MOHAMED DAHLAN, LE PALESTINIEN DES ÉMIRATS
Par Jacques BENILLOUCHE
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MbZ et Dahlan |
L’ouverture des relations entre les Émirats et Israël vont remettre au
devant de la scène Mohamed Dahlan qui
n’a jamais abandonné son projet de prendre la direction de l’Autorité
palestinienne. Né en 1961 dans le camp de réfugiés de Khan Younes à Gaza, il a
été emprisonné onze fois entre 1981 et 1986 par les Israéliens pour son
appartenance au Fatah. Il a appris l’hébreu pendant son incarcération ce qui
facilita plus tard ses relations directes avec ses adversaires. Il était revenu à
Gaza avec Yasser Arafat en 1994, en tant que chef des Forces de Sécurité
Préventive de la bande de Gaza ce qui lui donnera une expertise sécuritaire.
Certes on ne l’entend pas
souvent mais, sans gesticulations politiques, il est l’homme le plus courtisé
par de nombreux pays arabes, mais aussi par les Américains et les Israéliens. On l'accuse d’être l’homme du Mossad et de la CIA mais il s’en
défend bien sûr. L’Autorité palestinienne l’a exclu du Fatah en 2011 et l’a
contraint à s’exiler aux Émirats Arabes Unis où il est devenu l’un des
conseillers du souverain MbZ et son conseiller le plus écouté. S’il se fait discret
sur la situation en Cisjordanie, il intervient sans cesse dans les forums
internationaux sponsorisés par les grands pays arabes. Il est le Palestinien le
plus présent sur les scènes internationales en raison de son charisme et de son
expertise sécuritaire et diplomatique.
Dahlan avait participé le 19 novembre 2015 à une conférence sur la
sécurité tenue à Bruxelles sous les auspices de l'OTAN : «Cooperative
security & interconnected threats». Il avait pris la parole pour
attaquer les mouvements islamiques et pour accuser la Turquie de soutenir
l'État islamique. Il avait ainsi anticipé la situation actuelle. En décembre
2015, il avait aussi participé à la préparation du Forum culturel international
à l’occasion du 70ème anniversaire de l’UNESCO. Ce forum, qui s’était tenu à Saint-Pétersbourg, a été l’occasion pour lui d’être aux côtés du président
russe Vladimir Poutine lors de son ouverture.
Le journal turc Gercek Hayat l’avait accusé d’avoir fomenté un coup
d'État contre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avec l’aide des Émirats
Arabes Unis (EAU), soutenus par la Russie, du 15 au 16 juillet 2016. Enfin le
13 mars 2016, il avait participé au Caire à la conférence constitutive du
mouvement d’opposition syrien, Ghad al-Suri (Lendemain de la Syrie) présidé par
Ahmed Jarba et d'autres opposants syriens.
Dahlan n’est plus le chef d’une
bande de miliciens palestiniens à Gaza ; il a acquis une stature
internationale. Les relations étroites de Dahlan avec les Émirats Arabes Unis
et son important carnet d’adresses lui permettent d’agir en tant que diplomate
de haut niveau, capable de transcender la cause purement palestinienne. Il a
ainsi pris une envergure internationale qui lui donne une crédibilité dépassant
de loin sa seule influence à la Mouquata.
Dahlan, Al-Sissi et MbZ |
L’Autorité palestinienne a beaucoup perdu en l’éliminant de sa
direction. Mahmoud Abbas aurait pu se crédibiliser lui-même, comme l’avait fait
Arafat, en lui donnant une audience internationale. D’ailleurs à défaut, Dahlan
a acquis un grand poids politique en conseillant, sur le plan sécuritaire, le Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyane (MbZ) des Émirats Arabes
Unis qui viennent d’ouvrir des relations diplomatiques avec Israël.
Usant aussi de sa proximité avec le président égyptien Sissi, il peut
dépasser le seul niveau de la scène palestinienne en développant des relations
apaisées avec tous les acteurs modérés de la région, ceux qui pourraient
compter dans une ouverture diplomatique avec Israël. Il est certainement intervenu
auprès de Yossi Cohen, patron du Mossad, pour concrétiser les relations entre
MbZ et Israël.
L’Europe n’est pas insensible au personnage qui rassure parce
qu’il évite de parler de lutte armée et d’éradication de l’État juif. Il a
gardé les faveurs des jeunes du Fatah et a maintenu des relations étroites avec
le prisonnier palestinien le plus célèbre, Marwan Barghouti, et avec l’ancien
premier ministre Salem Fayyad, sans compter les membres du Comité central qui
n’osent pas afficher au grand jour leur préférence pour éviter de subir des
sanctions allant jusqu’à l’exclusion des postes de direction. La stratégie de
Dahlan est d’éviter l’affrontement direct avec Mahmoud Abbas sans pour autant
renoncer à son ambition palestinienne.
Avec Sharon |
Des Israéliens, des deux bords et des plus célèbres, souhaitent le voir
remplacer le président palestinien. Avigdor Lieberman l’avait rencontré de
manière secrète dans plusieurs capitales européennes, à Paris en particulier en
2015. Amos Harel de Haaretz avait estimé que «Dahlan est proche du ministre de la
défense Avigdor Lieberman. Il serait même la carte secrète aux mains de
Lieberman qui l’utilisera le moment opportun». En janvier 2016, Yossi
Beilin, architecte des accords d’Oslo avait été certain que Dahlan était "apte à
faire un bon président car il est pragmatique et intelligent".
Pour constituer un groupe de
partisans amis parmi la population de Palestine il distribue discrètement, en
projets de charité, une partie de ses millions de dollars. Il n’a jamais fait
mystère de son opposition aux islamistes d’une manière générale et aux Frères
musulmans en particulier et cela ne date pas d’hier. Quand il était étudiant à
Gaza en 1981, il avait déjà organisé la lutte contre la Fraternité. A la tête
des services de sécurité de Gaza, il avait arrêté entre 1995 et 2000 des
centaines de membres du Hamas impliqués dans des opérations militaires contre
Israël. Mais, pragmatisme oblige et face aux rivalités Fatah-Hamas, il vient de
renouer une alliance avec le Hamas contre Mahmoud Abbas afin d’augmenter ses
chances d’accéder au poste suprême.
Il
a été l’instigateur de l’union des dirigeants arabes contre l’Iran qui craignent
l’expansion des chiites prêts à attiser la lutte armée pour étendre leur zone
d’action et d'influence et pour parvenir rapidement aux pays du Golfe. Ils ont
donc trouvé donc un chef d’orchestre sécuritaire capable de neutraliser le
danger.
Dahlan, malgré son âge relativement jeune, 59 ans, a des états de
service qui font de lui un dur tout en étant un bon diplomate. Il fut impliqué
dans les négociations secrètes qui menèrent aux Accords d'Oslo en 1993 et à la
création de l’Autorité palestinienne. Ces accords l’avaient hissé au poste de
conseiller sécuritaire de Yasser Arafat ; l’homme des bons et mauvais coups. Il
fut l’homme fort à Gaza où il disposait de troupes acquises à sa personne. Dans
ces fonctions, il avait tissé des liens étroits avec les officiers de Tsahal
chargés de la coordination sécuritaire, qui l’avaient introduit auprès des
Américains qui ont vite compris l’usage qu’ils pouvaient en faire. Il fut
d’ailleurs accusé d’avoir émargé à la CIA.
Il fut contraint à l’exil en 2011, sur les ordres de Mahmoud Abbas qui
l’avait accusé de corruption alors qu’en fait il s’agissait de se débarrasser
d’un concurrent gênant. Dahlan profita de cette liberté forcée pour rencontrer
tous les dirigeants arabes avant de s’installer aux Émirats Arabes Unis. Ses
voyages lui ont appris à jouer le rôle de médiateur dans des conflits inter-arabes, au Yémen en particulier où on lui a prêté la direction d’opérations
à Taez. Ainsi en mars 2015, il avait joué un rôle majeur de médiateur dans
l'accord signé par l’Égypte, l'Éthiopie et le Soudan concernant la construction
en Éthiopie du plus grand barrage d’Afrique avec deux centrales
hydro-électriques. Le président égyptien al-Sissi lui avait assigné la mission
épineuse de négocier ce projet Renaissance Dam. Il était même intervenu auprès
du colonel Kadhafi à la demande des Occidentaux. Très présent au Liban dans les
camps palestiniens, il y dispose toujours d’une aura acquise au combat contre
Israël.
Ces contacts tous azimuts font de lui
l’homme de la situation, capable de faire consensus pour remplacer Mahmoud
Abbas arrivé au terme de son mandat. Les États-Unis sont prêts à miser sur lui
et ils n’en font pas mystère. En 2003 déjà, le secrétaire d’État Colin Powell
l’avait remarqué en déclarant au président syrien Bachar el-Assad : «Il faut
que Mahmoud Abbas montre son potentiel en tant que dirigeant à côté de Mohamed
Dahlan afin de mettre fin aux activités terroristes».
Les Israéliens ne sont pas indifférents à Mohamed Dahlan avec qui ils
pourraient s’entendre. D’ailleurs ils envisagent avec l’Égypte, l’Arabie
saoudite et la Jordanie une action politique conjointe pour porter Dahlan à la
présidence de l’Autorité le moment venu.
La position de Dahlan, complexe, génère cependant certaines inimitiés.
En tant qu’irréductible opposant aux Frères musulmans, il est très présentable
auprès des Égyptiens mais suspect vis-à-vis du Qatar, fervent soutien du Hamas.
Il ne voit pas Erdogan d’un bon œil dans sa course au leadership arabe et ce
dernier le lui rend bien puisqu’il l’accuse d’avoir financé le coup d’État raté
qu’il aurait monté avec l’opposant Fethullah Gülen.
Enfin, on attend de Dahlan une méthode pour neutraliser l’Iran qui représente autant la crainte d’Israël que des pays arabes. Il s’agit avant tout de freiner
l’introduction de l’Iran au Proche-Orient via le Hamas et pour cela les
Égyptiens sont pour la méthode forte. Ils sont prêts à aider Dahlan à reprendre
pied dans son ancien fief à Gaza où il a gardé beaucoup d’amis qui lui sont
redevables. Avec l’aide de l’armée égyptienne, le soutien financier de l’Arabie
saoudite et des Émirats et l’aide tacite du Fatah et de la Jordanie, Dahlan
serait en mesure de mettre fin au régime du Hamas à Gaza pour affaiblir l’Iran
et l’axe chiite en Syrie. C’est d’ailleurs l’objectif des Israéliens selon le
général israélien Amos Yadlin : «l’intérêt d’Israël réside dans la
destruction de l’axe chiite en Syrie, et l’affaiblissement de l’Iran et du Hezbollah.
Nous voulons que la Syrie soit sunnite laïque, sinon, on permettrait à notre
pire ennemi de venir s’installer juste à la frontière avec le Golan».
Les relations entre Poutine et
Dahlan sont excellentes. Les Russes avaient confié à Dahlan le soin d’organiser
des négociations entre Palestiniens, Israéliens et pays arabes pour mettre fin
au conflit israélo-palestinien. Grâce aux Émirats, une première étape positive
vient d’être franchie. Il ne semble pas que l’Autorité palestinienne veuille
profiter de cette occasion historique.
3 commentaires:
Cher monsieur Benillouche,
Donc, et si je vous ai bien lu, vous nous expliquez que les Israéliens "envisagent avec l'Égypte, l'Arabie saoudite et la Jordanie une action politique conjointe pour porter à la présidence de l'Autorité" un "bon diplomate" qui dispose toujours dans les camps palestiniens au Liban "d'une aura acquise au combat contre Israël" !
J'en reste sans voix !
Mais cela me ramène à la "Diplomatie du petit coq", que vous avez complaisamment relayée ici. Or il semblerait que le "petit coq", fait lui aussi des siennes en Méditerranée :
https://www.asafrance.fr/item/relations-intrernationales-le-pentagone-s-inquiete-du-deploiement-militaire-francais-en
Avouez que c'est assez plaisant, même si on sait que le Pentagone n'aime pas s'inquiéter trop longtemps !
Très cordialement.
Passionnant article - Merci Jacques.
Cela dit, quid de Bargouti?
Nous risquons un scénario que nous avons connu en France et ailleurs dans le monde d'une compétition entre un leader de l'extérieur et un de l'intérieur. Reste à savoir lequel des deux, auprès de la population palestinienne aura le plus de légitimité.
Personnage fascinant où la réalité dépasse la fiction; au Moyen Orient,beaucoup de carrières ont été arrêtées par des assassins.
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