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samedi 17 avril 2021

Sarah Aaronsohn héroïne juive du Nili, ancêtre du Mossad



SARAH AARONSOHN HÉROÏNE JUIVE DU NILI, ANCÊTRE DU MOSSAD

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            
Sarah Aaronsohn

          L'indépendance d'Israël a été acquise grâce à de nombreux héros juifs, souvent méconnus. En ce jour de Yom Hatzmaout, il est de notre devoir de rappeler certains visages qui ont marqué l'Histoire du pays.  C’est par un pur hasard, en visitant les caves réputées de Zichron Yaakov au nord du pays, que nous avons découvert l’histoire oubliée de Sarah Aaronsohn, morte à 27 ans en héroïne du Nili, l'ancêtre du Mossad. La ville faisait partie de la Syrie ottomane lorsque la Turquie entra en guerre en 1914 aux côtés de l’Allemagne. Les Juifs de Palestine s'étaient alors trouvés dans une situation critique.




Zichron Yaakov aujourd'hui

            Les parents de Sarah, sionistes de Roumanie venus en Palestine ottomane en même temps que les pionniers de la première aliyah, avaient fondé le moshav où naquit Aaronsohn. Encouragée par son frère Aaron, elle avait étudié les langues et parlait couramment l'hébreu, le yiddish, le turc et le français, maîtrisait bien l'arabe et enseignait l'anglais. Elle avait épousé Haïm Abraham, un négociant plus âgé et riche de Bulgarie, et a vécu brièvement avec lui à Istanbul. Mais le mariage étant malheureux, elle décida de rentrer chez elle à Zichron Yaakov, en décembre 1915. 
          Sur son chemin d'Istanbul à Haïfa, elle a été témoin d'une partie du génocide arménien. Elle a témoigné avoir vu des centaines de corps d'hommes, de femmes, d'enfants et de bébés arméniens malades chargés dans les trains. Plus de 5.000 Arméniens furent massacrés et brûlés en étant liés à une pyramide d'épines. Après son voyage à Haïfa, toute allusion aux Arméniens la bouleversait énormément. Elle décida donc d'aider les forces britanniques à la suite de ce qu'elle avait vu.
Génocide arménien

            Les sujets ottomans juifs ont été enrôlés de force dans l’armée turque tandis que les Juifs d’origine russe, anciens sujets du Tsar, furent internés ou expulsés vers la Russie. Ils ont été soumis à la vindicte de Jamal Pacha, gouverneur militaire syro-palestinien, connu pour sa cruauté envers les non-musulmans. Ainsi il fit arrêter, le 17 décembre 1914, 750 Juifs de Tel-Aviv, hommes, femmes et enfants pour être internés en Égypte dans des conditions effroyables. David Ben Gourion et quelques amis arrivèrent à s’enfuir vers les Etats-Unis mais les Juifs du Yichouv furent pris au piège. Les Shomrims, groupes de surveillance de quartier faisant partie des patrouilles juives civiles, furent immédiatement exécutés, entraînant le pillage des villages. L’emploi de l’hébreu fut interdit. La famine fit son apparition.
Aaron Aaronsohn

            C’est pour hâter la victoire de la Grande Bretagne sur la Turquie, qu’en 1915, un groupe d’amis de Zichron Yaakov, décidèrent de fonder un réseau d’espionnage appelé le NILI, acronyme de Netsah Israel lo Yishaker (la providence d’Israël ne sera pas vaine "livre de Samuel 15-29"), précurseur du Mossad. Les principaux membres de ce réseau furent Aaron Aaronsohn et sa sœur Sarah, Avshalom Feinberg, Yossef Lishansky et Naaman Belkind.
Avshalom Feinberg et Sarah en 1916

            Feinberg noua un premier contact avec les Anglais en se glissant dans le dernier navire américain qui avait pu accoster au port de Haïfa. En débarquant en Égypte, l’État-major anglais n’avait pas daigné donner suite. Aaron Aaronsohn décida alors d’agir en usant de son statut d’agronome respecté par les Turcs parce qu’il avait découvert sur le Hermon une variété de blé sauvage extrêmement résistante aux parasites. Le gouvernement turc l’autorisa donc à voyager pour donner des conférences à Berlin ce qui lui permit de contacter les sionistes allemands. Grâce à eux, il obtint un passage clandestin pour la Grande Bretagne.
            Si Scotland Yard n’appréciait pas «l'aventurier levantin», le ministère de la guerre l’intéressait et lui octroya un sauf-conduit pour l’Égypte. Il prit donc contact, en décembre 1916, avec le renseignement britannique en Égypte. Mais comme Aaron n’avait pas donné de nouvelles, Avshalom décida de renouer les contacts avec l’État-major britannique. Il partit à pied pour l’Égypte avec Joseph Lishansky car les ports étaient gardés par les Turcs. Ils se déguisèrent en bédouins et arrivèrent à déjouer la surveillance des Turcs. Mais, dans la région d’El Arish, ils furent attaqués par des pillards et Avshalom fut tué. Joseph s’enfuit et arriva, blessé, à Port-Saïd où il apprit l’arrivée d’Aaron.
Maison des Aaronsohn

            Dès le 28 janvier 1917, depuis un navire de guerre britannique qui mouillait au large d’Atlit, Aaron passa alors des messages à Sarah restée à Zichron Yaakov. Toute la responsabilité du réseau en territoire occupé par les Turcs retomba sur Sarah Aaronsohn. Elle fit preuve d’héroïsme, d’abnégation et de patriotisme non seulement face aux ennemis ottomans mais aussi face aux membres du Yichouv, qui ne l’ont pas aidée face à ses difficultés matérielles et morales. 
          Elle organisa alors le réseau depuis sa maison et, chaque nuit sans lune, transmit à son tour des informations aux Anglais. Le réseau fut découvert d'une manière hasardeuse. Pendant la fête de Souccoth 1917, un pigeon-voyageur, envoyé depuis la station d'expérimentation de Atlit et muni d'un message secret à l'attention des Britanniques, fut intercepté par les Turcs qui cassèrent le code. La répression s’abattit alors sur les membres du Yichouv ; des militants du Nili furent arrêtés et grièvement maltraités. Le père et le petit frère de Sarah furent torturés devant elle.
            Elle endura quatre jours de torture sans révéler aucune information secrète. Avant d'être transférée à Damas pour enquête approfondie, sinon pour torture, elle avait demandé la permission de retourner chez elle à Zichron Yaakov pour changer ses vêtements tachés de sang. Craignant de ne pas résister aux tortures, elle réussit à se suicider avec un pistolet dissimulé sous une tuile dans sa salle de bain, le 9 octobre 1917, cent ans jour pour jour. Dans sa dernière lettre, elle avait exprimé son espoir que ses activités à Nili rapprocheraient la réalisation d'une maison nationale pour les Juifs en Eretz Israël.
            Mais la vindicte religieuse la poursuivit. Sarah Aaronsohn s'était vu refuser un enterrement dans un cimetière juif en raison de son suicide mal interprété. Le Shoulkhan Aroukh, loi juive, stipule clairement que celui qui se suicide n’a droit à aucune cérémonie funéraire. Il était cependant difficile de refuser un enterrement juif pour un héros de guerre juif. Les rabbins trouvèrent un compromis boiteux en construisant une petite clôture symbolique autour de sa tombe dans le cimetière, pour l'isoler des "bons Juifs".

            Les Turcs arrêtèrent Joseph Lishanski et Naman Belkind, et les envoyèrent à Damas pour les exécuter. Les informations contenues dans les quelques messages passés aux Anglais semblaient bien dérisoires mais le Général Allenby dira plus tard que ces renseignements furent décisifs pour le succès de l’offensive anglaise. Ils lui permirent, entre autres, de conduire une attaque surprise à Beer-Shev’a en échappant aux défenses turques qui tenaient Gaza.  
          Le seul survivant du groupe Nili fut Aaron. Des recherches furent entreprises pour retrouver le corps d’Avshalom Feinberg, en vain. Mais en juillet 1967, un mois après la Guerre des-Six-Jours, des Bédouins indiquèrent aux soldats israéliens, le lieu dans le Sinaï où était enterré Aaron, qu’ils appelaient «l’arbre du Juif» car un palmier dattier avait poussé sur son corps, à partir de noyaux de dattes restés dans ses poches. Le 29 novembre 1967, il fut rapatrié à Jérusalem et enterré au cimetière militaire du Mont Herzl.
            Plus d'une centaine d'années plus tard, le souvenir de cette héroïne, qui sacrifia sa vie à 27 ans, le 9 octobre 1917, méritait d’être rappelé. Elle fut à l'origine de la création d'un embryon de service de renseignements qui préfigurera plus tard le réputé Mossad.

3 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

J'espère que vous voudrez bien m'excuser , mais ce matin c'est une autre Sarah à laquelle je pense : Sarah HALIMI, ce médecin à la retraite de 65 ans, qui a été torturée puis défenestrée, en 2017, aux cris de "Allah Akbar !" par un jeune voisin musulman de 27 ans - Kobili Traoré - qui n'aura pas à répondre de son crime devant la justice française.
En effet la Cour de cassation, au bout de quatre ans de débat médico-légal, vient honteusement de déclarer le meurtrier irresponsable de cet assassinat antisémite, au prétexte qu'il aurait été sous l'emprise du cannabis au moment des faits.

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/meurtre-de-sarah-halimi-ce-deni-de-justice-est-une-maniere-d-occulter-le-reel-20210415

En France aujourd'hui, c'est la Justice qu'on assassine !

gerard boukobza a dit…

Merci pour le rappel de ces faits d’héroïsme admirables. Histoire oubliée. Je voudrais donner quelques éléments supplémentaires.
Rappeler que c'est chez les parents d'Absalon Feinberg qu'est née la Hatikva pendant que la mère jouait au piano la Moldau,un invité ,Naphtali Imber en a improvisé les paroles ;
Absalon avait vécu en France et cultivé l'amitié de Peguy et J Maritain ; Aaron Aaronshon avait parcouru la planète pour faire aboutir ses idées au début dans le domaine agricole puis dans le cadre de Nili.
Un livre admirable paru en 1967 avait rapporté tous ces faits de manière romancée en changeant les noms des personnages mais avec une grande fidélité:"histoire de Rachel" par l'écrivain et scénariste Michael Blankfort

Unknown a dit…

Cher Jacques, le nom d'Aaronsohn évoque pour moi cette grande dame de Haifa qui, en 1946-47 hébergea ma soeur, tout juste rescapée de la France de l'occupation, qui fut pour elle une véritable seconde mère dont elle vénéra le souvenir jusqu'à sa mort. Ma soeur racontait que Madame Aaronsohn avait vécu dans la Palestine ottomane et faisait partie de l'aristocratie du Yishouv.
N'était-ce pas la veuve d'Aaron Aaronsohn ?