QUAND ISRAËL SNOBAIT LA CORÉE
DU NORD
Par Jacques BENILLOUCHE
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Kim Il-Song et Kim Jong-Ill |
Malgré ses déclarations incendiaires et ses
menaces, la Corée du Nord a eu une approche constructive avec
Israël, quelques années auparavant. Elle était loin alors de menacer Israël
de l’effacer de la surface de la terre : «Israël doit freiner sa mauvaise habitude
d’attaquer les autres quand il est mis au coin et doit répondre aux demandes
internationales de parvenir à la paix et la dénucléarisation du Moyen-Orient».
L’Histoire nous démontre qu’Israël a
raté l’occasion de nouer en 1993 des relations diplomatiques avec la Corée du
Nord, sur injonction des Américains qui n’avaient pas eu le nez assez fin. La tournure des événements aurait certainement modifié le cours actuel. La Corée du Nord avait de gros besoins
financiers pour sauver son économie et nourrir son peuple. Israël pouvait alors
envoyer ses experts agricoles pour dynamiser ses cultures et ses experts médicaux pour
assurer la santé de la population. La Corée dépendait alors de la Chine qui n'avait pas encore pris son tournant économique.
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Eitan Bentsur en 1992 en Corée |
Des responsables israéliens avaient
déclaré le 14 août 1993 que les Etats-Unis s'opposaient à un plan israélien
visant à investir financièrement en Corée du Nord. Israël voyait ainsi un moyen
d’empêcher, en contrepartie, les Nord-Coréens de fournir des missiles
modernisés de longue portée à l'Iran. Selon Eitan Bentsur, directeur
général adjoint du ministère israélien des Affaires étrangères : «La
position américaine est certainement une des insatisfactions et des réserves
concernant les contacts avec la Corée du Nord. Mais cela s'ajoute à la
reconnaissance que l'offre de missiles Rodong en Iran présente un danger très
grave».
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Rodong-1 |
Eitan Bentsur avait supervisé à
l’époque les négociations qui se déroulaient depuis octobre 1993. Il avait
rencontré des responsables nord-coréens à Pyongyang et à Pékin pour les
convaincre de ne pas vendre de nouveaux missiles Rodong-1, également connus
sous le nom de missiles Scud-D, à l’Iran. Ce serait un euphémisme de dire
que les États-Unis voyaient d’un mauvais œil et ils l’ont fait savoir. La
décision de poursuivre les négociations appartenait au premier ministre Yitzhak
Rabin et au ministre des Affaires étrangères Shimon Peres. Bentsur était en
contact étroit avec l'ambassadeur des États-Unis en Israël, William
Brown. Brent Byers, attaché à l'ambassade des États-Unis à Tel Aviv, avait
laissé filer quelques indiscrétions tout en donnant l’impression de refuser de
commenter l’affaire. Bentsur avait prévenu qu’en cas de refus d’Israël, les
Coréens prendraient la décision d’expédier dès octobre des missiles, d'une
portée d'environ 1.130 kms.
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Scud Tel-Aviv |
La Corée du Nord fournissait des
missiles Scud non seulement à l'Iran, mais aussi à l'Irak et à la Syrie. D’ailleurs,
pendant la guerre du Golfe Persique, des missiles Scud étaient tombés sur la
région de Tel-Aviv. Compte tenu de ce risque, pour Bentsur : «L'objectif
numéro un d'Israël était d’éviter la livraison de missiles en Iran». Les
États-Unis avaient confirmé sournoisement que la décision finale était entre
les mains du gouvernement israélien mais ils avaient attiré l’attention
sur les conditions incertaines des investissements dans le pays.
La presse israélienne avait publié
des détails concernant l'accord d'investissement israélien pour la vente à
Israël, en espèces, d'une mine d'or nord-coréenne devant être reconstruite
suite à sa destruction pendant la guerre de Corée. Il s’agissait d’un
investissement de 1 milliard de dollars qu’Israël comptait faire souscrire à
des Juifs à travers le monde. Le ministère des
Affaires étrangères avait suggéré que cette reconstruction soit confiée à la
société Merhav, détenue par l'homme d'affaires Yossi Maiman, avec la participation
du milliardaire Shaoul Eisenberg, expert en affaires en Extrême-Orient. En
retour, les Coréens avaient accepté de reconnaître immédiatement Israël et d’entretenir
des relations normales et étroites.
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Yossi Meiman |
La radio israélienne avait cependant
signalé que les membres du Conseil israélien de sécurité nationale avaient
informé le vice-ministre des Affaires étrangères Yossi Beilin, que les
États-Unis s'opposaient aux contacts entre Israël et la Corée du Nord tant que
la Corée refusait d'autoriser l'inspection étrangère de ses sites nucléaires.
La Corée du Nord, qui tenait
absolument à une collaboration avec Israël, pouvant s’étendre à d’autres
domaines d’expertise, avait accepté de permettre aux Nations Unies de reprendre
les inspections. Elle avait même adouci sa position après des mois de négociations
tendues, suite à sa décision de se retirer du traité pour
stopper la propagation des armes nucléaires. Mais malgré l’acceptation de Pyongyang
de suspendre son retrait du traité, le secrétaire d'État Warren Christopher
avait refusé de donner à Shimon Peres le feu vert pour les plans
d'investissement israéliens. Immédiatement après, une réunion entre
responsables nord-coréens et israéliens à Pékin avait causé un malaise à la
fois à Washington et à Téhéran.
Cependant l’affaire n’a pas pu être
conclue car l'agence de surveillance nucléaire des Nations Unies avait accusé
la Corée du Nord de continuer à restreindre l'accès à deux sites nucléaires et
avait déclaré qu'un accord sur les inspections complètes semblait bloqué. Des experts
de l'Agence internationale de l'énergie atomique étaient revenus d’une visite
d'une semaine en Corée du Nord et avaient déclaré qu'ils n'avaient été
autorisés qu’à effectuer que des travaux de maintenance sur les équipements de
surveillance des usines. En fait, les installations étaient soupçonnées
d'être utilisées dans le cadre d'un programme de production d'armes nucléaires.
Bentsur avait
été chargé de dire aux Coréens que les pourparlers avaient été gelés.
Mais Israël gardait cependant ses
contacts puisqu’il continuait à exporter de l’or vers la Corée malgré
l’interdiction imposée par l’ONU en 2006. La résolution 1718 du Conseil de
sécurité de l’ONU avait été adoptée en réponse au programme de la Corée du Nord
visant à développer des armes nucléaires. Celle-ci interdit les exportations de
produits de luxe vers cette nation asiatique secrète dirigée par Kim Jong-Un.
David Houri, directeur du service des
exportations au sein de l’administration fiscale israélienne, avait évalué le
transfert d’or vers la dictature asiatique comme équivalant à une somme de
400.000 dollars sur les dernières années. Le travailliste Eitan Cabel avait reconnu que «les citoyens nord-coréens ne voient sans
doute pas la couleur de cet or, eux qui ne mangent pas à leur faim». Il avait mis cet échange sur le compte d’une légèreté du ministère de
l’Économie, qui aurait négligé pendant des années d’avertir le Parlement de la
disposition nouvelle de l’ONU.
À partir de 2011, Israël envoyait,
en plus de l’or, des livres et des implants dentaires vers la Corée du Nord
ainsi que des produits médicaux et de la nourriture. Depuis 2014, cet horizon
s’était encore restreint aux seuls médicaments et nourriture, mais il n’était
plus question d'or. David Houri avait, de sa propre initiative, empêché
plusieurs départs d’or vers le pays de Kim Jong-Un parce que ces exportations représentaient
selon lui «une honte» pour l’État hébreu. Depuis, tout produit destiné à quitter le sol
israélien vers la Corée du Nord est soumis à une autorisation du ministère de
l’Économie qui doit délivrer un permis.
Il n'est pas certain que la
Corée du Nord ait eu l'intention de signer un accord, ni aucune garantie qu'elle l'aurait respecté. Eitan Bentsur, âgé aujourd’hui de 79 ans, considère son échec avec
philosophie : «Le problème, c'est qu'il a été dit qu'il n'y avait
pas de partenaire au sujet de cette initiative. Mais nous avions déjà dit qu’il
n'y avait pas de partenaire à propos de Sadate, et nous avons été frappés par
la guerre de Yom Kippour. Il y avait une certaine opportunité en Corée alors
qu'un tyran mourrait et qu'un autre tyran se préparait à s'installer, et nous
l'avons manqué. Et maintenant, la Corée du Nord menace la paix mondiale».
Il est évident qu’on ne peut pas refaire
l’Histoire mais peut-être que les événements auraient été différents
aujourd’hui, si Israël n’avait pas été soumis au diktat des Américains qui avaient imposé de
rompre tout contact avec la Corée du Nord.
1 commentaire:
Je ne sais pas... avec des dirigeants nord-coréens aussi imprévisibles -c'est un euphémisme- si ça valait la peine de s'engager dans un partenariat économique...Et si Israël l'avait fait, tous les beaux esprits européens et israéliens auraient accuse Israël de frayer avec une des pires dictatures du monde, alors ?
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