Roi de Jordanie Abdallah II |
Le souverain hachémite sera le premier dirigeant arabe reçu par le président Biden. Une marque d’honneur qui souligne l’importance donnée à sa visite. Après la mise à l’écart de la Jordanie par Trump et Netanyahou, la réintégration d’Amman comme partenaire régional et interlocuteur compte. C’est aussi le retour de Washington à une politique traditionnelle avec l’un de ses alliés régionaux le plus fidèle. Ce sommet permettra d’aborder les conditions de l’assistance américaine par la nouvelle équipe et donnera l’occasion au roi d’exprimer sa position sur les relations israélo-palestiniennes et sur d’autres sujets régionaux.
Joe Biden et le roi Abdallah |
La Maison Blanche proposera de son côté la réalisation de réformes qu’elle juge indispensables pour la stabilité du royaume que le roi lui-même considère comme un objectif majeur. Cette rencontre intervient dans un contexte où le royaume est confronté à des défis internes et externes des plus délicats, de sorte que l’agenda sera très dense. On a déjà évoqué la tentative de déstabilisation déjouée en avril, qui s’inscrit dans la crise économique et politique majeure que traverse le pays et que la pandémie a encore aggravée.
Certaines infos laissent entendre que l’Arabie
Saoudite aurait trempé dans cette tentative. Le chômage atteint 25% de la
population et 50% des jeunes. Grâce à des prêts de la Banque Mondiale et des
donateurs, les plus défavorisés ont pu être soulagés temporairement, mais le
problème demeure. Dans une économie structurellement très fragile, la
population n’a plus confiance dans la parole gouvernementale. Seuls l’armée, les
services de sécurité et la police jouissent encore de la confiance du public.
Point frontière Israélo-Jordanien pont Allenby |
Les problèmes s’accumulent aux frontières. Au nord, le
conflit syrien entraîne l’arrivée de milliers de réfugiés, tout en provoquant
l’interruption d’exportations dans une économie cahotante. De plus, le conflit
est maintenant susceptible de conduire les affiliés de l’Iran aux portes du
royaume. A l’est, des tentatives de rapprochement diplomatiques avec l’Irak
progressent mais sans réels dividendes concrets. A l’ouest les relations avec
l’Autorité Palestinienne, affaiblie et à la dérive, restent très confuses et
problématiques. Quant aux relations avec Israël, avant le gouvernement
d’alternance, elles étaient plus que médiocres et se sont traduites par de
multiples incidents, même si sur le plan sécuritaire les liens existants n’en
ont apparemment pas souffert. Au sud, les relations avec l’Arabie Saoudite sont
pour le moins tièdes en raison d’un différend sur qui est le «gardien des Lieux
saints de l’islam»
Avec Donald Trump, le royaume n’a pas eu voix au
chapitre sur les accords israélo-palestiniens, son rôle y était minimisé. Les
Jordaniens y ont vu un signal d’affaiblissement des accords avec les États-Unis
et un encouragement à la sédition. Pour
autant Washington a signé en 2018 un accord d’assistance quinquennal à hauteur
de 1,275 milliard de dollars par an et un accord de coopération militaire et de
défense qui permet aux forces américaines de bénéficier de diverses facilités
sur place.
Ayman Safadi ministre jordanien des affaires étrangères |
Officiellement on n’attend pas de déclaration détaillée
à l’issue de la rencontre, mais on sait que la Jordanie a été profondément soulagée
par l’arrivée aux commandes de Joe Biden avec qui le souverain entretien une
amitié de longue date ainsi qu’avec divers autres responsables. Cela augure
d’une reprise des négociations dans un climat favorable. La question
palestinienne, l’engagement à deux États et le statut spécial de la Jordanie à Jérusalem,
figurent en tête de l’agenda. Rien ne permet d’affirmer que la Jordanie
retrouvera intégralement sa place dans de futures négociations, mais il semble
y avoir une certaine convergence avec les objectifs américains. Les questions
financières restent un sujet brûlant, Washington est de loin son premier
donateur ; il est à la fois question de prêts à long terme, du
renouvellement d’un accord financier qui expire cette année, de financements de
matériels militaires, voire directement du budget national. La part des
financements consacrés au secteur industriel sera de deux fois supérieure à
celle consacrée au secteur militaire, pour la première fois, d’autant que les
financements du Golfe se sont taris. Donc autant de dossiers qui ne peuvent
être traités en une seule visite, fut-elle royale. Le ministre des Affaires étrangères
avait précédé son souverain à Washington en mai.
Pour Israël, quels sont les risques et les opportunités
de ce sommet à la Maison Blanche ? La nouvelle équipe du gouvernement
d’alternance, Bennett-Lapid a indiqué son souhait de relancer les relations
avec Amman. Le 8 juillet, Yaïr Lapid a signé avec son homologue jordanien Ayman
Safadi un accord en vue d’augmenter le volume des fournitures d’eau au royaume,
après l’échec du projet Mer Rouge-Mer Morte. Il prévoit aussi l’augmentation
des échanges avec la Cisjordanie. Cela pourrait conforter la position américaine
qui encouragera Amman a conclure d’autres accords avec Israël, alors que la
paix conclue en 1996 marque le pas.
Le président Biden, qui ne parait pas enthousiaste à
traiter le dossier israélo-palestinien, voudra envoyer un message clair : les États-Unis soutiennent leur allié et ne
laisseront pas des pays tiers s’ingérer, ce qui ne ferait qu’ajouter du désordre
au chaos existant, à l’heure où Ryad veut aussi imposer sa présence dans la
protection des Lieux saints musulmans de Jérusalem. Le nouveau gouvernement
serait sans doute bien avisé de soutenir son voisin jordanien considéré comme son
«joyau de la couronne» et qui en a sans aucun doute besoin. Il renouerait
ainsi le lien de confiance endommagé précédemment. Encore faudra-t-il ramener MbS
à la raison tant ses appétits sont grands. Il n’est pas le seul dans la course,
Erdogan veut devenir le Grand Turc du XXI siècle.
Depuis que Jérusalem
a été reconnue capitale officielle d’Israël les propositions ont été
nombreuses, au sein du monde musulman comme au sein de la hiérarchie catholique
en vue de s’approprier le contrôle des Lieux saints musulmans voire tous, certains
à coups de millions de dollars, d’autres par des déclarations incendiaires.
Israël doit suivre de très près ce sujet et agir. On a vu comment les derniers
incidents se sont transformés en une guerre avec le Hamas qui a démontré sa
résilience et à quel prix. Que cela serve de leçon aux nouveaux dirigeants.
L’intérêt d’avoir un accord large avec la Jordanie est
un enjeu sécuritaire majeur compte tenu de l’environnement hostile créé par l’Iran
et ses affiliés. Qui voudrait voir demain dès réfugies syriens traverser une Jordanie
frustrée par l’absence d’accord avec Jérusalem qui fermerait les yeux et les
laisseraient continuer leur exil vers Israël ?
Une absence d’accord entre les deux voisins ne
maintiendrait sans doute plus la paix froide qui prévaut depuis plus de 20 ans.
Le Liban est proche de l’effondrement total, aux mains du Hezbollah ; le
Hamas a été capable de montrer sa résilience, certes au prix fort. La Jordanie déstabilisée,
dont le chaos serait un problème encore plus grave. Les conditions sont réunies
pour en faire un allié effectif. Là comme ailleurs, la nouvelle équipe doit
faire preuve d’imagination, car au Moyen-Orient, tout va très vite et quand on
rate son train, il n’y en a pas forcément un autre.
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