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mercredi 11 octobre 2017

Les Égyptiens ont raté le coche avec leurs Juifs



LES ÉGYPTIENS ONT RATÉ LE COCHE AVEC LEURS JUIFS

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps
            

          Trois pays arabes au moins ont raté le coche avec leurs Juifs : la Tunisie, l’Égypte et la Libye. Le suivisme arabe n’a pas permis à ces pays arabes de reconnaître la création de l’État d’Israël en 1948. Cette décision aurait rassuré les nombreux Juifs très intégrés depuis des siècles dans ces pays sans aucune intention de les quitter, malgré la propagande sioniste intense de l’époque. Ils ne voyaient aucune raison majeure de quitter leur pays natal. Aujourd’hui la question légitime se pose de comprendre comment la communauté juive d’Égypte, installée avant les Arabes et bien avant l’ère chrétienne, a pu ainsi totalement disparaître du paysage local.


Juifs égyptiens

            Les Juifs égyptiens constituaient pourtant la plus vieille communauté juive du monde en dehors d'Israël. Dans les papyrus d'Éléphantine, couvrant la période de 495 à 399 av. J.-C, il est fait mention d'une communauté de soldats juifs chargés de garder la frontière égyptienne pour le compte de l'Empire achéménide. L'histoire des Juifs alexandrins date de la fondation de la ville par Alexandre le Grand en 332 av. J.-C, à laquelle ils ont participé. Mais cette grande communauté fut pratiquement anéantie par l'armée de Trajan, lors d'une révolte en 115-117.
            L'invasion arabe de l'Égypte fut soutenue par les Coptes et les autres Chrétiens, mais aussi par les Juifs, en délicatesse avec l'administration corrompue du patriarche Cyrus d'Alexandrie. En effet, les Juifs avaient souffert avec les anciens maîtres de l'Égypte. En 629, l'empereur Héraclius avait chassé les Juifs de Jérusalem, entraînant leur massacre d'un bout à l'autre de l'empire, y compris en Égypte. Le Traité d'Alexandrie du 8 novembre 641, qui scella la conquête arabe de l'Égypte, stipula expressément que les Juifs étaient autorisés à rester dans la ville. Lors de la conquête de la ville, Amru ben al-As, dans sa lettre au calife, relata que 40.000 Juifs y vivaient. Rien n’a été écrit sur les Juifs sous les califes omeyyades et abbassides (641-868), mais le règne des Fatimides fut dans son ensemble favorable aux Juifs. Des écoles talmudiques furent crées tandis que des Juifs purent accéder à des positions élevées dans la société égyptienne, comme Ya'qub Ibn Killis.
            Au commencement du XIIe siècle, un Juif du nom d'Abu al-Munajja ibn Sha'yah, fut nommé à la tête du département de l'agriculture. Il avait construit l’écluse du Nil en 1112 qui porta son nom «Bahr Abi al-Munajja». Le vizir Al-Afdhal (1137) avait nommé un Juif comme ministre des finances. La vie des communautés juives d'Égypte au XIIe siècle fut relatée par les témoignages d’érudits juifs et par des voyageurs. Ainsi vers 1160, Benjamin de Tudèle porta un témoignage sur les communautés juives rencontrées en Égypte précisant qu’au Caire vivaient 2.000 Juifs, à Alexandrie 3.000, à Damiette 200, à Bilbeis 300 personnes et à Damira 700.
Benjamin de Tulède

            L'orthodoxie rigide de Saladin (1169-1193) n’avait pas affecté les Juifs de son royaume. En 1166, Maïmonide se rendit en Égypte et s'installa à Fostat, première capitale de l’Égypte, en tant que médecin. Il soigna la famille de Saladin et de ses successeurs ce qui lui permit d’obtenir le titre de «Raïs al-Umma» (chef de la Nation). Il y écrivit son Mishné Torah (Répétition de la Torah) en 1180 et le Moré Névoukhim (Guide des égarés).
            Sous la dynastie mamelouke des Baharites (1250-1390), les Juifs menèrent une existence relativement paisible, bien qu'ils fussent obligés de payer de lourdes taxes pour l'entretien des équipements militaires, et qu'ils fussent harcelés par les musulmans rigoureux. Le 22 janvier 1517, le sultan turc, Selim Ier, prit le pouvoir en écrasant Tuman Bey, le dernier sultan mamelouk. Il effectua des changements radicaux dans l'organisation des communautés juives et nomma Abraham de Castro «Maître de la Monnaie».

            L'invasion de l'Égypte par Napoléon en 1798, avec son apport d'idées et de technologies nouvelles de l'Occident, marqua un tournant dans l'histoire des Juifs du Moyen-Orient. Les Juifs européens devinrent une sorte de modèle, tandis que la modernité pénétra dans les mœurs. Les puissances européennes jouèrent un rôle de plus en plus important dans la protection des Juifs et des autres minorités.
            Alors que la guerre civile aux Etats-Unis entraîna l'arrêt des exportations du coton américain, l'Égypte devint vers 1860 un exportateur majeur de coton vers la France et l'Angleterre. L'enrichissement considérable qui s'ensuivit lui permis d'entreprendre de grands travaux, comme la construction du canal de Suez en 1869. À cette occasion, le pays attira de nombreux hommes d'affaires, y compris des Juifs, et la population juive s'accrut. Les crises économiques et politiques consécutives à une modernisation trop rapide conduisirent à l'occupation pure et simple de l'Égypte par l'Angleterre afin d'assainir son économie. Elle se transforma en protectorat en 1914 qui ne prit fin qu'avec son indépendance, en 1936. La condition juive changea à partir de 1919, lorsque les Anglais accordèrent une indépendance nominale au pays tout en gardant le contrôle sur différents domaines, notamment la protection des droits des minorités, et donc des Juifs.
            La communauté juive comprenait environ 7.000 personnes au milieu du XIXe siècle et 25.000 au tournant du XXe. On dénombrait 60.000 Juifs vers 1918, et environ 80.000 vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L'essor démographique des Juifs s'expliqua en partie par les migrations sépharades à partir de divers pays de l'Empire ottoman. Celles des Achkénazes d'Europe de l'Est connurent un net accroissement lorsque 11.000 Juifs ashkénazes chassés du Yichouv par les Ottomans en 1914-1915 vinrent grossir leur nombre en Égypte. Tous ces émigrés Juifs s'installèrent au Caire et à Alexandrie.

            Les Juifs d'Égypte se caractérisaient par une hétérogénéité culturelle parce qu’ils avaient conservé intacte la marque de leurs origines historiques et géographiques. Au plus bas de l'échelle socio-économique, les Juifs indigènes (15%) avaient intégré la culture égyptienne et parlaient l'arabe égyptien, ils étaient concentrés dans le quartier Juif du Caire. Au même échelon, les Juifs originaires de pays arabes de l'Empire Ottoman, d'Afrique du Nord et du Yémen, restés fidèles à leurs traditions et usages, étaient regroupés dans les quartiers pauvres d'Alexandre et de Port-Saïd. Quelques familles d'Afrique du Nord, de Syrie ou d'Irak, actives dans le commerce international, appartenaient aux classes moyenne et supérieure, elles avaient assimilé la culture des classes égyptiennes supérieures. La communauté comprenait, en outre, des Juifs de la péninsule Ibérique, des Juifs grecs et des Juifs italiens fortement identifiés à la culture italienne même sous le régime fasciste de 1942-1944.
Juifs égyptiens

            Les Sépharades, divisés en groupes différenciés socio- économiquement, faisaient partie de la communauté juive dans son ensemble tout en conservant leur identité propre dans leurs rites, leurs synagogues et leurs organisations. Comme les Sépharades, les Achkénazes formaient des sous-groupes, chacun avec ses coutumes et la langue particulière au pays d'origine, soudés toutefois par une langue commune, le yiddish, parlée par 90% d'entre eux.
            Après la Première Guerre Mondiale, les Juifs rejoignirent le parti politique de gauche Wafdt et d'autres œuvrant pour l'indépendance de l'Égypte et la fin de l'occupation britannique au risque de leur vie pour certains, comme David Hazan, condamné à mort par les Anglais en 1923. Le Parti communiste égyptien, fondé au début des années 1920, s'enracinait dans le mouvement socialiste juif Bund, crée en 1905 par les Juifs ashkénazes au Caire. Les Juifs adhéraient au discours politique égyptien prônant une solution marxiste aux problèmes de la société et une identité nationale fondée sur la laïcité. Certains faisaient partie du Parlement égyptien jusqu'en 1960, notamment le grand rabbin Haïm Nahum.
            L’arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, bouleversa cet équilibre entre Juifs et Égyptiens. La propagande antijuive nazie gagna du terrain parmi la communauté allemande en Égypte, ce qui suscita la formation d'associations juives luttant contre l'antisémitisme qui eurent un succès limité car l'Allemagne était un partenaire économique important de l'Égypte. Avec la poussée allemande en Afrique du Nord vers l'Égypte, les Juifs cherchèrent refuge au Caire. Ils participèrent à l'effort de guerre, soit en combattant dans les armées alliées, soit en prenant part à la défense civile.
            Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la communauté manifestait aucun intérêt pour le sionisme mais les Egyptiens n’en tinrent pas compte. Et pour preuve ; en réponse aux violentes manifestations du 2 novembre 1945 en faveur de la Déclaration Balfour, et aux émeutes accompagnées de l'incendie de synagogues et du pillage de magasins juifs au Caire, le grand rabbin de l'époque réagit, dans une lettre au Premier ministre d'Égypte, en se dissociant de la revendication d'un État juif en Palestine. L'activité sioniste légale fut faible jusqu'en 1947 en raison des désaccords liés aux écarts socio-économiques, aux tensions ethniques entre Sépharades et Achkénazes et au pluralisme linguistique.
            Les 80.000 Juifs, qui vivaient en Egypte en 1948, quittèrent le pays en trois vagues. La situation des Juifs d’Égypte s’était peu à peu dégradée après 1948. Ils furent suspectés d’être des sympathisants sionistes et de nombreuses personnes furent emprisonnées et leurs biens séquestrés. Environ 20.000 Juifs quittèrent l’Égypte entre mai 1948 et janvier 1950 et beaucoup partirent pour Israël. La chute du roi Farouk ne rassura pas une communauté déjà visée par le gouvernement égyptien. Le coup d’État qui avait instauré la république épargna dans un premier temps la communauté mais l’arrivée au pouvoir de Gamal Abdel Nasser qui nourrissait des desseins nationalistes et panarabistes inquiéta encore un peu plus la communauté juive du pays. Alors que Nasser ambitionnait de réduire l’influence européenne à l’intérieur du pays, la crise du canal de Suez d’octobre 1956 fut l’occasion d’expulser une partie des populations étrangères, y compris les Juifs égyptiens dont les biens avaient été confisqués. Mais Israël ne fut pas la destination privilégiée. Le choix de la France fut une évidence pour de nombreux juifs d’Égypte par suite d’un attachement culturel au pays.
Nasser et la Guerre de Six-Jours

            À la suite de la Guerre des Six-Jours de 1967, le gouvernement égyptien envoya des Juifs, plus de 500, dans des prisons et des camps de prisonniers. Même le Grand Rabbin d'Alexandrie avait été arrêté. Enragés de leur incapacité à vaincre l'État juif, les Égyptiens ont transformé leur colère contre les Juifs qui ont été enfermés pendant de long mois après la fin de la guerre, certains jusqu’en 1970.
Synagogue au Caire

            Aujourd’hui les synagogues sont vides et six femmes âgées vivent encore au Caire, une douzaine à Alexandrie sous la responsabilité de Youssef Gaon. L'Égypte compte une dizaine de synagogues et d'innombrables objets religieux, souvent délaissés. Les Arabes n’avaient pas compris que les Juifs, en majorité apolitiques, n’entrevoyaient pas de vivre ailleurs qu’en Égypte parce qu’ils se qualifiaient d’abord d’Égyptiens et qu'ils étaient viscéralement attachés à leur pays natal. S’ils avaient épargné les Juifs comme dans tous les autres pays occidentaux, le cours de l’Histoire de l'Egypte aurait, peut-être, été changé.



4 commentaires:

Paul ACH a dit…


Jacques Benillouche nous raconte ou plutôt nous conte la vie des Juifs en Égypte depuis l'Antiquité.
Cette Communauté fut florissante de certains de ses Membres occupèrent des Postes de Première Importance.
Maintenant, pouvons-nous parler de "Communauté Juive Égyptienne", alors qu'elle est réduite à quelques Personnes Âgées ?

Ghassan NADER a dit…

je regrette l'utilisation du terme arabe pour désigner les 'Autres' égyptiens. c'est assez flagrant dans un document qui dénombre la diversité culturelle et les différentes communautés juives qui comptent quelques dizaines des milliers de personnes; et met 200 millions des 'Autres' sous une même étiquette, presque péjorative. ça aura été, à mon avis, bcp plus pertinent de parler d'égyptiens et non pas d'arabes.
A part ça, j'ai beaucoup appris en lisant cet article

AMMONRUSQ a dit…

Ils ne furent pas les seuls à ne pas tenir compte de nos communautés dans ce pays d'Egypte et du moyen-orient en général, hélas.
Maintenant il est trop tard !

HAalg a dit…

Il est intéressant de savoir un peu plus sur les Juifs de l'Algérie, mon pays où j'y vis, en tant qu'Algérien de souche profonde, depuis ma naissance. Les faits historiques connus permettent de bien apporter la clarté, s'agissant de la présence des Juifs en Afrique du Nord, lorsqu'on est face aux anti-sémites locaux, sevrés encore au biberon de l'arabo-islamisme désuet , poison anti-juif importé du Proche Orient.