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mardi 29 janvier 2019

Le Centre politique a-t-il un avenir en Israël ?



Israël élections avril 2019

LE CENTRE POLITIQUE A-T-IL UN AVENIR EN ISRAËL ?

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright ©  Temps et Contretemps
            

          Les partis du Centre ont toujours existé en Israël avec plus ou moins de réussite mais leur durée a souvent été éphémère, souvent parce qu’ils ont été créés sur une brutale désillusion et qu’ils n’avaient pas une assise militante au sein de la population ni une implantation locale significative. Or un parti politique est constitué de militants engagés, de conseillers municipaux, de syndicalistes, de maires et même de députés qui maillent les régions. Même si les dirigeants au sommet sont des personnalités remarquables et remarquées, des héros du monde militaire ou des dirigeants d’entreprises ayant réussi, ils ne peuvent pas réussir seuls sans être entourés de professionnels de la politique et de militants convaincus qui assurent la pérennité de l’entité politique.


Yigal Yadin

Israël a connu plusieurs expériences centristes. Sans remonter très loin, le Mouvement démocratique pour le changement, désigné par son acronyme en hébreu Dash, avait été très populaire avec une durée de vie très courte. Formé le 2 novembre 1976 par de nombreux membres de la société civile connus, il a cessé d'exister en moins de deux ans malgré une percée spectaculaire dans la vie politique. 
Issus de la fusion de plusieurs mouvements libéraux (dont le Shinouï), avec la participation de plusieurs figures publiques telles que Yigal Yadin, ancien chef d'État-Major adjoint, Amnon Rubinstein, Shmuel Tamir, Meir Amit, Meir Zorea ainsi que d'autres dirigeants économiques et académiques et des Arabes israéliens. La formation du parti résultait de l'insatisfaction croissante vis-à-vis des partis dominants Dash avait été pionnier dans l'utilisation des primaires dans la construction de sa liste électorale pour affirmer son identité démocrate et empêcher le copinage. Dès son premier test électoral il obtint 15 sièges en se plaçant derrière le Likoud de Menahem Begin et la Gauche qui avait chuté de 51 à 32 sièges.
Le parti Dash fut invité à rejoindre la coalition en novembre 1977 et obtint plusieurs portefeuilles ministériels : les ministères des Transports et des Communications pour Meir Amit, celui de la Justice pour Shmuel Tamir et un poste de vice-Premier ministre pour Yigaël Yadin. Mais très vite la réussite du parti raviva les ambitions individuelles et mena à des désaccords internes au point de faire éclater le parti le 14 septembre 1978.

Lipkin-Shahak avec Shimon Peres

La deuxième expérience fut menée par le général Amnon Lipkin-Shahak. Après sa retraite de l'armée, il avait exprimé des opinions partagées par l'opinion et avait sévèrement critiqué le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Il avait appelé à la création d'un parti centriste qui comprendrait des représentants d'une grande partie de la société civile : «Le parti travailliste seul ne sera pas en mesure de parvenir à la paix en raison de l'image de gauche qui y est attachée, alors qu'un nouveau parti centriste incluant des forces de droite réussira». Aux élections législatives du 17 mai 1999, le parti du centre obtint 6 sièges. Lipkin-Shahak fut nommé le 5 août 1999, ministre du Tourisme et le 11 octobre 2000, ministre des Transports. Mais des divergences éclatèrent au sein du parti, le 6 mars 2001, forçant la démission de Lipkin-Shahak de la Knesset mettant fin à cette expérience centriste.
Tommy Lapid

La troisième expérience fut menée par Tommy Lapid, père du dirigeant actuel Yaïr Lapid de Yesh Atid.  Président et fondateur du parti libéral et laïque Shinouï de 1999 à 2006, il était fermement opposé au pouvoir des ultra-orthodoxes juifs sur la politique israélienne. Aux élections générales de 1999, il remporta 6 sièges à la Knesset, puis 15 en 2003, ce qui en fit le troisième parti d'Israël, derrière les travaillistes et le Likoud. Il avait rejoint le gouvernement d'Ariel Sharon, une occasion pour lui de préparer quelques mesures phares : l'obligation de service militaire pendant trois ans pour les jeunes orthodoxes, la suppression des subventions publiques aux religieux, la création d'un mariage civil, autorisé entre juif et non-juif, et sans accord préalable du rabbin, l'autorisation de l'importation de produits non-kasher.
Les conflits personnels et idéologiques auront raison du parti. Tommy Lapid  démissionna de son parti lorsqu'en décembre 2004, Ariel Sharon augmenta les subventions aux institutions orthodoxes pour avoir le soutien de petits partis religieux. Après avoir été battu en janvier 2006 aux primaires du parti Shinouï, il démissionna du parti pour mettre fin à cette expérience centriste. Cette défaite malheureuse servit à Yaïr Lapid pour ne pas organiser de primaires dans son parti. 
Dans ces trois expériences, les partis centristes n’ont servi que d’appoints à un parti de droite ou de gauche mais n’ont jamais réussi à s’imposer comme un parti de gouvernement capable de diriger le pays à la tête d’une coalition.
Aujourd’hui des activistes, qui s’opposent aux partis actuels, prônent la création d’un grand parti du Centre s’étendant de la droite à la gauche et sous la houlette des leaders : Moshé Yaalon, Gabi Ashkenazi, Avi Gabbay, Benny Gantz, Yaïr Lapid, Tsipi Livni et Ehud Barak. Il est difficile de croire à cette alliance d’ego. Mais elle a l'avantage de ne pas s’appuyer sur un désaccord idéologique sécuritaire mais sur les problèmes économiques qui peuvent rassembler un grand spectre politique. La classe moyenne et les classes défavorisées sont actuellement abandonnées par ceux qui ne croient qu’en une économie de marché, sans intervention du gouvernement.
Ces leaders, qui ne sont pas suspects de brader la sécurité du pays et qui connaissent les réalités de Tsahal se retrouvent sur la nécessité de faire des compromis avec les Palestiniens pour leur offrir un Etat plutôt que de participer à une annexion de la Cisjordanie. La notion du Centre n’est pas nouvelle puisqu’elle date déjà de Ben Gourion qui était à la tête d’un parti de centre gauche, le Mapaï. Mais il est vrai que le centre n'a pas de contours ni de limités établies. C’est d’ailleurs le cas en France où Macron a balayé les partis de droite et de gauche pour imposer En Marche. Le problème du Centre est qu’il est souvent dévoyé par des extrêmes qui dénaturent sa vision politique initiale.
L’histoire du Centre en Israël, que nous avons abordée succinctement, prouve que ses échecs répétitifs sont dus à sa personnalisation intense. Les partis n’ont pas survécu au départ de Yigal Yadin, d’Amnon Lipkin-Shahak et de Tommy Lapid. De même il est probable que Koulanou de Moshé Kahlon et Hatnuah de Tsipi Livni disparaîtront de la Knesset, au moins en tant que tels. En fait les partis centristes succombent souvent au populisme et au culte de la personnalité. Pourtant ceux qui souhaitent le rassemblement du Centre se justifient parce qu'il n'existe aucune différence idéologique probante entre les clans.
Mais ils doivent constituer un programme politique concret et réaliste car il ne s'agit pas de miser, avec la méthode Coué, sur la fin de l’ère Netanyahou. Ils ne peuvent pas venir au pouvoir sur la seule opposition au premier ministre, en utilisant parfois un slogan paradoxal : «Non à Netanyahou, oui au Likoud». 
D'ailleurs, par comparaison, les difficultés actuelles d’Emmanuel Macron s’expliquent par un programme politique nébuleux, par un entourage politique peu expérimenté, par un encrage local défaillant et par une politique économique qui oscille entre celle de droite et celle de gauche sans réelles décisions courageuses.
Appelons l'union, union de Tsahal

Selon un sondage du 28 janvier 2019, le front uni des partis de centre-gauche et de gauche pourrait vaincre Netanyahou car il est crédité de 40 mandats contre 29 pour le Likoud. Mais il ne s’agit que de prévisions car le problème est de convaincre l’électeur à long terme. Ce nouveau Centre israélien ne pourra réussir que s’il innove dans le domaine économique pour réduire le coût de la vie et la pauvreté, que s’il redistribue les dividendes du gaz et les richesses qui s’accumulent dans le pays, que s’il supprime les inégalités entre ceux qui font l’armée et ceux qui ne la font pas, que s’il améliore le système de santé mal classé à  l’Ocde, et que s’il unit en une seule entité les Israéliens quelles que soient leur religion et leur couleur de peau.  Vaste programme!

Mise à jour du 29 janvier 


Première étape d'union : Moshe Ya'alon, dirigeant du parti Telem, et Benny Gantz, dirigeant du Parti de la résilience israélienne, ont décidé de s'unir pour les prochaines élections d'avril.




3 commentaires:

François GUTHMANN a dit…

Cher Jacques Benillouche brillante analyse. Et je vois que nous nous rappelons bien tous les deux des élections de 77 et des déconvenues qui en suivirent. Et pourtant on y croyait, dur comme fer, à la possibilité de faire alors évoluer les choses. A cette alliance parti démocratique de Y. Yadin et Shinouï d'Amnon Rubinstein. A la présence conjointe de personnalités comme Meïr Amit ou encore Stef Wertheimer qui promettait le changement.

Et oui, cette expérience malheureuse ne fait que se répéter. Ad vitaem aeternam.

Unknown a dit…

Très intéressant ! Et très bien documenté !

Elizabeth GARREAULT a dit…

La dernière expérience remonte à 18 ans. Je ne sais pas si on peut raisonnablement extrapoler. La gauche s'est effondrée et la droite s'est radicalisée, la configuration n'est donc plus la même si on pense à l'électorat et pas à l'idéologie véhiculée. A mon sens, il y a une place pour ceux qui ne veulent plus voter Avoda et pour ceux de droite mais qui sont effrayés par les dérives du Likoud.
Est-ce que ça se traduira en chiffres? Pour l'instant, ton analyse est juste mais l'électorat est inconstant dans sa majorité.
S'il y a de toute façon une erreur majeure, elle est dans le fait qu'au lieu de tabler sur les vases communicants (à qui je vais pouvoir piquer des mandats), il vaudrait mieux chercher à parler et à convaincre le plus grand parti d'Israël qui est celui des abstentionnistes.