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lundi 24 août 2020

La Turquie construit ses propres drones



LA TURQUIE CONSTRUIT SES PROPRES DRONES

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

Drone Bayraktar

Il est loin le temps où la Turquie manquait de drones et où Israël refusait de lui en livrer après la rupture des relations diplomatiques. Dans un bond en avant très remarqué, les Turcs ont développé leur propre drone Baykar afin d’augmenter l’indépendance des forces armées. Une Turquie, moins soumise à l’armement venu de l’étranger, poursuivra ainsi sans contrôle sa politique étrangère belliciste et interventionniste. Erdogan a perdu le sens du dialogue pour recourir à la force au point d’étendre ses interventions en Irak, en Syrie, à Chypre, au Qatar, en Somalie et en Libye. 


Milgem

Les Occidentaux, la France et l’Allemagne en particulier, avaient été d’ailleurs contraints de stopper la livraison d'armes à la Turquie. Mais s’inspirant de la leçon d’Israël de 1967 après l’embargo du général de Gaulle, la Turquie a donc tout fait pour ne plus dépendre des États-Unis et de l’Allemagne.
Jusqu’alors, en tant que membre de l’Otan depuis 1952, l’armée a utilisé la technologie militaire des Occidentaux. Mais à présent, elle veut avoir ses propres armements. Elle a développé son navire de guerre le Milgem, ses tanks Altay en cours de finition, ses systèmes de missiles antibalistiques Hisar et Siper et à présent ses drones qui ont subi l’épreuve  du feu et les tests en réel à Idlib en février. Le besoin en avion sans pilote s’est fait sentir dans le combat contre les Kurdes du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) car la topographie montagneuse de l’Est de l’Anatolie rendait difficile l’accès.
Les drones détectaient plus facilement les cibles et participaient à des missions de reconnaissance, de surveillance et de patrouille maritime. Dans l’attente de sa propre production, la Turquie avait utilisé les drones allemands de surveillance Canadair CL-89 avant de les remplacer par des GNAT américains tout en encourageant son industrie locale à produire des drones. Mais les prototypes réalisés ne correspondaient pas aux besoins de TSK (Forces armées turques).

Pour combler cette lacune, la Turquie a fait l’acquisition auprès d’Israël de 10 drones Héron pour 183 millions de dollars. Le choix par rapport au Prédator américain était justifié par l’installation sur les drones du système de reconnaissance et de surveillance électro-optique «Aselfir300T» mais il fallait pour cela  renforcer les moteurs Héron pour permettre aux charges utiles électro-optiques locales fabriquées par Aselsan (Aselfir300T) d'être installées. La charge utile d'Aselsan pesait plus lourd, ce qui a nécessité le renforcement des moteurs des drones Héron devenus trop lourds. Le contentieux politique n’a pas permis à Israël de fournir la formation adéquate  aux opérateurs turcs. Ainsi trois des Héron se sont écrasés et les autres ont souffert de problèmes logistiques. Les Turcs ont donc décidé de mettre fin à l’usage de drones israéliens pour faire appel à un fabricant local Baykar Defence Industry, dirigé par le gendre d’Erdogan Selçuk Bayraktar.
Le Bayraktar a fait ses preuves en restant en vol pendant 24 heures 34 minutes tout en atteignant une altitude de 27.000 pieds (8.230 mètres). En atteignant cette étape, la Turquie est devenue un fabricant indépendant de drones. Un an après sa mise en service, le Bayraktar était armé et effectuait 175.000 heures d'aviation. Suite à cet exploit, 104 drones turcs armés ont été livrés au TSK ce qui ouvrit la voie à l'exportation de la technologie turque vers l'Ukraine et le Qatar.
Héron

L’industrie turque ne manque pas d’ambition puisque la société TUSAŞ a annoncé son intention de produire des drones supersoniques avec l’assurance d'atteindre son objectif à la fin 2021, parallèlement à la mise en place d’un avion de combat national turc. Ce drone supersonique de TUSAŞ, qui devrait voler à 1,4 mach (1.600 km), sera équipé d’un système  capable de tromper les systèmes anti-aériens des adversaires.
Grâce à sa production nationale, la Turquie n’hésite plus à intervenir dans divers théâtres à l'étranger. Elle a décidé d'établir une nouvelle base de drones dans la province d'Erzurum, située dans l'est de la Turquie pour des missions contre le PKK et pour détecter les abris et les cachettes des rebelles. Erdogan va pouvoir intensifier ses opérations en Syrie. Au départ il était censé s’attaquer à Daesh mais en fait son véritable objectif visait les Kurdes syriens, le PYD (Parti de l'Union démocratique kurde) faisant partie intégrante du PKK. Le drone turc Bayraktar a ainsi contribué au succès des deux opérations à Afrin et dans les cantons de Tel Al-Abyad.
La Turquie s’oppose activement au régime d’Assad à Idlib et fournit à la rébellion un soutien moral et matériel ce qui a poussé la Russie à devenir l'adversaire de la Turquie dans la province. La déclaration du président Erdogan de faire don de 33 millions de dollars au budget de la défense ukrainien, contre les Russes, a encore aggravé les tensions entre les deux pays.
Parce que 36 soldats turcs avaient été tués à Idlib par le régime syrien, TSK avait utilisé massivement 20 drones Bayraktar TB-2, pour frapper les dépôts d'armes lourdes et de munitions des forces d'Assad et détruire huit systèmes de défense aérienne Pantsir de fabrication russe. Il est à craindre que, se sentant bien armé, Erdogan pousse son avantage contre la Grèce sous prétexte de la souveraineté sur le plateau continental de la mer Égée. Les Turcs veulent éloigner leurs limites des eaux territoriales.
       En mars 2019, la Turquie avait lancé l'un des exercices militaires navals les plus complets, appelé «la patrie bleue», afin de dissuader les manœuvres grecques et chypriotes grecques. Elle a aligné 103 navires et les drones Bayraktar pour simuler «l’occupation d’une île ennemie et la destruction de F-16 et de drones ennemis».
Armes ou réfugiés

La politique étrangère agressive de la Turquie a éliminé tous les freins et contrepoids diplomatiques à Ankara. Elle ne cherche plus à plaire à l'Occident et n’est plus impressionnée par les Russes. Son programme de politique étrangère est fondé sur la force que lui donnent à présent ses propres matériels militaires. Toutes ses interventions à travers le monde sont présentées au peuple turc comme un signe de la force de son État. Mais c’est surtout un moyen pour Erdogan de détourner l’attention de son peuple sur la crise économique que subit son pays. 
La Turquie devient un concurrent sérieux pour la vente d’armes mais elle risque d’entraîner une prolifération des armes au sein d’une région déjà troublée. Elle augmente les possibilités d'une confrontation armée entre différents acteurs indépendamment de leur affiliation à un camp particulier. En rendant certains pays dépendants de l'armement turc, Erdogan pourra imposer sa loi. Israël a perdu un bon client en armement mais a gagné un ennemi redoutable.


4 commentaires:

Unknown a dit…

La Turquie : une chance ou un danger pour l'Europe ? Les turcs en Europe : t^te de pont ou amis ?

Yaakov NEEMAN a dit…

La guerre contre l'infidèle, le mécréant, le kouffar, est un commandement divin, une mitsva, dans le corpus musulman. Erdogan se prépare au djihad. Il est cohérent avec sa foi. Ceux qui assurent la survivance (je n'ose pas dire : la défense) du vieil Occident post-chrétien peinent à comprendre ses motivations. A force d'avaliser le déni de réalité, on s'achemine va tout doucement vers la catastrophe soft, façon Soumission (Houellebecq). Qu'en pensent ces généraux qui raffolent des "war games" ? Il n'y aura pas de sursaut gaullien. Aucun chef d'Etat-major n'est prêt à risquer sa carrière pour cela.

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

Et pas un mot sur les deux navires de combat envoyés par la France en Méditerranée orientale pour soutenir la Grèce face à la Turquie ?
Ce n'est pas très gentil !
Ah j'oubliais : le Pentagone s'en était inquiété !

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-pentagone-s-inquiete-du-deploiement-militaire-francais-en-mediterranee-20200813

Donc c'est normal !

Très cordialement.

Jacques BENILLOUCHE a dit…

Cher Marianne,

Françoise Giroud, mon idole journalistique, une femme eh oui !, disait toujours : un sujet-un article. Traiter plusieurs sujets dans un seul article le rend touffu et lourd.

Cet article traitait des drones d’Erdogan et des conséquences. Un article plus complet traitera de tout l'armement turque

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