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samedi 26 septembre 2020

La Turquie s'installe en Afrique de l'Ouest

 



LA TURQUIE S’INSTALLE EN AFRIQUE DE L'OUEST


Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

            


          Dans sa stratégie d’expansion à travers le monde, Erdogan, qui peaufine la reconstitution de l’Empire ottoman, vise actuellement l’Afrique de l’Ouest où de nombreuses places sont à prendre après la recomposition politique liée aux changements de dirigeants. Par ailleurs, l'islam compte entre 400 et 500 millions de fidèles sur le continent africain, ce qui en fait la première religion d'Afrique à égalité avec le christianisme. Il s’agit donc d’une terre de conquête pour un dirigeant qui veut prendre le leadership du monde sunnite. L’occasion est inespérée de s’introduire au Bénin, au Burkina-Faso, en Guinée-Bissau, en Côte d’Ivoire, en Gambie, au Ghana, en Guinée, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal, et au Togo.


Mevlüt Çavuşoğlu


          Pendant que les regards sont tournés vers les Émirats et le Bahreïn, Erdogan tisse sa toile en créant de nouvelles alliances en Afrique avec la volonté de damer le pion à la France avec qui il est en conflit récent. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a préparé le terrain pour son président avec une tournée en septembre  dans trois pays d'Afrique de l'Ouest, à savoir le Mali, la Guinée-Bissau et le Sénégal.

Il s’est rendu pour la première fois au Mali pour rencontrer le groupe de colonels de l'armée qui dirige le pays depuis l'éviction du président Ibrahim Boubacar Keita afin d’aborder avec eux la transition politique dans le pays ainsi que les relations bilatérales. Le Mali, l'un des pays les plus pauvres du monde, souffre de la présence de plusieurs groupes terroristes, malgré les casques bleus français, maliens et onusiens qui y mènent des opérations de contre-terrorisme. 

Après le Mali, Çavuşoğlu a effectué une visite en Guinée-Bissau et au Sénégal les 10 et 11 septembre. Il s’agit d’envisager une éventuelle nouvelle coopération avec ces pays.  Le coup d’État au Mali n’entrait pas dans la stratégie d’Erdogan mais l’excuse était bonne pour que la Turquie s’introduise en Afrique de l’Ouest. Depuis le coup d’État de 2012 au Mali, la Turquie avait tissé des liens avec les grands dirigeants civils en prévision de son introduction dans la région. Déjà engagée en Libye, la Turquie a utilisé les grands moyens pour favoriser son influence politique et sécuritaire à travers l'Afrique de l'Ouest.

Erdogan avec IBK en 2018

Mais dans cette région la France veille et ne permettrait pas qu’on piétine ses platebandes ce qui explique d’ailleurs la rivalité franco-turque croissante en Méditerranée. L’Égypte, les Émirats arabes unis et la France tiennent au respect de l'équilibre des pouvoirs en Libye. La Turquie n’est pas en odeur de sainteté auprès des régimes arabes car elle soutient l’islam politique à travers les Frères musulmans. Par ailleurs les gesticulations militaires d'Ankara ont mis en évidence une divergence entre l'OTAN, la France et la Turquie, surtout après menaces turques en Méditerranée. Emmanuel Macron a critiqué les actions militaires d’Erdogan l'accusant de jouer «un jeu dangereux». Le président turc n’a pas apprécié que la France soutienne la Grèce et Chypre dans le différend sur le gaz naturel EastMed avec la Turquie. L'arrestation de quatre ressortissants turcs qu'Ankara accuse d '«espionnage» pour la France est un autre signe de relations tendues.

La France veut sécuriser une part de l'industrie pétrolière et gazière libyenne, freiner le pouvoir des militants islamistes en Afrique du Nord et mettre un terme à la route de la migration illégale à travers la Libye vers l'Europe. Cette guerre par procuration en Libye a libéré la Turquie de sa réserve vis-à-vis de la France. Erdogan a donc décidé d’investir l’Afrique pour tenter de bouter la présence historique française.

L’action turque en Afrique s’affiche donc tout azimut. Déjà en juillet Mevlüt Çavuşoğlu s’était rendu au Niger pour signer des accords de coopération militaire. Il est question d’y créer une base militaire en plus de celles du Qatar, de Libye et de Somalie. L'intérêt de la Turquie pour le Niger s’explique  par l’existence de réseaux religieux soutenus par la Turquie.

Erdogan et le président algérien


Erdogan entretient ses relations avec ses alliés régionaux. En janvier, il s’était rendu en Algérie, autre allié de la France, qu’il a définie ouvertement comme «l'une des portes d'entrée les plus importantes de la Turquie vers le Maghreb et l'Afrique». En retour, le ministre algérien des Affaires étrangères s’était rendu le 1er septembre en Turquie pour discuter de la coopération régionale et signer des accords économiques qui jetteraient les bases d'une augmentation du volume du commerce de 5 à 10 milliards de dollars à long terme.

Ministre algérien en visite à Ankara

Ce n’est pas nouveau que la Turquie s’intéresse à l’Afrique mais elle le fait actuellement de manière de plus en plus ostentatoire. Depuis 2003, elle a ouvert des dizaines d'ambassades en Afrique, la dernière au Togo, qui sont des instruments de propagande. Elle n’hésite plus à rivaliser avec la France, et par là-même avec l’UE, pour devenir un acteur majeur afin de briser le monopole français en Afrique. L’Union européenne ne s’est jamais distinguée par un activisme exacerbé face aux rodomontades turques. Alors que la Grèce et Chypre sont menacées, l’Otan s'est mise en retrait. Une manière d’autoriser la Turquie à s’installer là où elle veut, en Afrique en particulier. Emmanuel Macron se débat seul face au Grand Vizir, mais il ne fait pas le poids.

Sénateur Lindsey Graham


En revanche, les États-Unis y voient un intérêt majeur car la Turquie peut contrebalancer l’influence grandissante de la Chine en Afrique. Le sénateur américain Lindsey Graham est partisan d’un pacte de libre-échange pour renforcer les relations américano-turques : «Si vous me demandez quelle est la seule chose que les États-Unis et la Turquie pourraient faire pour améliorer la relation, ce serait un accord de libre-échange - non seulement aspirant à avoir plus de commerce pour atteindre 100 milliards de dollars, mais intégrant réellement les économies, grâce à un accord de libre-échange». Il a noté en particulier que la Turquie est bien placée pour compenser la dépendance des États-Unis à l'égard de la Chine, affirmant qu'elle peut fournir des produits de meilleure qualité à des prix compétitifs. 

Mais une différence de taille avec la Chine toujours très discrète. La Turquie a des capacités de nuisance et de déstabilisation en Afrique sous couvert de son influence islamiste.

 

1 commentaire:

Gilbert BRAMI a dit…

L'Afrique de l'Ouest est pour le dictateur ottoman une terre de mission, pour ses assouvire ses ambitons européennes. Il compte exploiter, l'Afrique de l'Ouest, comme l'ont fait les sultans ottomans en Mesopotamie, en Egypte, et au Maghreb (àl'exception du Maroc) ces nations se sont retrouvées aculturées et misérables ! L'occident pour sa sécurité devrait remercier la Turquie actuelle de l'OTAN, ainsi elle retrouvera sa liberté d'action !