Le saint Temple et le deuil périmé de Ticha be Av

 

LE SAINT TEMPLE ET LE DEUIL PÉRIMÉ DE TICHA BE AV

Par Jacques BENILLOUCHE

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Maquette du Temple

Le saint Temple ou Beit Hamikdash, qui se tenait au sommet du mont Moriah à Jérusalem, était une construction faite par des hommes pour des hommes. Il représentait certes le symbole de Dieu veillant sur les hommes. Le premier temple fut édifié par le roi Salomon en -833 et détruit par le roi babylonien Nabuchodonosor en -423. En 605 avant notre ère, le jeune roi Nabuchodonosor II commença l’extension de son empire. Il défia le pharaon Neko lors de la bataille de Karkemish, envahit Juda et y établit un protectorat. Il connut cependant un important revers militaire quatre ans plus tard et, militairement affaibli, vit nombre de peuples assujettis se révolter. Parmi ceux-ci, Joachim, roi de Juda, refusa de verser le tribut qui lui a été imposé et se rallia ostensiblement à l’Égypte. C’est alors que commença l’expédition punitive de Nabuchodonosor qui entreprit le siège de Jérusalem.

Deuxième temple

Le deuxième Temple fut achevé en l’an -349 par des Juifs rapatriés de l’exil perse, sous la direction de Ezra et de Néhémie. En l’an -19, le roi Hérode acheva de spectaculaires rénovations du Temple qui avait été un temps délabré, mais les légions romaines le détruisirent en l’an 69, marquant le commencement de l’exil juif.

La guerre était parfaitement déséquilibrée entre Babylone, la plus grande puissance de l'époque au Moyen-Orient, et le royaume de Juda, avec quelques dizaines de milliers d'âmes au plus. À Jérusalem même vivaient, au VIIe siècle avant notre ère, 15.000 habitants auxquels s’ajoutaient bientôt des réfugiés de guerre, qui contribuèrent surtout à la famine durant le siège. L'armée de Nabuchodonosor était la plus puissante de son époque, équipée pour une guerre de siège. Dès que l'armée atteignit Jérusalem, Nabuchodonosor se mit en campagne pour châtier les révoltés en mettant le siège devant Jérusalem, où s’étaient réfugiés les paysans des alentours. Alors que la famine régnait dans la ville, les Babyloniens firent une brèche dans le rempart de Jérusalem qui fut détruite, ainsi que le Temple à partir du 9 av 586 avant notre ère. Les soldats babyloniens massacrèrent une grande partie de la population et poussèrent à l’exil plusieurs dizaines de milliers. La cité fut rasée et les trésors du Temple emportés à Babylone. C'est depuis cette date que les Juifs se sont répartis en Europe et en Asie.

L'Arche d'alliance

Les deux temples ont été construits sous forme d’une grande salle décorée, le heikhal, entourée de vastes cours en escalier et de murailles de pierre à la manière des Châteaux forts. Le temple était entouré d’une grande muraille extérieure rectangulaire protégeant des cours en étages et une grande salle. Les grandes cours accueillaient les milliers de pèlerins fêtant chaque année les Trois Fêtes (Pessa’h, Chavouot et Soukkot), face à un autel sur lequel des animaux étaient offerts en sacrifice. Quelques lieux de stockage réservés aux centaines de prêtres, les Kohanim, et les Lévites, assistants des Kohanim. Autour de la Ménorah, se situait le Saint des Saints, petite salle où était entreposée l’Arche d’Alliance. Seul le grand prêtre avait le droit d’y pénétrait, seulement à Yom Kippour, le jour le plus spirituel de l’année.

Juifs orthodoxes

Tel était ce temple humain où se concentrait la spiritualité et où la présence de Dieu était ressentie physiquement. Les hommes l’ont rendu représentatif d'un Dieu symbolisant la moralité, l’éthique, l’amour, la compassion et l’humilité. Le Temple était ouvert à tous, Juifs et non-Juifs, une fenêtre sur Dieu. Mais avec la destruction du Temple, Dieu n’avait plus d’emplacement géographique et les sacrifices physiques devenaient impossibles. Le lieu des trois prières quotidiennes avait aussi disparu. Alors les Orthodoxes ont décrété que Dieu était dorénavant en nous, dans nos cœurs, dans nos esprits, et ont inventé une autre mystique, le Messie, dans le seul but d’instaurer un nouvel espoir aux hommes. Parler de reconstruction humaine du Temple devenait un blasphème. 

Alors des questions légitimes se posent auxquelles les religieux refusent de répondre. Les deux Temples ayant été construits par des hommes ; pourquoi faut-il attendre l’arrivée du Messie pour construire le troisième temple à Jérusalem, aujourd’hui réunifiée. On pourrait penser qu’ils ont donné à cette construction un aspect mythique pour éviter en fait les querelles entre les différents clans du judaïsme.

La destruction du second Temple entraina certainement des centaines de morts, à la rigueur des milliers, ce qui justifie paradoxalement aux yeux des religieux un deuil d’une semaine alors que d’autres catastrophes juives ont eu lieu durant les millénaires faisant plus de victimes. Mais la plus grande catastrophe juive, la Shoah, qui a fait plus de six millions de morts, n’est commémorée que durant une seule journée, sans jeun et sans interdictions dans la vie de tous les jours comme l'interdiction de la viande, des bains de mer, de boire du vin ou des alcools…. Les orthodoxes au pouvoir en Israël ont imposé Ticha be Av pour des pierres détruites alors que par ailleurs des corps humains sont partis en fumée. Il serait donc temps que les Juifs commémorent durant une seule journée tous les malheurs juifs sans avoir besoin de les classer. 

Rabbi séfarade tout en couleurs

Il est vrai que pour se souvenir du 9 Av, les Juifs de l’Est portent jusqu’à aujourd’hui les traditionnels caftan et chapeau noir afin de marquer physiquement des événements qui ont émaillé cette journée dramatique, il y a plusieurs siècles. Cela les rend d'ailleurs anachroniques dans le monde moderne. Mais le drame est qu’ils sont singés par les séfarades qui pensent que l'habit noir leur donne une meilleure légitimité religieuse. Cette attitude irréfléchie a de quoi surprendre en effet. Les Juifs d’Afrique du Nord, à Djerba en particulier, ont toujours porté des vêtements aux couleurs chatoyantes et une chéchia rouge, se contentant d’un liseré noir au bas de leur pantalon bouffant, à la fois pour se distinguer des Arabes mais aussi pour rappeler les jours sombres.

Rabbins tout en couleurs en Tunisie

Ticha be Av perdure avec une consonnance mystique mais cette année la pandémie du coronavirus trouvera aussi sa place dans les malheurs d'Israël. Les croyants y verront bien sûr la main de Dieu contre ceux qui ne respectent pas ses préceptes. La population juive a eu de multiples occasions de pleurer pour mettre un terme à Ticha be Av afin de ne pas distinguer les morts entre eux. Les hommes valent plus que des pierres.