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lundi 22 juin 2020

Implantations, annexion et conséquences


IMPLANTATIONS, ANNEXION ET CONSÉQUENCES

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            
Guivat Harsina à Hébron

          Les implantations (Hitnahalout), ou "colonies" selon la terminologie de l’ONU, ont été créées au lendemain de la Guerre de Six-Jours de 1967 sur des terres de Cisjordanie et sont peuplées aujourd’hui par 420.000 habitants juifs aux côtés de 2,7 millions de Palestiniens. 12.000 Français y vivent, religieux en grande majorité, messianiques pour la plupart. Au départ, ces créations n’avaient qu’un but sécuritaire pour assurer un maillage en Cisjordanie. La plupart des «colons» y habitent moins pour des raisons idéologiques qu'économiques, en raison de l’explosion des prix de l’immobilier en Israël et des nombreuses aides attribuées par l’État, intéressé à consolider les implantations, au nombre de 132, pour assurer leur pérennité.



Modiin Ilit

            Certaines implantations ont atteint la taille de grandes villes comme Modiin Ilit à l’ouest de Ramla avec plus de 70.000 ultra-orthodoxes, Beitar Ilit à l’ouest de Bethléem avec 50.000 habitants et Maale Adumim à proximité de Jérusalem avec plus de 40.000. Si certains Juifs s’installent en Cisjordanie pour des raisons religieuses afin de vivre dans les terres bibliques où se trouvent le caveau des Patriarches et le tombeau de Joseph, la grande majorité a répondu aux incitations du gouvernement pour bénéficier de conditions matérielles exceptionnelles à quelques kilomètres de Jérusalem ou Tel-Aviv. 
L’ONU ne reconnait pas la légalité de ces implantations qui ne sont appuyées sur aucune décision internationale et qui ont un impact sur la population israélienne. Cependant si Israël reconnait juridiquement celles qui ont obtenu les autorisations du gouvernement, d’autres sont appelées «sauvages».
            La Cisjordanie a profité du développement des réseaux routiers et électriques nécessaires pour des raisons sécuritaires. Selon des chiffres officiels le PNB a connu en 2019 une croissance supérieure à 10 % alors qu'il augmentait de 5,5 % par an en Israël sur la même période. Malgré cela les Palestiniens critiquent la politique gouvernementale qui étouffe selon eux leur propre développement, en particulier dans la gestion de l’eau. Le 24 septembre 1995, l'accord intérimaire a scindé la Cisjordanie en trois zones :
- la zone A : (20 % du territoire et 55 % de la population palestinienne) placée sous le total contrôle de l'Autorité palestinienne. Cette zone regroupe les grandes villes palestiniennes, à l'exception de Jérusalem-Est  et de Hébron. La police n'entrent pas dans cette zone.
- la zone B : (28 % du territoire et 41 % de la population palestinienne) placée sous administration civile palestinienne mais où Israël reste responsable de la sécurité ; l'armée est autorisée à y entrer pour faire respecter l'ordre.
- la zone C : (52 % du territoire et 4% de la population palestinienne) qui reste sous contrôle total israélien et où se trouvent l'essentiel des implantations.
     Les zones A et B disposent déjà des attributions d’un mini-État palestinien à l’exception d’une armée et d’une monnaie propre.
     Dans sa dernière position, la résolution 2334 du 23 décembre 2016, le Conseil de Sécurité : «réaffirme que la création par Israël de colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement en droit et constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable». De plus, elle «demande à tous les États, compte tenu du paragraphe 1 de la résolution, de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967».
Mike Pompeo

            Mais les Américains sont venus au secours d’Israël. En novembre 2019, le Secrétaire d'État Mike Pompeo a annoncé que les États-Unis ne reconnaissent plus la colonisation israélienne en Cisjordanie comme contraire au droit international. Il a expliqué que l'avis émis en 1978 par le département d'État est aujourd'hui caduc car «en vérité,  il n’y aura jamais de solution judiciaire au conflit et que les débats sur qui a raison et qui a tort au regard du droit international n’apporteront pas la paix». A ces prises de position, l'Autorité palestinienne affirme que Washington n’est «pas qualifié ou autorisé à annuler des dispositions de droit international et n’a pas le droit de légaliser des colonies israéliennes».
L'ex-chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, ne l’entendait pas ainsi et, pour elle, «la position européenne reste claire et inchangée. Toute activité de colonisation est illégale au regard du droit international et compromet la viabilité de la solution à deux États et les perspectives d’une paix durable, comme le réaffirme la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies».



Israël estime qu'il n'existe pas de frontières définies de jure, pas d'arrangements diplomatiques ni de légitimité légale évidente. Donc le territoire ne peut être considéré comme occupé que si un autre État souverain le revendique. Or il n’est revendiqué que par des populations. C’est pourquoi en Israël, on parle de «territoires contestés» plutôt que de «territoires occupés». Bien sûr, une guerre de juristes alimente le débat des deux clans. Israël veut uniquement s’appuyer sur le «principe de lien historique» et sur l'article 22 du traité de Versailles de 1919 reconnu par la déclaration Balfour, la résolution de San Remo et ainsi que par l'accord Fayçal-Weizmann de 1919 qui reconnaissent le peuple Juif comme «bénéficiaire national de la Palestine».
Les habitants des implantations évitent d’entrer dans les méandres des discussions juridiques et défendent leur droit inaliénable à vivre sur leur terre ancestrale qui est le berceau historique et culturel du peuple juif et le cœur de leur vie religieuse. Ils estiment également que leur installation en Judée-Samarie respecte le droit à la propriété privée. Les communautés religieuses de Yesha (acronyme hébreu pour Judée, Samarie, Gaza) croient au droit du peuple juif à la possession de la terre d'Israël d'après la promesse divine de la Bible. Le peuplement de ce territoire est donc un droit et un devoir pour ces communautés religieuses.
 Les implantations sont administrées par 13 conseils locaux :
1/ Alfei Menashe (7.583 habitants), fondée en 1983 devenue un conseil local en 1987.
2/ Beit Aryeh-Ofarim (4.322 habitants), fondée en 1981 devenue conseil local en 1989.
3/ Beit El (5.899 habitants), fondée en 1977 devenue un conseil local en 1997.
4/ Efrat (7.912 habitants), fondée en 1983 devenue un conseil local la même année.
5/ Elkana (3.871 habitants), fondée en 1977 devenue un conseil local la même année.
6/ Giv'at Ze'ev (14.349 habitants), fondée en 1982 devenue un conseil local en 1984.
7/ Har Adar (3.757 habitants), fondée en 1982 devenue un conseil local en 1995.
8/ Immanuel (3.115 habitants), fondée en 1983 devenue un conseil local en 1985.
9/ Karnei Shomron (6.560 habitants), fondée en 1977 devenue un conseil local en 1991.
10/ Kedumim (4.174 habitants), fondée en 1975 devenue un conseil local la même année
11/ Kiryat Arba (7.166 habitants), fondée en 1968 devenue un conseil local en 1979.
12/ Ma'ale Efrayim (1.098 habitants), fondée en 1978 devenue un conseil local en 1981.
13/ Oranit (7.626 habitants), fondée en 1983 devenue un conseil local en 1990.


Conseil de Yesha
    Ces treize conseils locaux sont regroupés en 6 conseils régionaux : Goush Etzion, Har Hevron, Mateh Binyamin, Megilot, Shomron et Bik'at HaYarden.
      Le succès de ces implantations est dû aux bonnes conditions de vie et à la qualité des services offerts qui vont de la taille des logements à l'éducation ou autres services publics. En raison de hauts salaires, deux fois supérieurs que dans les zones de l’Autorité, des dizaines de milliers de Palestiniens travaillent dans ces implantations, dans la construction en particulier.



   Les Israéliens insistent sur les questions sécuritaires sachant que la distance depuis la plaine côtière jusqu'à la ligne verte (12 km) n'est pas suffisante en cas d'invasion terrestre d’où l’obligation pour Tsahal de conserver les territoires conquis par la guerre. Des infrastructures importantes sont à portée de fusil : l'aéroport international Ben Gourion, la route N° 6 traversant le pays du nord au sud, l'aqueduc national d'Israël et le réseau électrique de haut voltage. De plus, les monts de Samarie dominent les villes de la plaine côtière et leur contrôle réduit le risque de déploiement de roquettes et de missiles de courte portée.
L’annexion existe déjà de facto depuis longtemps en Cisjordanie. Il s’agit simplement d’officialiser cette situation. Elle a un but politique, celui de rallier l'extrême-droite au gouvernement. La seule question en suspens reste l’extension de la souveraineté israélienne sur les implantations illégales.
Les conséquences de l’annexion ont une incidence sur le processus de paix puisqu’elle mettrait en cause la solution à deux États. En annexant les implantations, les Palestiniens se retrouveraient essentiellement avec un archipel de territoires déconnectés. Il n’y aura plus aucun espoir pour un État palestinien, s’il n’y a aucune terre contiguë pour en créer un. Par ailleurs, le statut des Palestiniens n’est pas explicité en ce qui concerne leurs droits, en particulier le droit de vote aux élections israéliennes. Les Israéliens juifs et les Palestiniens vivant en Cisjordanie seraient soumis à des régimes juridiques distincts.
Par ailleurs une annexion engloberait les implantations et toutes les terres autour et parfois certains villages arabes (4% de la population palestinienne). Désespérant de voir un jour la création d'un État palestinien, en raison de l'imbrication des implantations, certains intellectuels palestiniens en viennent à reprendre la vieille idée d'un seul État «binational» qui garantirait aux Palestiniens et aux Juifs israéliens des droits égaux dans toute la Palestine historique. Cette idée, jusqu'ici soutenue seulement par des intellectuels de gauche, avait été reprise par des dirigeants de droite comme l'ancien ministre de la défense Moshe Arens, de son vivant, et le président Réouven Rivlin.
Mais au lieu de présenter un plan alternatif, qui peut être amendé par la négociation, Mahmoud Abbas ne brandit que des menaces de représailles maintes fois appliquées sans succès politique. Il vise en particulier le démantèlement de l’Autorité qui rendrait Israël responsable de la gestion des écoles, des hôpitaux, du bien-être, des services, des salaires et des services de police quotidiens de la population palestinienne. Mais dans ce cas, le prix pour les Palestiniens sera élevé. Une grande désillusion a envahi les dirigeants palestiniens, considérés comme incompétents et corrompus.
   A l’heure actuelle, une Administration civile, bien que gérée par des militaires,  responsable devant les institutions israéliennes, est chargée d’administrer les territoires. C’est pourquoi, pour calmer les esprits Netanyahou évite d’utiliser le terme annexion et modère ses prétentions pour préciser qu' «Israël imposera sa souveraineté à 30% de la zone de Cisjordanie, soit l'équivalent de 50% de la zone C». Cela veut dire que seules certaines implantations légales seront concernées et passeront sous juridiction civile israélienne sans être intégrées à l’État d’Israël. Les terres autour ne seront pas incluses dans le vote de la Knesset et leur statut sera discuté ultérieurement. La création d’un État palestinien prévu par le «plan du siècle» est remise aux calendes grecques. En fait, il s'agit d'une marche arrière bien contrôlée qui ne change pas la situation actuelle des implantations. L’illusion est parfaite.   

1 commentaire:

Jean CORCOS a dit…

Je suis émerveillé par la "novlangue" vendue pour convaincre - encore plus - le public communautaire ici ou francophone en Israël, que "non, ce n'est pas une annexion", mais une "extension de souveraineté" - Erdogan pourrait dire pareil à la frontière avec la Grèce ; pas "des territoires occupés" mais "disputés", etc. On peut tourner dix fois autour du pot, mais les choses sont simples : ces portions de territoires seront annexés en dehors de toute négociation ; et ne pas donner la nationalité israélienne aux Palestiniens vivant sur place rendra crédible l'accusation "d'apartheid" ; ce qui ravira leur soutiens antisionistes radicaux, BDS, etc. Merci Bibi.