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jeudi 17 octobre 2019

Le peuple tunisien a largement tranché


LE PEUPLE TUNISIEN A LARGEMENT TRANCHÉ

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

            

          Le conservateur Kais Saïed, professeur de droit, a remporté à une écrasante majorité de plus de 72% le second tour de la présidentielle tunisienne, avec un taux de participation de plus de 60%. Un puritain, connu pour sa probité et ses idées anachroniques sur les relations entre personnes du même sexe, a été élu contre le magnat des médias Nabil Karoui. Il a remporté tous les gouvernorats et en particulier les régions du sud du pays frappées par la situation économique difficile. Il a été élu malgré son dénigrement des droits égaux en matière d’héritage pour les femmes et sa vision progressive de la décentralisation radicale du pouvoir.



            Cette victoire sans conteste confirme que la population s’opposait au statu quo prôné par les performances ratées des partis laïques qui dirigent le pays depuis 2014, souvent avec la complicité masquée du parti pro-islamique Ennahda. Selon les experts tunisiens les jeunes ont voté majoritairement pour le «vieux» Saïed, 61 ans, face au «jeune» Nabil Karoui. La victoire d’Ennahda qui avait peiné au premier tour de l’élection présidentielle du 15 septembre a été totale aux élections législatives du 6 octobre. Qalb Tounès (Cœur de la Tunisie) de Karoui est arrivé deuxième lors du vote parlementaire.
            L’ampleur de la défaite de Karoui ne peut pas lui permettre de contester le résultat malgré son incarcération jusqu’à la veille du scrutin. Le taux de participation et le nombre de candidats prouvent que la démocratie est vivace en Tunisie. Mais les élections législatives n’ont pas désigné de vainqueur clair ce qui laisse un doute sur le type de coalition qui en sortira. Arrivé en tête, il est fort probable qu’il échoira aux islamistes d’Ennahda de constituer un gouvernement qui sera confronté à des défis énormes : chômage élevé en progression rapide chez les jeunes et surtout corruption généralisée. La révolution du Jasmin n’a pas résolu les problèmes majeurs et malgré la réussite du combat contre les extrémistes par les forces de sécurité.
Avec son épouse Ichraf Chebil

             Derrière chaque grand homme se cache une femme Ichraf Chebil, moderne première dame née à Sfax, fille d’un juge à la Cour d’appel et petite fille de «Sidi Ali Chebil». Élève brillante, elle a fait ses études à l’école française de Sousse et s’est spécialisée en Droit après son bac. Titulaire d’un diplôme d’études supérieures en sciences criminelles, elle est conseillère auprès de la Cour d’appel et vice-présidente du Tribunal de première instance de Tunis. Elle est mère de trois enfants : Amrou, Sarah et Mouna et, malgré les sensibilités islamiques de son époux, n’est pas du genre à porter le voile. Les leçons de Bourguiba n'ont pas toutes été oubliées.
Erdogan et sa femme

            Kais Saïed veut ouvrir une nouvelle page de l’histoire de la Tunisie axée sur la liberté. Il a félicité le peuple tunisien pour la leçon qu’il a donné au monde entier en matière de démocratie et de respect de la constitution. Il a cependant tenu à tranquilliser les sceptiques, en promettant d’être digne de leur confiance. Il a assuré que la Tunisie respectera ses engagements avec ses partenaires, dans le cadre du respect de la continuité de l’État et en a profité de faire une mention spéciale au soutien de la cause palestinienne. Il a promis de relever tous les défis, en premier lieu, économiques. Il a fini par saluer le peuple frère algérien, assurant que sa première visite officielle sera en Algérie, puis en Libye.
            Kaïs Saïed est vu comme le président «antisystème», un système qui a longtemps déçu et avec lequel la Tunisie souhaite rompre. Il est apparu en toute discrétion là où on ne l’attendait pas. Sachant que son adversaire emprisonné jusqu’à la veille ne pouvait faire une campagne électorale normale, il a refusé lui-aussi de faire campagne par souci d’égalité des chances. Mais la grande partie des Tunisiens était déjà convaincue. Enseignant universitaire bénéficiant d’une grande notoriété auprès de ses étudiants, il avait leur estime et celle du public tunisien grâce à sa qualité de constitutionnaliste après la Révolution. Il inspire le sérieux et l’intégrité, une sorte de «Monsieur Propre» face aux mafieux.

            Il a affirmé son dégoût profond de la classe politique ayant détenu le pouvoir depuis la Révolution parce qu’elle a échoué à répondre aux attentes des Tunisiens. Il prône la transformation du pays au moyen d’une gouvernance renversant la pyramide du pouvoir et veut instituer une démocratie directe participative s’opposant à la centralisation.
            On ignore si le pragmatisme du pouvoir le fera évoluer mais à l’échelle internationale, Kaïs Saïed est fermement opposé à la normalisation avec Israël la qualifiant de haute trahison ce qui lui permet d’être apprécié des Palestiniens qui voient en cela un acte noble de solidarité. Mais en revanche il peut inciter à la prudence certains pays occidentaux qui pensent qu’il menace les valeurs modernistes et progressistes de la Tunisie, héritées du président Bourguiba. 

              S'il veut réussir sur le plan économique, il devra compter sur les Occidentaux en ne les inquiétant pas trop avec des mesures trop islamiques. Le retour des touristes étrangers passe par des mesures pour les rassurer alors que la faillite de Thomas Cook, plus grand pourvoyeur de visiteurs, est considérée comme un tsunami sur le tourisme tunisien.   
          Si la politique internationale reste uniquement axée sur celle des pays arabes, alors la Tunisie connaîtra un hiver économique permanent. Il est certain que l'élection de Saïed constitue un tournant historique pour le pays et probablement une nouvelle page à écrire pour les Tunisiens. En attendant les véritables décisions politiques et économiques qui permettront de juger la véritable personnalité du nouveau président, personne ne veut lui intenter un procès d’intention. Mais une certitude, Israël n’attend rien de cette nouvelle gouvernance et les 50.000 Juifs israéliens originaires de Tunisie ne devraient pas voir leur statut changer vis-à-vis d’un pays qui tient toujours à les ignorer tant qu’ils ne disposent que d’un passeport bleu.  
           La communauté juive de Tunisie craint que l'État ferme ses portes aux visiteurs juifs. Au cours de la campagne, Saïed avait déclaré qu'il interdirait l'entrée de Juifs munis de passeports israéliens, précisant que «nous n'avons aucun problème avec les Juifs mais les détenteurs de passeports israéliens ne doivent pas être autorisés à se rendre en Tunisie». Devant la réaction négative des Juifs, il a tenté de calmer la communauté juive locale en affirmant que «les Juifs tunisiens font partie de nous».


3 commentaires:

Ahmed DJEBALI a dit…

Je dirai plutôt que c'est un Président dont les pouvoirs et initiatives sont relativement limités; les prérogatives du Président n'ont rien à voir avec un Président français ou Israélien, tout en étant plus proches de celles du second; il gère les questions internationales et la défense nationale; En cas de blocage institutionnel il a le pouvoir de dissoudre l'Assemblée, mais pour résumer je peux dire que le pouvoir réel est entre les mains de l'ARP (AN) celle qui choisit le chef du gouvernement et qui contrôle ce dernier et son gouvernement... Une petite correction de ce que dit Jacques en début de son article: Depuis 2014 et même depuis 2012, le parti islamiste Ennahdha, contrairement à tout ce que l'on peut lire ces dernières semaines, loin d'être le grand gagnant, sa popularité n'a pas arrêté de dégringoler, de 2 millions de voix en 2014 il est actuellement à environ 800 000 voix aux dernières législatives, ses élus à l'ARP (AN) ont fondu d'au moins un quart par rapport à 2014! Il faut remettre les choses à leur vraie place et se rendre bien compte que la base de ce parti n'arrête pas de s'éroder, c'est pour moi un signe fort important qui prouve combien et malgré les difficultés sociales et économiques, une bonne partie des ex électeurs d'Ennahdha ont ouvert les yeux et les cervelles pour comprendre enfin où était leur intérêt et celui de la Tunisie. Sans prétendre avoir tout résumé, je voudrais ajouter que le cas "Tunisie" est un cas bien plus complexe que ce que certains voudraient bien nous le faire croire.

Seknadje René a dit…

Je ne connais de la Tunisie que ce que j ai pu voir de ce pays lors de quelques voyages d affaires ou de tourisme .Le Français était la langue officielle et à Tunis surtout la plupart des femmes et des hommes étaient vêtu à l occidentale .Pays très agréable d ou les millions de touristes .
Par la suite on a vu ce parti islamiste prendre le pouvoir, puis le perdre .Aujourd hui , il semble revenir au pouvoir mais ce n est pas tout à fait l avis d un commentateur de ce Blog qui a l appui de chiffre précis affirme que ce parti islamiste est en déclin .
Ce que j ai retenu , ce sont les déclarations tonitruantes du nouveau président qui se déclare «  en guerre «  contre Israrl et la plus grande partie de ses déclarations concerne son hostilité à Israrl .
On peut comprendre que ce nouveau Président veut s assurer l appui des islamistes mais de là a en faire gun sujet de déclaration après son élection ´ me paraît montrer qu une grande partie de la population tunisienne est anti Israël .
L économie tunisienne a bien fonctionné grâce au tourisme florissant et à l’implantation de certains grands nom du textile suivis par une cohorte de firme moins connues .
Si l un des deux pans s écroulé , la Tunisie tombera aux mains des islamistes .C est dommage .

Sylvia a dit…

Les Tunisiens sont toujours aussi impressionnés par l'érudition. Ils avaient déjà élu un professeur aux idées progressistes du nom de Moncef Marzouki. Ils ont été déçus. Pourtant lui aussi était anti-Israel et il a meme navigué sur l'un de ces boats for Gaza qui était alors la chose à faire pour les anti-sionistes radicaux.

Que le nouveau Président se soit senti obligé de recourir au fonds de commerce est mauvais signe.