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samedi 17 avril 2021

Liban : le choix du chaos par Francis MORITZ

 

LIBAN : LE CHOIX DU CHAOS

 

Par Francis MORITZ

 

Le président M. Aoun et son gendre Gibran Basil


Une partie serrée s’est déroulée ces derniers jours à Beyrouth entre le président de la République Michel Aoun, grand ami du Hezbollah et de la milice Amal, et Saad Hariri candidat désigné premier ministre. Le point de non-retour a été atteint lorsque le président libanais, dont le trône vacille, a voulu imposer ses conditions et celles de son gendre Gibran Basil, son héritier désigné. Aoun exigeait non seulement un droit de véto sur le gouvernement, c’est à dire un tiers des ministres plus un, lui permettant de contrôler l’ordre du jour gouvernemental mais aussi le choix de certains ministères dont l’Intérieur, la Justice ainsi que celui de l’Energie, lequel était sous la responsabilité de son gendre lors de l’explosion du port. On évitait ainsi la poursuite de l’enquête qui est toujours au point mort.



H. Nasrallah avec le président M. Aoun

Saad Hariri, qui possède trois passeports saoudiens, libanais et français, proposait un programme issu du plan suggéré par le président Macron. Il avait cependant offert le portefeuille des Finances au Hezbollah ainsi qu’au mouvement Amal, On n’oublie pas que le Hezbollah entité politique, est reconnu en France, alors que ce mouvement terroriste est totalement interdit ailleurs. On se souviendra aussi de l’épisode où Saad Hariri, premier ministre, fut retenu en Arabie saoudite et démissionna dramatiquement devant les télévisions (04/11/2017), pour ensuite annuler sa démission. Son patron saoudien ne veut à aucun prix du Hezbollah et bloquerait toute aide financière arabe. Il s’est lui-même mis dans une impasse et doit continuer à jouer le rôle de premier ministre désigné sauf à perdre toute crédibilité.

Le mouvement de protestation au Liban


Une fois de plus, les chefs de clans ont opté pour la pire des solutions, le non-choix, le statu quo, car les réformes indispensables mettraient en cause leurs prérogatives. La crise en cours atteint aujourd’hui son paroxysme. Plus de 55% des citoyens sont livrés à la pauvreté pendant que la livre a perdu près de 90 % de sa valeur et la pandémie aggrave le quotidien.  Le gouvernement intérimaire et démissionnaire d’Hassan Diab a des pouvoirs limités qui ne lui permettent aucune réforme sérieuse. Le pays est à la veille d’un triple effondrement, monétaire (c’est déjà le cas) sanitaire et sécuritaire. L’armée tient encore parce que les soldes sont encore payées.

Le Hezbollah a clairement indiqué qu’il ne donnera aucun accord ou aval ; d’autant que comme Téhéran, il rejette le projet de Saad Hariri. Dans la grande négociation en cours sur la réactivation de l’accord nucléaire, la manœuvre consiste à prendre le Liban en otage de l’Iran, avec toutes les conséquences, notamment pour Israël. Téhéran veut obtenir l’accord de Washington sur son contrôle du Liban, comme celui de son implantation durable en Syrie. Le Liban est devenu objet d’un marchandage. L’UE est absente du débat dont l’issue dépend du prix que Joe Biden est prêt à payer pour voir l’Iran réintégrer l’accord ou pour l’Iran d’obtenir la levée des sanctions.

Saad et Bahaa Hariri

D’aucuns pensent que l’heure du frère ainé Bahaa Hariri à la double nationalité libanaise et saoudienne a sonné. Il avait soutenu les démarches de son frère Saad mais a pris ses distances en critiquant la présence du Hezbollah, qui a d’ailleurs porté plainte contre lui. On le considère comme l’homme fort des Saoudiens. Ancien premier ministre et leader du Mouvement du futur à prédominance sunnite, comme les dirigeants du Golfe, il a rejoint le mouvement de protestation.

L’avocat Nabil el Halabi, porte-parole officieux de Bahaa Hariri, fondateur du Forum politique économique et social, qui dirige également l’Institut libanais pour la démocratie et les Droits de l’homme a publiquement déclaré que ces deux organisations ont le soutien de Bahaa.  Il affirme que «Bahaa n’a aucune intention de devenir premier ministre et le problème de la révolution ressemble au Liban lui-même» déclare-t-il. La famille Hariri, invitée à se rendre en Arabie Saoudite pour prêter allégeance à Bahaa, avait refusé de s’y rendre. Ce qui a semble-t-il marqué la rupture de fait entre les deux frères. La position américaine est très ambigüe. Washington serait «satisfait du maintien du statu quo pour autant qu’Israël le soit aussi», ce qui paraît totalement contradictoire lorsqu’on prétend lutter contre la corruption et pour la promotion des Droits de l’homme (dixit Joe Biden).

L'avocat Nabil el Halabi

La situation dégénère chaque jour. Israël ne peut se satisfaire d’un tel chaos, qui amènerait irrésistiblement les terroristes et l’Iran au pouvoir lesquels composeraient avec la clique des chefs de clans qui verraient leur statut protégé au détriment de la population. Certaines chancelleries évoquent la possible conclusion d’un accord entre l’Arabie Saoudite et Israël, longtemps annoncé mais pas encore formalisé, qui inclurait l’entrée officielle saoudienne au pays du Cèdre et son soutien financier, avec un gouvernement à la mesure des demandes faites tant par l’UE qui financerait aussi, le FMI qui prêterait et Washington qui pourrait mettre à son actif la réalisation de ce changement salutaire pour toute la région, L’État hébreu pourrait envisager un accord de paix avec son voisin. Cela neutraliserait le groupe terroriste qui perdrait son fonds de commerce et serait obligé de désarmer. Cela aussi restaurerait les relations entre Washington et Ryad, après l’affront fait au prince MbS à la suite de l’affaire Kashoggi et le rapport de la CIA.

Le président Joe Biden imposera-t-il sa pax Americana comme Donald Trump l’a fait avant lui ? fera-t-il triompher les Droits de l’homme, la démocratie, passerons-nous effectivement d’America first à America is back ? La négociation en cours à Vienne montrera si cela peut devenir réalité. La date de l’élection présidentielle du 18 juin en constitue le butoir.  Pour l’instant, le grand perdant reste le peuple libanais et les bénéficiaires, si rien ne change, le Hezbollah et les chefs corrompus des clans.

 

3 commentaires:

Madjid CHALAL a dit…

les clans mafieux font de la politique des pays Arabes du moyen orient et du Maghreb, l'islam politique cimente tout cela, le système démocratique ne marchera jamais dans ces région c'est un leurre de croire a cela.

Elie BENICHOU a dit…

Il n’y aura aucun plan saoudien, rien de tout cela. C’est un voeux pieux. Le Hezbollah ne le permettra jamais. Le mouvement terroriste et son mentor, le regime iranien, ont choisi la voie du chaos et du pourrissement. Le scenario à venir le plus probable est simple : Lorsque des émeutes violentes se produiront (ça arrive, le Liban est completement exsangue, beaucoup de gens n’ont plus rien à manger.,,), le Hezbollah fort de sa milice bien armée fera un coup d’Etat pour soit-disant
« ramener l’ordre » et « éviter une nouvelle guerre civile ». Exit Aoun, Hariri et Cie. L’Iran aura enfin placé le Liban sous son influence directe et totale. L’arc Chiite sera accomplie. Quid de la suite ? Que fera Israel ? Pas simple. Ça doit cogiter dur à l’Etat-Major de Tsahal...

Francis MORITZ a dit…

Je vous remercie pour votre lecture et commentaires. On peut évidemment spéculer sur l'issue de cette crise. De nombreux scénarios restent "sur la table". Au même titre qu'on a longtemps attendu les accords d'Abraham, et pourtant 2020 a été l'année miracle, malgré les augures antérieurs. Joe Biden a entamé son mandat en mettant en avant la démocratie, la lutte contre la corruption et les droits de l'homme. La suite montrera si ca doit totalement rester des paroles creuses. Au delà, je ne crois pas un instant qu'Israël pourra et voudra rester les bras croisés dans une évolution-catastrophe qui mettrait en cause ses fondamentaux sécuritaires. Washington et Moscou ne sont pas favorables à un renforcement de la présence iranienne dans la région. On ne compte plus les frappes de Tsahal. Les russes regardent mais ne bougent pas. Enfin, last but not least, Israël ne laissera pas l'arc chiite lui tirer une flèche dans le dos.