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jeudi 18 février 2021

En Israël, la tentation d'un Etat binational

 

EN ISRAËL, LA TENTATION D'UN ÉTAT BINATIONAL

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

 

 


          La poussée de la Droite en Israël laisse présager à terme une annexion de pans entiers de la Cisjordanie car la solution à deux États a été enterrée sauf si Joe Biden arrive à imposer une solution de compromis. Dans le fameux discours de juin 2009 à l’université Bar Ilan, Benjamin Netanyahou avait accepté du bout des lèvres le principe de deux États pour deux peuples : «Si nous recevons des garanties sur la démilitarisation et si les Palestiniens reconnaissent Israël comme l'État du peuple juif, alors nous parviendrons à une solution basée sur un État palestinien démilitarisé au côté d'Israël».


Mais devant l’effet d’une bombe auprès des nationalistes juifs, le Premier ministre avait dû modérer son discours en déclarant : «Le discours de Bar Ilan sur la solution à deux États n'est plus pertinent dans la réalité actuelle du Moyen-Orient.» Cette solution n’est plus à l’ordre du jour en Israël. Elle a été remplacée par la volonté d’annexion.

Aujourd’hui, beaucoup de voix à droite exigent l’annexion pure et simple à Israël de la zone C définie par les accords d’Oslo. Avec ces futures élections, l’extrême-droite, créditée de 5 sièges, a le vent en poupe alors que Meretz à gauche risque de ne pas passer le seuil électoral. En revanche au Likoud, une minorité refuse de voir les Kahanistes intégrés au gouvernement, au point que quelques militants historiques ont décidé de quitter le parti pour ne pas cohabiter avec les extrémistes. Mais paradoxalement Gideon Saar suit le mouvement en prônant l’annexion sans s'engager sur le futur statut des zones A et B, ni sur la création d’un État indépendant dans ces zones.



La voie d’un État binational où devraient cohabiter Juifs et Arabes est presque actée mais il s’agit uniquement de l’annexion des territoires et non pas des populations. Les Arabes de Cisjordanie n’auraient qu’un statut de résidents, le même qui s’applique aux Arabes de Jérusalem annexés en 1980. Ils bénéficieraient de droits sociaux mais pas de droits politiques, sauf les droits locaux. Ils pourraient obtenir la nationalité israélienne qu’à certaines conditions, en particulier la reconnaissance de la nature juive de l’État.

Ainsi, 400.000 Israéliens prendraient en main l’avenir de 2,3 millions de Palestiniens qui seraient intégrés à la société israélienne par paliers, sur une durée de trente ans. Durant cette période, ils resteront des citoyens de deuxième zone, sans nationalité, sans obligation de service militaire et sans opportunité dans les emplois sécuritaires et industriels. Compte tenu d’un taux de fécondité de la population arabe de Cisjordanie de 4,1, alors qu’il est de 3 en Israël, le déséquilibre sera évident à court terme, de quoi enlever au pays son identité juive. Israël deviendrait alors un pays cosmopolite et multiculturel, écornant l’idéologie du sionisme historique.

soldat bédouin


Les Bédouins du Néguev préfigurent déjà le sort des Palestiniens annexés en raison de leur mauvaise intégration. Les Palestiniens de demain seront assimilés à ces Bédouins, qui disposent pourtant de la nationalité israélienne mais qui sont victimes de restrictions.

Le Néguev constitue 60% de la surface de l'État d'Israël mais n'abrite que 8% de sa population dont 200.000 Bédouins qui sont des Arabes israéliens soumis au service militaire.  Les gouvernements israéliens successifs, ont appliqué des mesures coercitives pour forcer 70.000 d’entre eux à quitter 45 villages qu’Israël refuse de reconnaître.  Ces «villages non-reconnus» créent un malaise qui n’arrive pas à s’estomper encore aujourd’hui. Le but était bien sûr d’allouer les terres arabes libérées à des fermiers juifs ce qui entraine souvent une situation conflictuelle.



Cette stratégie était officielle puisque Moshe Dayan, l’avait détaillée dans une interview dans Haaretz le 31 juillet 1963 : «Nous devrions transformer les Bédouins en prolétariat urbain dans l'industrie, les services, la construction et l'agriculture. 80% de la population israélienne ne sont pas des fermiers ; que les Bédouins soient comme eux. Cela sera un changement radical, qui signifie que les Bédouins ne vivraient pas sur leur terre avec leurs troupeaux, mais deviendraient des habitants des villes qui rentrent chez eux le soir et mettent leurs pantoufles… Les enfants iraient à l'école, les cheveux correctement peignés. Ceci serait une révolution, et elle peut être accomplie en deux générations. Sans coercition mais avec une direction claire... Le phénomène bédouin disparaîtra».

C’est ainsi que les Bédouins d'al-Naqab ont vu leurs terres confisquées comme demain certaines terres palestiniennes de Cisjordanie. Le gouvernement israélien avait usé de méthodes coercitives dans les années 1960/70 en créant sept villages, sans consulter les Bédouins qui furent forcés de s’y installer. Les autorités israéliennes justifiaient leur politique par une meilleure planification et une meilleure répartition des ressources. Malgré cette volonté de planification, les Juifs n’ont jamais été pressés de s’installer au Néguev, aujourd’hui encore vide. Or, avec un taux de fécondité de 5%, la population bédouine a atteint 320.000 personnes en 2020.

Ben Gourion à Sde Boker


Il est vrai que le leader historique d’Israël avait voulu donner l’exemple en s’installant lui-même en plein milieu du désert, à Sde Boker, mais son expérience n’a pas été suivie car les nouveaux pionniers préfèrent la Cisjordanie, une terre plus imprégnée d’Histoire biblique. Il avait pourtant donné le ton très tôt en écrivant à son fils Amos le 5 octobre 1937 : «La terre du Néguev est réservée aux citoyens juifs, quand et où ils le veulent… Nous devons chasser les Arabes et prendre leur place… et si nous devons utiliser la force, alors nous avons la force à notre disposition –pas pour déposséder les Arabes du Néguev et les transférer mais pour garantir notre propre droit à nous installer dans ses lieux».

La politique israélienne consistait à judaïser le Néguev comme l’est la Cisjordanie afin de modifier la majorité juive dans certaines régions. En appliquant un plan de sédentarisation forcée, Israël a regroupé les Bédouins dans deux nouveaux villages, Tel Sheva en 1969 et Rahat en 1972, qui devenaient le lieu idéal pour une main d’œuvre à bas prix, sans concertation avec les communautés bédouines.

L’annexion de la zone C permettrait un développement de nouvelles implantations. Dans ce cas, la loi israélienne s’appliquerait en Cisjordanie, en particulier la clause n°1 de la Loi de Fondation de la Terre d'Israël : «La propriété des terres d'Israël, les terres de l'État, de l'Administration du Développement ou du Fonds National Juif, ne pourra être transférée, ni par vente ni d'aucune autre façon». Ce qui ouvre des perspectives de transferts de populations.



Aujourd’hui, les Bédouins, qui vivaient d’agriculture et d’élevage au Néguev ont été contraints de devenir des travailleurs salariés avec l’objectif masqué de supprimer leur lien à la terre. Parallèlement, il est fort probable que la terre et le bétail ne seront plus les moyens de vivre des Palestiniens de Cisjordanie dont on limitera les déplacements pour les encourager à s’exiler. Sans s’en cacher, les nationalistes comptent utiliser tous les moyens de pression pour se débarrasser d’eux parce qu’ils sont conscients, au fond d’eux-mêmes, qu’ils ne pourraient se satisfaire d’une cohabitation avec une majorité arabe.

Les nationalistes sont convaincus qu’ils pourront éviter à Israël de perdre son identité juive s’ils arrivent à user de tous les moyens pour encourager l’expulsion des Arabes. Ils sont patients et se donnent trente ans pour modeler une nouvelle image juive de la Cisjordanie. Comme c’est le cas au Néguev, ils pourraient interdire la construction d’infrastructures pour l’eau, l’électricité, les routes, les services de santé et les écoles avec à la clef une augmentation des taux de pauvreté et de chômage dans les villages bédouins qui, pour certains, ont été exclus des statistiques du gouvernement.

Eclaireurs arabes


C’est ainsi que la communauté bédouine, qui fournit les meilleurs éclaireurs à Tsahal, est l’une des plus pauvres d’Israël et souffre du plus haut taux de chômage de 60% à comparer aux 5% de l’État d’Israël. Elle dispose de la moitié du revenu mensuel national. À Rahat, la principale ville bédouine reconnue, le revenu mensuel moyen d'une famille est égal à 38 % du revenu moyen d'une famille juive.

C’est ce qui attend les Palestiniens de Cisjordanie lorsqu’ils seront annexés par la volonté du Likoud et des nationalistes juifs. Mais ils sont plus nombreux, déjà armés et surtout bien organisés. La Cisjordanie deviendra alors une poudrière car les Palestiniens n’accepteront jamais d’être les Bédouins d'aujourd'hui.

3 commentaires:

Avraham NATAF a dit…

L'etat binational serait la fin de l'Etat Juif. La France donne une idée de ce qu'est un État binational.

andre a dit…

Une grande réflexion s’impose pour savoir qu’elle est la moins mauvaise solution puisqu’il est certain que de bonnes il n’y en a pas !
André Simon Mamou
Tribune juive

Michel LEVY a dit…

La droite nationaliste fait l'impossible pour qu'Israël ne soit plus un état juif.
En favorisant la politique d'implantation et d'annexion, ils seront obligés, de gré ou de force de favoriser l'égalité entre juifs et arabes, et vu les rapports démographiques, le pays sera judéo-arabe;
S'ils voulaient un état juif, ils préféreraient un état arabe amical au côté d'Israël afin de séparer les deux populations.