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dimanche 26 février 2023

Le projet judiciaire ravive la division entre Orientaux défavorisés et élite ashkénaze


LE PROJET JUDICIAIRE RAVIVE LA DIVISION ENTRE ORIENTAUX DÉFAVORISÉS ET ÉLITE ASHKÉNAZE

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

           

David Amsalem

          Malgré des décennies d’injustice, les Orientaux restent fidèles à l’extrême-droite. Cependant, l'opposition aux projets judiciaires du gouvernement prend de plus en plus une tournure ethnique. Le clivage n’est plus politique entre gauche et droite mais entre séfarades et ashkénazes. D’ailleurs des dirigeants importants du Likoud n’hésitent plus à fustiger les Juifs ashkénazes riches et privilégiés. David Amsalem, d’origine marocaine, n’a pas hésité à condamner une image grossière des manifestants : «Eh bien, j'ai quelque chose à vous dire. Je travaille aussi, moi et deux millions et demi de personnes, nous travaillons tous pour le pays, même s'il est bien vrai que la plupart d'entre nous travaillent pour vous, nettoyant vos maisons et vos jardins. J'ai vu beaucoup de choses scintiller lors de la manifestation, et plus tard j'ai réalisé que c’étaient les montres Rolex portées par les manifestants. Allez voir combien de Mercedes ils ont». Cela ne l'empêche pas cependant d'arborer lui-même une montre Cartier.



Manifestation à Netanya

Il est évident qu’il ne visait pas les populations défavorisées séfarades mais il s’agit du signe terrible du réveil de la division profonde dans le pays. La Droite a toujours choisi la stratégie de diviser pour régner depuis la victoire de Menahem Begin en 1977 qui avait tout fait pour neutraliser le monopole travailliste à tous les niveaux de l’État. Dans cet affrontement droite-gauche, Begin portait la voix des classes populaires et symbolisait la revanche des Orientaux et en particulier celle des originaires du Maroc. Il avait organisé un séisme politique qui avait conduit à une division entre Libéraux et Conservateurs, entre religieux et laïcs. Netanyahou a repris le flambeau en opposant Juifs et Arabes israéliens, entre Juifs religieux et non-croyants et en faisant voter la loi sur l’État nation.

Fondateur du Shass


Sous couvert de défense du caractère juif de l’État, il s’agissait d’une attaque contre la gauche ashkénaze, libérale et laïque, indifférente aux traditions prisées par les électeurs de droite, voire méprisante, face aux «embrasseurs de mezouzah». C’est pourquoi les soutiens de Netanyahou se définissent comme appartenant au «bloc des croyants» par opposition aux mauvais Juifs qui ne méritent pas de décider du sort d’Israël. Durant les élections du 1er novembre 2022, les orthodoxes séfarades du Shass ont exploité à leur profit la dichotomie entre populations de la périphérie et membres de la startup nation. David Amsalem, l’aboyeur du Likoud, s’était distingué en qualifiant la coalition sortante Lapid-Bennett de «gouvernement d’ashkénazes Tzfon Bonim (résidents des beaux quartiers du nord de Tel-Aviv)». Le comble provient du fait que le Likoud est dirigé en majorité par des ashkénazes ce qui avait poussé la ministre Miri Regev, d’origine marocaine, à s’élever contre cette réalité : «Si les membres du Likoud continuent d’élire des leaders avec un ADN blanc, un autre Likoud émergera, un vrai Likoud mizrahi, qui exprimera la voix mizrahi exclue pendant toutes ces années». Il est vrai que sa réaction a été tardive car durant plusieurs années, elle a été le soutien inconditionnel de l’ashkénaze Netanyahou.

Miri Regev


On se perd en conjectures sur le retour des vieux stéréotypes identitaires qui serait axé sur la haine qui unit, poussant la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, à assurer qu’il n’y a pas de «racisme institutionnel» en Israël. Toujours est-il que le Bureau Central des Statistiques vient de décider la réintroduction des statistiques ethniques en termes d’Ashkénazes ou d’Orientaux. Cela représente ainsi la vraie menace pour Israël qui ne vient pas de l’extérieur, mais de ses divisions internes.

Cela se traduit par les propos d’Amsalem qui enfonce le clou : «Vous êtes prêts à nous donner des diplômes et même des voitures, mais pas à nous permettre de gouverner. Vous ne nous avez jamais accordé cela : pas dans les forces de sécurité, pas dans le système judiciaire, pas dans le milieu universitaire, pas dans la culture, et certainement pas à la Cour suprême et au parquet. Et au Service des prisons, savez-vous qui sont les gardiens ? Des Marocains et des Druzes». 

La création de Yérouham

L’exemple est venu depuis longtemps d’en haut. David ben Gourion n’avait pas hésité à fustiger les Orientaux : «Ces Juifs du Maroc n'avaient aucune éducation. Leurs coutumes sont celles des Arabes. Le Juif marocain a beaucoup appris des Arabes marocains. La culture du Maroc, je ne voudrais pas l'avoir ici. Nous ne voulons pas que les Israéliens deviennent arabes. Nous avons le devoir de lutter contre l'esprit du Levant, qui corrompt les individus et les sociétés, et de préserver les valeurs juives authentiques telles qu'elles se sont cristallisées dans la diaspora européenne». Il avait donné ordre d’entasser les Juifs orientaux, à leur arrivée en Israël, dans des camps de transit dans des zones reculées, loin de toute civilisation, tandis que les ashkénazes bénéficiaient de maisons récupérées chez les Palestiniens. Cela ne s’est pas fait sans heurt avec des pénuries alimentaires et des mauvaises conditions de soins médicaux pour ceux qui étaient considérés comme de la main d’œuvre à bon marché dans des villes de développement où les lycées n’étaient volontairement pas construits pour éviter l’ascension sociale. Il ne fallait qu’offrir des emplois subalternes non qualifiés à tous ces nouveaux venus. Ce fut en particulier l’histoire de la ville de Yérouham dans le désert du Néguev qui a été bien racontée par l’un de ses habitants. 

Manifestation des blacks Panthers en 1971


Les Orientaux ne sont jamais restés passifs. Ils ont manifesté en 1949 à Ashkelon en même temps que les habitants de Ramleh devant la Knesset et à l’intérieur de l’Agence Juive à Haïfa, pour exiger «du pain et du travail» car ils étaient installés dans des villes de développement et dans les mochavim pauvres. Ceux qui décidaient de quitter, de leur plein gré, les villages qu’on leur avait imposés se retrouvaient dans des bidonvilles autour des grandes villes qui trouvaient ainsi une main d’œuvre et des femmes domestiques à bon marché. Le premier soulèvement juif marocain a eu lieu en 1959 dans le quartier pauvre de Wadi al-Salib à Haïfa, dont la population palestinienne avait été remplacée par des Juifs marocains qui se sont trouvés à l'avant-garde du deuxième et plus important mouvement des Black Panthers israéliens, qui dominèrent la scène israélienne de 1970 à 1973. En mai 1971, lors d'une de leurs plus grandes manifestations, 260 partisans des Black Panthers furent arrêtés par la police. D'autres manifestations ont suivi en janvier et mai 1972 alors que le chef de la police de l’époque, Shlomo Hillel, d’origine irakienne, avait été qualifié de «collaborateur noir».

Begin élections 1977


Ces grandes vagues de protestation ont été à l’origine de la défaite des Travaillistes en 1977.  Malgré la discrimination permanente, les Juifs orientaux ont voté en majorité pour le camp sioniste israélien et ont favorisé la création d’implantations en Cisjordanie. D’ailleurs David Amsalem habite Maalé Adumim dans les territoires. Les écarts de revenus, de richesse, d'éducation et de santé entre les Ashkénazes et les Orientaux n'ont fait qu'augmenter au cours des dernières décennies. D’ailleurs de nombreux Israéliens n’hésitent pas à qualifier le levée des boucliers des startups israéliennes contre la réforme judiciaire comme le combat de l’élite ashkénaze riche, qui défend ses intérêts financiers, contre le peuple séfarade inféodé au pouvoir.  Ils s’appuient en effet sur le fait que les grandes manifestations du samedi ne sont pas l’œuvre essentielle de la Gauche mais aussi de dirigeants économiques qui veulent protéger leurs privilèges. 

2 commentaires:

Georges Kabi a dit…

Il y a un cchiffre terrible qui illustre bien cet article: 11%! 11% des jeunes israeliens proviennent de mariages "mixtes" entre ashkenazes et sefarades.
Je suis ashkenaze marie a une femme d'origine marocaine. Dans la famille de ma femme, une de ses 3 soeurs est elle aussi mariee a un ashkenaze.
Dans ma jeunesse, je militais dans le mouvement "Hanoar Hatzioni" qui preconisait de suivre l'appel de Ben Gourion au sujet de melange des origines. Les 3 derniers membres de ce mouvement en France qui ont fait leur aliya ont suivi ce propos. Une askenaze est mariee a un Yemenite, un askenaze avec une egyptienne, et moi avec une marocaine.
Mais les mariages restent dans les communautes: Les Tunisiens se marieront avec des Tunisiens, les Irakens ave des Irakiens ou des Marocains, les Yemenites entre eux ou au moins avec les Irakiens, les vrais sepharades (locuteurs du ladino) se marient avec des locuteurs du ladino, bref on continue presque inconsciemment a vouloir rester dans un environnement connu et confortable. Meme chez les ultra-orthodoxes, un(e) askenaze ne se mariera jamais avec un(e) sefarade. D'ailleurs, chez les ultra-orthodoxes, la discrimnation remonte depuis le jardin d'enfants.

Véronique ALLOUCHE a dit…

Ma famille de Turquie a fait son alyah en 48. Pour eux pas de maison en dur mais des tentes en guise de logement. Mon oncle était terrassier. A 40 ans il en paraissait 70, usé comme tant d’autres à l’époque par les travaux harassants.
Ce qui le maintenait c’était sa croyance naïve en Dieu, maître absolu de son destin. Il ne demandait rien, se contentant de presque rien.
Oui il y avait une discrimination notoire entre orientaux et ashkénazes en Israël, personne ne peux le nier et cet article met bien en évidence cette différence de traitement que l’on observe encore aujourd’hui. Le racisme et l’exclusion n’existent pas qu’ailleurs.
Merci à l’auteur de le rappeler.