LA LIGUE ARABE
CHERCHE À RENAÎTRE DE SES CENDRES
Par Jacques
BENILLOUCHE
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La Tunisie a accueilli le 30ème
sommet de la Ligue arabe dans un contexte de divisions, de guerres et de
troubles populaires. Les manifestations au
Soudan contre l’augmentation du coût de la vie se soient transformées en
rassemblements pour exiger la démission du président Omar al-Bashir. Des
centaines de milliers d’Algériens ont envahi les rues pour s’opposer au
cinquième mandat présidentiel que voulait briguer Abdelaziz Bouteflika. Ils ont réussi à le faire plier en obtenant le report de l’élection puis ensuite sa démission.
La présence au sommet des
potentats et des souverains féodaux n’a pas permis de soulever les questions des
changements politiques attendus par les populations. Les Printemps arabes
ont créé trois blocs. Le bloc majoritaire pro-américain avec l'Égypte, l'Arabie
saoudite, Bahreïn et les Émirats. Le bloc pro-iranien comprenant l'Irak, la
Syrie et le Hezbollah au Liban. Enfin un troisième bloc avec la Tunisie et le
Qatar donne l’impression d’avoir soutenu les changements exigés par les
manifestants, Le sommet de Tunis a donc exclu de discuter des troubles au
Soudan et en Algérie, surtout en l'absence de leurs présidents. La guerre reste
cependant encore présente dans les esprits, bien que non soulevée, avec
l’intervention de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis contre les
rebelles houthis au Yémen.
La Ligue Arabe continue à
ignorer les populations pour s’intéresser uniquement aux élites dirigeantes arabes. Elle
existe parce qu’elle doit exister car à l’origine elle avait à faire face au
problème de l’existence et de la pseudo-menace d’Israël. Il est certain que la
Ligue arabe, qui avait pour rôle de promouvoir la cohésion régionale et de
résoudre les différends interarabes, a clairement échoué.
Par le plus grand des
hasards, la Ligue a trouvé quelque chose à se mettre sous la dent : la
décision prise par Donald Trump de reconnaître officiellement la souveraineté
israélienne sur les hauteurs du Golan. Évidemment les condamnations arabes ont
été unanimes mais, comme il était fortement probable, les délégués sont restés
aux gesticulations verbales. Peu de pays arabes sont prêts à hypothéquer leurs
relations avec l'administration Trump.
L’ordre du jour a
volontairement éludé tous les sujets qui fâchent comme la crise humanitaire au
Yémen dont la responsabilité incombe à l’Arabie ou bien l’influence de l’Iran
dans la région. Mais l’une des raisons d’être de ce sommet est la possibilité
pour les délégations de se parler et d’échanger leurs points de vue.
Alors, les dirigeants
arabes ont, comme d’habitude, abordé les sujets consensuels. Ils ont lancé un
nouvel appel en faveur de la création d’un État palestinien et condamné, il
fallait s’y attendre, les États-Unis pour avoir reconnu la souveraineté
d'Israël sur les hauteurs du Golan. Dans son discours
d'ouverture, le roi d'Arabie saoudite, Salman ben Abdelaziz Al Saoud, a
réaffirmé le soutien de son royaume à un État palestinien en Cisjordanie et
dans la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est pour capitale : «Nous
réitérons notre rejet catégorique des mesures qui porteraient atteinte à la
souveraineté syrienne sur le Golan». C’est le moins qu’il pouvait faire
face à une assemblée aux conceptions politiques si disparates.
Caïd Essebsi avec l'émir du Koweit |
L'hôte du sommet, le
président tunisien Béji Caïd Essebsi a repris à son compte les termes du
discours du roi : «Il n'est pas raisonnable que la région arabe
continue d'être à l'avant-garde des tensions et des crises».
En écho, le président
égyptien Abdel Fattah el-Sissi a également condamné la récente reconnaissance
par le président américain Donald Trump de la souveraineté israélienne sur les
hauteurs du Golan. Mais les pays arabes en sont restés au discours habituel sur
les questions régionales. En raison de l’absence du président algérien,
Abdelaziz Bouteflika, et de son homologue soudanais, Omar al-Bashir, les
questions concernant l’Algérie et le Soudan n’ont pas été abordées.
En revanche la réadmission
de la Syrie dans la Ligue n’a pas été d’actualité. Le pays avait été suspendu en 2011 à la suite de la
répression brutale du président Bachar al-Assad contre les manifestants syriens.
Les Émirats arabes unis sont les seuls à avoir rouvert leur ambassade à Damas
l'année dernière mais d’autres États arabes envisagent de suivre le mouvement
et ont exprimé leur soutien au rétablissement des relations. En revanche l'Arabie
saoudite et le Qatar, qui avaient soutenu les rebelles syriens, ont mis leur
veto à la réintégration de la Syrie. Pourtant, plus tôt en mars, le ministre
tunisien des Affaires étrangères, Khemaïs Jhinaoui, avait déclaré que la
réadmission de la Syrie, serait à l'ordre du jour du sommet.
Réunion préparatoire des ministres arabes des affaires étrangères |
Le sommet
des chefs d’États arabes s’est achevé avec la publication d’un rapport final
qui comme d’habitude se borne à émettre des généralités, un verbiage connu et
aucune décision contraignante. Le représentant du Qatar a quitté la réunion sans attendre les conclusions, avant la fin du sommet. Les chefs d’État se sont retrouvés pour quelques
recommandations en grande partie axées sur Israël qui arrive à fédérer les extrêmes.
1/ Ce
rapport met l’accent sur le refus de la décision de Trump d’annexer le Golan
par Israël.
2/ Il a
rappelé la souveraineté du Liban sur les territoires occupés au sud par les
sionistes.
3/ Appel à
mettre fin à l’occupation par Israël des territoires arabes.
4/ Le refus
de toute ingérence étrangère dans les affaires arabes, notamment, celle de
l’Iran.
5/ Rappel
de l’importance de la cause palestinienne qui est la priorité du monde arabe.
6/ Appel à
la paix globale dans le Moyen Orient, sous le principe de «la terre contre
la paix».
7/ Insistance
sur le déploiement des efforts afin d’aboutir à des solutions rapides pour les
crises de la Syrie et de la Libye, avec le rappel de l’impératif de préserver
l’unicité de l’État irakien.
8/ Appel à
la stabilité au Liban et le développement de la Somalie.
9/ Condamnation
des raids de Houthis sur les territoires et la souveraineté saoudiens, assurant
que la sécurité de l’Arabie Saoudite est partie intégrante de la sécurité du
monde arabe.
En fait
fidèle à elle-même, la Ligue Arabe a confirmé d’une part ses divisions qui ne
lui permettent pas de statuer sur des sujets fondamentaux et d’autre part, son
inutilité dans un environnement où les trois clans se combattent politiquement.
Il faut dire qu’à présent, l’Arabie saoudite, alliée des États-Unis et en
relations étroites avec Israël, contrôle le leadership arabe. Sauf à avoir une
occasion de se rencontrer et de dialoguer, on ne voit plus l’intérêt d’une Ligue Arabe qui devrait
penser à sa refondation ou à sa dissolution.
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