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mardi 31 octobre 2017

Israël et les Etats-Unis divergent sur la Syrie



ISRAËL ET LES ETATS-UNIS DIVERGENT SUR LA SYRIE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

       
Assad et ses généraux
          Israël et les Etats-Unis ne font pas la même analyse sur la Syrie et divergent sur l’avenir qu’ils souhaitent à Bachar Al Assad. Les Américains poussent Assad vers la sortie en ressortant les accusations d’attaques au gaz sarin pour justifier leur position. La déclaration du secrétaire d’État, Rex Tillerson, est limpide : «Nous ne pensons pas qu'il y ait un futur pour le régime Assad et la famille Assad. Je pense l'avoir dit à plusieurs occasions. Le règne de la famille Assad arrive à sa fin, la seule question qui reste est de savoir comment cela sera provoqué». Ces propos ont fait grincer des dents les alliés de Bachar el-Assad et en particulier l'ambassadeur russe aux Nations unies, Vassily Nebenzia, qui lui a répondu : «Nous ne devrions pas anticiper l'avenir, le futur seul sait ce qui attend chacun».





            En revanche Israël, qui n’a jamais pris position officiellement dans le conflit syrien, préfère le régime séculier d’Assad à un pouvoir islamiste chiite. L’Arabie saoudite a aussi précisé qu'elle opterait pour une Syrie russe plutôt qu'une Syrie iranienne. Mais l’effondrement de Daesh a radicalement changé les contours du Moyen-Orient ; l’armée syrienne, les Turcs et les Kurdes se disputent à présent les nombreuses terres occupées par l’organisation terroriste sunnite. Al Assad, qui avait été contraint de se réfugier dans son réduit alaouite créé par la France après la Première Guerre mondiale, contrôle à présent deux tiers de la Syrie. Mais c’est sans compter sur la Russie, alliée aux forces iraniennes, qui a des visées stratégiques nouvelles.

            Cependant, l’alliance russo-iranienne est superficielle et contre-nature. En effet, rien n’unit la Russie et l’Iran, l’une dictature laïque et l’autre fondée sur l’islamisme radical. Il est donc difficile de prévoir les bases sur lesquelles ces deux pays peuvent envisager une coopération quelconque. Une certitude cependant, la Russie tient à l’existence du régime d'Assad, sans aucun complexe quant à son caractère dictatorial, pourvu qu’il maintienne sa loyauté absolue envers Moscou.

            Tout n’a pas été idyllique entre l’Iran et la Russie puisque, à l’avènement de la révolution de 1979, l’Iran avait rompu ses liens avec l’Urss qualifiée alors de «Satan». D’ailleurs de 1980 à 1988, la Russie avait aidé l’irakien Saddam Hussein dans sa guerre contre les Mollahs. Les relations russo-iraniennes ne se sont bonifiées qu’à la dissolution de l’Urss lorsque la Russie avait construit, en 1992, le réacteur nucléaire iranien à Bushehr. Poutine a poursuivi dans la même voie en signant des accords dans les domaines militaire et énergétique, par intérêt, car les deux pays ont été soumis aux sanctions de l’Occident pour ensuite se retrouver dans la même coalition militaire.
Bushehr

            Les relations entre la Russie et l’Iran n’ont pas été de tout repos en raison des conflits d’intérêts. En 2015, alors que la Russie se débattait pour organiser un cessez-le-feu, Téhéran poussait ses milices chiites à le violer car les Iraniens voulaient uniquement accaparer le pouvoir militaire dans la région. De son côté, la Russie recherche à présent une autre voie ; elle veut mettre fin à la guerre si elle est assurée de garder pour longtemps ses bases navales et aériennes au nord-ouest de la Syrie. Mais cela n’efface pas leurs divergences sur l’avenir de la Syrie. La Russie veut maintenir le régime séculier d'Assad sans se soucier de son aspect dictatorial, sous réserve qu’il reste loyal vis-à-vis d’elle et qu’il continue à se fournir en armement russe.

            Mais l’Iran a d’autres prétentions car la Syrie fait partie de son projet chiite prévoyant que le sud de la Syrie, incluant une partie de Damas, reviendrait sous le contrôle du Hezbollah et des milices afghanes et irakiennes, avec le concours des Gardiens de la révolution. Par ailleurs, l’Iran n’a pas abandonné ses visées sur Israël et sur le Golan et a donc besoin d’une route vers le Liban à travers l'Irak et la Syrie. Sa vision politique repose donc sur une Syrie sous mainmise des religieux chiites après neutralisation des cheikhs alaouites. D’ailleurs, pour montrer leur implication dans la région, les Chiites n’ont pas hésité à organiser à Damas, capitale du monde sunnite, des cérémonies chiites en public. La Russie se rend compte ainsi tardivement que son intervention en faveur d’Assad a généré un règlement de compte entre les Chiites et l'organisation sunnite.
            Malgré son alliance, la Russie se méfie du Hezbollah, marionnette entre les mains de l’Iran. Elle cherche donc à renforcer les forces syriennes et préfère convaincre les milices fidèles au régime Assad de rejoindre l’armée régulière ; cela permettra de sécuriser le contrôle russe des zones conquises par les rebelles modérés et par Daesh afin d’empêcher l'Iran de s’en saisir. À cet effet, la Russie a créé, armé et entraîné deux nouvelles brigades syriennes pour contrecarrer l’influence du Hezbollah qui, sournoisement, a pris le contrôle de quartiers entiers d'Alep et de Damas puis a établi des bases permanentes islamiques le long de la frontière avec le Liban sous le contrôle des Gardiens de la révolution. 

          Cependant, tant que l’éradication de Daesh n’est pas terminée et que les Kurdes remportent des succès, la coopération des Russes et des Iraniens est toujours nécessaire. Il est vrai que les Russes évoluent puisqu’ils envisagent, par intérêt pétrolier, un compromis avec les Kurdes qualifiés par l’Iran «d’agents de l'ennemi sioniste et une menace pour l'accomplissement du Projet chiite».
            En fait la Russie, mesurant le danger d’un Iran entreprenant, n’hésite plus à porter indirectement atteinte aux forces loyales à l'Iran. Dans cet esprit, elle a mis en place une coordination avec Israël et renforcé ses relations avec l'Arabie Saoudite, deux pays ennemis de l’Iran. La visite à Moscou du roi Salman a été surprenante quand on sait que l'Arabie Saoudite soutient l'opposition syrienne. Cela explique aussi pourquoi la Russie ferme les yeux sur les bombardements israéliens contre des bases du Hezbollah en Syrie. Les Russes sont pragmatiques et s’intéressent à l’après-guerre. Ils sont conscients que seuls les pays riches pourraient participer à la reconstruction de la Syrie, à savoir l'Arabie Saoudite et les États du Golfe et d'une certaine mesure Israël.

            Lors de la conférence d'Astana, la Russie, l'Iran et la Turquie avaient discuté de l'avenir de la Syrie. Les Russes avaient déjà proposé de superviser l'évacuation du Hezbollah de Syrie. Dans un premier temps, le Hezbollah serait concentré dans une zone définie puis ensuite, ses miliciens retourneraient au Liban avec toutes les risques de déstabilisation pour ce pays. Aujourd’hui, les conséquences sont claires ; le régime syrien n'a pas été renversé et s’est au contraire consolidé tandis que l'option de le remplacer est caduque, a fortiori aux yeux d’Israël. Même si les Occidentaux sont certains que la Syrie ne sera jamais une démocratie, ils récusent toute idée de la transformer en un émirat islamique. D’ailleurs, l'Arabie Saoudite et Israël ont déjà confirmé aux Russes qu'ils préféreraient voir une Syrie russe plutôt qu'une Syrie iranienne. Mais sur ce point, les Etats-Unis et Israël divergent. Les Américains ne semblent pas avoir tiré les conséquences de la chute des dictatures irakienne, libyenne, tunisienne et même égyptienne qui ont été remplacées par des régimes islamistes.



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