitants), fondée en 1982 devenue un conseil
local en 1984.
7/ Har Adar (3.757 habitants), fondée en 1982 devenue un conseil local
en 1995.
8/ Immanuel (3.115 habitants), fondée en 1983 devenue un conseil local
en 1985.
9/ Karnei Shomron (6.560 habitants), fondée en 1977 devenue un conseil
local en 1991.
10/ Kedumim (4.174 habitants), fondée en 1975 devenue un conseil local
la même année
11/ Kiryat Arba (7.166 habitants), fondée en 1968 devenue un conseil
local en 1979.
12/ Ma'ale Efrayim (1.098 habitants), fondée en 1978 devenue un conseil
local en 1981.
Ces treize conseils locaux sont regroupés en 6 conseils régionaux :
Goush Etzion, Har Hevron, Mateh Binyamin, Megilot, Shomron et Bik'at HaYarden.
Le succès de ces implantations est dû
aux bonnes conditions de vie et à la qualité des services offerts qui vont de
la taille des logements à l'éducation ou autres services publics. En raison de
hauts salaires, deux fois supérieurs que dans les zones de l’Autorité, des
dizaines de milliers de Palestiniens travaillent dans ces implantations, dans la construction en particulier.
Les Israéliens insistent sur les
questions sécuritaires sachant que la distance depuis la plaine côtière jusqu'à
la ligne verte (12 km) n'est pas suffisante en cas d'invasion terrestre d’où
l’obligation pour Tsahal de conserver les territoires conquis par la guerre.
Des infrastructures importantes sont à portée de fusil : l'aéroport
international Ben Gourion, la route N° 6 traversant le pays du nord au sud,
l'aqueduc national d'Israël et le réseau électrique de haut voltage. De plus,
les monts de Samarie dominent les villes de la plaine côtière et leur contrôle
réduit le risque de déploiement de roquettes et de missiles de courte portée.
L’annexion existe déjà de facto depuis
longtemps en Cisjordanie. Il s’agit simplement d’officialiser cette situation.
Elle a un but politique, celui de rallier l'extrême-droite au gouvernement. La
seule question en suspens reste l’extension de la souveraineté israélienne sur
les implantations illégales.
Les conséquences de l’annexion ont une
incidence sur le processus de paix puisqu’elle mettrait en cause la solution à
deux États. En annexant les implantations, les Palestiniens se retrouveraient
essentiellement avec un archipel de territoires déconnectés. Il n’y aura plus
aucun espoir pour un État palestinien, s’il n’y a aucune terre contiguë pour en
créer un. Par ailleurs, le statut des Palestiniens n’est pas explicité en ce
qui concerne leurs droits, en particulier le droit de vote aux élections
israéliennes. Les Israéliens juifs et les Palestiniens vivant en Cisjordanie
seraient soumis à des régimes juridiques distincts.
Par ailleurs une annexion engloberait les
implantations et toutes les terres autour et parfois certains villages arabes (4% de la population palestinienne). Désespérant
de voir un jour la création d'un État palestinien, en raison de l'imbrication
des implantations, certains intellectuels palestiniens en viennent à reprendre
la vieille idée d'un seul État «binational» qui garantirait aux
Palestiniens et aux Juifs israéliens des droits égaux dans toute la Palestine
historique. Cette idée, jusqu'ici soutenue seulement par des intellectuels de gauche, avait été reprise par des dirigeants de droite comme l'ancien ministre de la
défense Moshe Arens, de son vivant, et le président Réouven Rivlin.
Mais au lieu de présenter un plan
alternatif, qui peut être amendé par la négociation, Mahmoud Abbas ne brandit
que des menaces de représailles maintes fois appliquées sans succès politique.
Il vise en particulier le démantèlement de l’Autorité qui rendrait Israël responsable
de la gestion des écoles, des hôpitaux, du bien-être, des services, des
salaires et des services de police quotidiens de la population palestinienne.
Mais dans ce cas, le prix pour les Palestiniens sera élevé. Une grande
désillusion a envahi les dirigeants palestiniens, considérés comme incompétents
et corrompus.
A l’heure actuelle, une Administration
civile, bien que gérée par des militaires, responsable devant les institutions
israéliennes, est chargée d’administrer les territoires. C’est pourquoi, pour
calmer les esprits Netanyahou évite d’utiliser le terme annexion et
modère ses prétentions pour préciser qu' «Israël imposera sa souveraineté à
30% de la zone de Cisjordanie, soit l'équivalent de 50% de la zone C». Cela
veut dire que seules certaines implantations légales seront concernées et passeront
sous juridiction civile israélienne sans être intégrées à l’État d’Israël. Les
terres autour ne seront pas incluses dans le vote de la Knesset et leur statut
sera discuté ultérieurement. La création d’un État palestinien prévu par le «plan
du siècle» est remise aux calendes grecques. En fait, il s'agit d'une marche arrière
bien contrôlée qui ne change pas la situation actuelle des implantations. L’illusion
est parfaite.
1 commentaire:
Je suis émerveillé par la "novlangue" vendue pour convaincre - encore plus - le public communautaire ici ou francophone en Israël, que "non, ce n'est pas une annexion", mais une "extension de souveraineté" - Erdogan pourrait dire pareil à la frontière avec la Grèce ; pas "des territoires occupés" mais "disputés", etc. On peut tourner dix fois autour du pot, mais les choses sont simples : ces portions de territoires seront annexés en dehors de toute négociation ; et ne pas donner la nationalité israélienne aux Palestiniens vivant sur place rendra crédible l'accusation "d'apartheid" ; ce qui ravira leur soutiens antisionistes radicaux, BDS, etc. Merci Bibi.
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