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mardi 25 juillet 2017

Israël et la peine de mort



ISRAËL ET LA PEINE DE MORT

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
    
          À chaque fois qu’un terroriste ne tombe pas sous les balles de la police ou de l’armée et qu'il en réchappe, le problème de la peine de mort se repose en Israël. Le débat vient encore de s’ouvrir avec le Palestinien de 19 ans, Omar al Abed, blessé et soigné dans les hôpitaux israéliens, après le meurtre qu’il a commis contre la famille Solomon de Halamish (Neve Tsouf). Le soldat en permission qui l’a neutralisé n’a pas visé la tête, il aurait pu, mais le ventre le laissant ainsi en vie.



Grand rabbin Yitzhak Yossef

            Fidèle à ses prises de position extrêmes, le grand rabbin Yitzhak Yossef a consacré son sermon en mémoire de la famille Halamish : «Dommage que le terroriste n’ait pas été tué». Il a même reproché au soldat de l’unité Egoz de ne pas l’avoir tué sur place et ne comprend pas pourquoi il a été seulement blessé. Pour lui, «tout Arabe, tout terroriste, qui vient tuer, ne doit pas sortir en vie. Il doit être tué, pas blessé».
            Israël a aboli en 1954 la peine de mort qui ne peut plus s’appliquer que dans le cadre d’un «génocide, de crime contre l’humanité, de crime de masse, de trahison ou de crime contre le peuple juif».  Depuis la création de l’État, elle n’a été appliquée qu’une seule fois contre le criminel nazi Adolf Eichmann, exécuté à Jérusalem le 31 mai 1962. Mais, avant la cration de l'Etat, Israël garde en mémoire l’erreur judicaire en la personne de Meir Tobiansky dont le cas fut le plus grave et scandaleux puisque soupçonné a tort de trahison. Il avait été exécuté par un peloton d'exécution après un procès bâclé pendant la guerre d’Indépendance en 1948. Il a fallu plusieurs années pour que son innocence soit reconnue et son nom réhabilité.

          L’État juif adopte ainsi une position ambivalente alors que les considérations sécuritaires sont fondamentales dans le pays. Israël a confirmé sa position en votant pour la résolution de l’ONU du 18 décembre 2008, impliquant un moratoire mondial sur les exécutions. Mais les pays étrangers refusent de placer Israël parmi les pays abolitionnistes puisqu’il existe encore, dans la loi israélienne, des cas d’application de la peine de mort. 
            Les nationalistes israéliens veulent d’ailleurs s’appuyer sur les cas précis soulevés pour exiger la peine de mort pour les terroristes. Ils n’ont pas besoin d’un nouveau texte législatif puisque l’interprétation est libre. Ils évitent cependant d’analyser les raisons de la loi de 1954 fondée sur la violence insensée et sur les crimes en rapport avec la Shoah. Mettre sur un même pied d’égalité les crimes de droit commun, voire la violence terroriste, risque en effet de banaliser les crimes nazis pour lesquels la loi a été votée.
          Il ne semble pas que la classe politique soit en faveur de la peine de mort. L’assemblée plénière de la Knesset du 17 juin 2015 avait rejeté en lecture préliminaire une proposition de loi qui instituait la peine de mort pour les terroristes condamnés. Ce texte aurait rendu plus facile aux tribunaux militaires et aux districts de condamner à mort les personnes reconnues coupables d’assassinat avec des motifs nationalistes. Une grande majorité de la Knesset s’est opposée à ce projet puisque seuls 6 députés ont voté en sa faveur alors que 94 autres, présents, ont voté contre.



            Israël n’a pas choisi la voie abolitionniste pour des raisons juridiques mais par tradition et sur la base d’une interprétation religieuse. Il est vrai que la loi religieuse reconnaît la peine de mort comme une punition juste et indispensable mais il s’avère à l’usage que l’application de la loi dans le cadre religieux est limitative.  Selon la tradition rabbinique, Maïmonide au 12ème siècle avait écrit : «il est préférable d’acquitter mille personnes coupables que de mettre un innocent à mort». C’est pourquoi les règles religieuses sont très strictes ; deux personnes au moins doivent témoigner du meurtre ; les proches de la victime sont exclus des témoins admissibles ; enfin les témoins doivent avoir prévenu l’auteur du crime de leur responsabilité et de la possibilité d’exécution. Maimonide craignait que la mort relève uniquement du «caprice des juges».  
Maïmonide

            Ainsi, le rabbin Yossef Edelstein de l'Université George Washington, a exprimé son opinion : «théoriquement, la Torah peut être interprétée comme étant en faveur de la peine de mort. Il n’est pas moralement impossible de mettre quelqu’un à mort. Cependant, les perspectives changent quand on s’intéresse à la mise en pratique d’une législation qui semble dure. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est difficile en pratique d’exécuter un être humain dans la société juive. Je crois qu’à la lumière de la jurisprudence juive, la peine capitale telle qu’elle est présentée dans la Torah et appliquée par les plus grands Sages de notre religion, symboles même d’humilité et d’humanité, ne ressemble en rien à celle qui est mise en œuvre de nos jours en Amérique. Elle fut pratiquée en Israël ancienne une fois tous les sept ans, et non 135 fois en cinq ans et demi».


rabbin Yossef Edelstein

            On en déduit que la tradition rabbinique confirme les positions abolitionnistes de l’État juif et de la diaspora juive. Les termes de la loi de 1954 sur la peine capitale reflètent en fait l’héritage de ces coutumes.
            Si Israël voulait recourir à la peine de mort, la tradition juive et la loi de 1954 ne seraient pas un obstacle car seules les considérations sécuritaires priment sur les considérations morales. En effet, comme dans toutes les lois, on peut interpréter à sa façon les textes et les expressions «crime contre le peuple juif» et «trahison» qui couvrent tous les horizons du terrorisme.  Il est vrai que face au développement des actes terroristes sanglants contre des femmes et des enfants, les appels pour le rétablissement de la peine de mort se multiplient car certains sont convaincus que l’échafaud pourrait avoir un effet dissuasif. Mais cela est valable pour des personnes raisonnables, normalement constituées, et non pour des candidats au suicide. Les jeunes terroristes savent qu’avec Israël, la mort est certaine au bout du chemin, à de rares exceptions près, et pourtant la mort n’est pas dissuasive.
Sigle du Shabak

            En revanche, les services israéliens de sécurité intérieure (Shabak) sont intéressés à capturer un assassin vivant car ils peuvent alors obtenir de précieuses informations sur le réseau, le commanditaire, les caches d’armes et les attentats planifiés. La théorie du loup solitaire est surfaite; les terroristes sont guidés par des gourous. Au contraire, le Shabak est persuadé de sauver plusieurs vies juives en laissant la vie à un tueur. La mort pour lui pourrait paraître un soulagement alors que vingt ou trente ans de prison risquent d’être un calvaire physique et psychologique, sans compter la levée de boucliers prévisible des nations «libres» contre des méthodes de mise à mort d’un autre temps. Israël est suffisamment pointé du doigt dans le monde pour donner une autre raison d’être voué aux gémonies.  


1 commentaire:

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

Et même en ce qui concerne la peine de mort appliquée au criminel de guerre Eichmann, cela ne s'est pas passé sans controverses.
Sans parler d'Anna Arendt qui n'a vu en lui que le pion d'une organisation criminelle qui le dépassait, qui ne faisait qu'obéir aux ordres, et dont la responsabilité était donc atténuée, il y eut cette pétition d'intellectuels pétris de philosophie qui ne se résignaient pas à voir Israël - qui devait selon eux, représenter les Juifs du monde entier - se comporter comme un état ordinaire en appliquant la peine de mort.

Très cordialement.