LE BEST-OF DES ARTICLES LES PLUS LUS DU SITE, cliquer sur l'image pour lire l'article


 

lundi 28 juin 2021

Télé allemande, les Juifs du vendredi soir par Francis MORITZ

 


TÉLÉ ALLEMANDE, LES JUIFS DU VENDREDI SOIR


Par Francis MORITZ

 

 

Télé allemande, Talk show les Juifs du vendredi soir

Provocation, transgression, explication, controverse, comment ne pas se poser toutes ces questions. Il y a de quoi être très surpris d’apprendre que la télévision allemande a commencé la diffusion depuis le 18 juin, le vendredi soir, d’un Talk- show intitulé Friday Night Jews. Il faut replacer cette émission inédite et à priori insolite, dans son contexte, celui d’une petite communauté juive de 200.000 membres dans un pays de 83 millions qui a été le berceau du nazisme et portera longtemps le poids des six millions de victimes juives, sans oublier les millions d’autres, quand bien même certains dans l’extrême droite et parfois au sein d’autres forces politiques, essayent de remplacer le narratif du pays par un autre moins lourd en responsabilités face à l’histoire.



D.DONKOY reçoit Ahmed Mansour auteur Arabe-israélien


Il est trop tôt pour en tirer tous les enseignements. Cependant, on peut déjà se demander pourquoi la chaine nationale allemande ARD a fait ce choix. Depuis le début de la pandémie, l’antisémitisme qui n’avait jamais totalement disparu a retrouvé une nouvelle vie, avec une multiplication des actes de violences, comme si, dans ce pays, la Covid avait la spécificité de diffuser un second virus à dimension antisémite.

L’animateur Daniel Donskoy, 31 ans, est juif d’origine russe. Il a grandi en Allemagne, après un passage en Israël et a été formé à Londres. Il souligne lui-même que sa judéité est absolument marginale en ce qui le concerne. Il jouit d’une excellente réputation.  Le décor utilisé représente un appartement élégant dans Berlin. L’objectif de l’émission est de donner la parole à des Juifs qui s’exprimeront sur tout, leur vie au quotidien, leurs sentiments, voire d’autres thèmes plus intimes, tout cela évidemment en tant que juif, à l’exclusion du passé et de l’antisémitisme qui sont tabous. L’émission est enregistrée avant la diffusion du vendredi. Le présentateur convie ses invités à partager le diner de shabbat et si des Juifs religieux souhaitent voir les épisodes, ils sont disponibles en podcast et sur YouTube.

Une fois posés le décor et les thèmes abordés par le présentateur et ses invités, quelle analyse peut-on faire : On relève une première condition, surtout ne pas aborder le passé, mais au contraire, des sujets communs à tous, sous-entendu juifs et non juifs. D’ailleurs le talk-show est annoncé avec de «vrais Juifs» comme si on pourrait avoir un doute. Le passé et l’antisémitisme sont deux sujets brûlants alors qu’outre la pandémie, l’Allemagne affronte depuis des mois, une violente lame de fond antisémite qui a déjà frappé les personnes à plusieurs reprises.

Osnabrück, ouverture de l’institut de formation des Imams


On n’en est donc pas resté aux graffitis, aux insultes ou aux slogans antisémites. On veut aussi la mort du pécheur. Donc 76 ans après la fin de la guerre, malgré les efforts réels des autorités pour éliminer la bête immonde, elle a survécu. Pendant ce temps, on inaugure la nouvelle grande synagogue de Berlin et l’école de formation des imams allemands à Osnabrück, 100% allemande. Au fait, que faisons-nous en France sur ce sujet après l’échec de la charte républicaine avec les organisations musulmanes ? Apparemment pas de nouvelles, bonnes nouvelles !

D. Donkoy déclare proposer aux téléspectateurs une nouvelle perception du mot juif «Il ne s’agit pas de l’arme absolue contre l’antisémitisme mais une tentative de créer une perspective nouvelle et différente qui vise à améliorer les rapports dans la société et le vivre ensemble»  peut-être un Juif sans Shoah et sans antisémitisme ? Ça n’existe pas. Le concept est de démontrer que l’identité juive n’est pas unidimensionnelle et qu’elle présente autant de diversité que la population allemande. Cette émission est partie intégrante d’un projet plus vaste intitulé «1700 ans de vie juive en Allemagne».

La question de la représentativité des intervenants se pose rapidement. Les instances de la communauté ne se sont pas exprimées. La réponse vient tout aussi vite, personne en particulier. Pour les premiers épisodes, le présentateur a manifestement choisi des personnalités plus ou moins connues, mais le choix s’épuisera rapidement. D. Donkoy a déjà reçu des reproches, précisément sur sa faible judéité. Il ne serait pas le meilleur interlocuteur. Très rapidement le thème de qui est Juif et quel contenu donner à ce judaïsme devient une question existentielle, sans réponse univoque.

Télé allemande programme 1700 ans de vie juive


Au fond s’agit-il de réintégrer Juifs et judaïsme dans le narratif de la société allemande au-delà de la tragédie du IIIème Reich ? Ou s’agit-il de montrer que les Juifs sont comme «nous tous, téléspectateurs non juifs» avec leurs différences, pour enrayer cette nouvelle montée de l’antisémitisme. L’effort est louable, le résultat improbable. Car pour certains ce sera encore un motif de constater, encore les Juifs, même à la télé ! Tandis que d’autres, découvrirons, mais ils sont «comme nous !» Une des grandes surprises des téléspectateurs qui se sont exprimés c’est d’entendre et de regarder des Juifs (pas de non juifs dans l’émission) échanger sans évoquer la Shoah ou l’antisémitisme. C’est comme si on leur avait enlevé une partie d’eux-mêmes. Le rédacteur en chef de la chaine souligne qu’en effet «nous ne sommes pas tous pareils, c’est pourquoi pouvoir améliorer les rapports dans la société est un objectif que nous poursuivons grâce à cette émission» La chaine se félicite d’avoir lancé cette émission, même si elle provoque autant de menaces et de haine que de réactions positives.

Espérons que les extrémistes ne stigmatiseront pas l’émission pour amplifier le mouvement antisémite en cours. Elle démontre si besoin était le pouvoir de la télévision et l’outil formidable qu’elle représente. Une chaine française s’inspirera-t-elle de l’Allemagne si souvent citée en exemple ou tout autant décriée, pour lancer une émission semblable ? Ce qui devrait être une de ses missions, surtout quand on revendique le Bien vivre ensemble à chaque deuxième phrase.  J’en doute. Cela en contrarierait plus d’un et puis, ne sommes-nous pas à peine un an avant l’élection présidentielle. Les Allemands voteront en septembre.

Lien pour regarder les émissions déjà enregistrées

https://www.ardmediathek.de/sendung/freitagnacht-jews-mit-daniel-donskoy/staffel-1/Y3JpZDovL3dkci5kZS9mcmVpdGFnbmFjaHRqZXdz/1/


3 commentaires:

Véronique Allouche a dit…

Hélas je ne comprend pas l’allemand pour écouter l’émission en question mais à priori est-ce nécessaire de montrer les juifs comme s’ils étaient des chiens savants? Être juif est-ce vivre autrement que les non juifs et vivons-nous tous de la même façon parce que juifs? Si le but de l’émission est de répondre à ces questions elle discrimine par le fait qu’elle veut justement prouver que le juif ressemble finalement à n’importe qui d’autre comme si ce n’était pas une évidence.
Il ne serait pas souhaitable d’avoir ce genre d’émission en France puisque la République n’accepte pas le communautarisme. Et c’est tant mieux.
Bien à vous.

Francis Moritz a dit…

Bonjour, avec cet article j’ai en tête la revendication française de l’origine judéo-chrétienne de l’Europe et la France, fille ainée de l’Église, en particulier. Je m’interrogeais sur l’éventualité où on célèbrerait, en France les 1700 ans de présence juive comme en Allemagne par divers évènements. Je me suis donné la réponse : ça n’aura pas lieu. Au-delà, il ne vous aura pas échappé qu’actuellement, la communauté juive en France compte de l’ordre de 500.000 membres contre près de 750.000 il y a quelques années. Tandis qu’en Allemagne, après-guerre elle était réduite à quelques survivants, aujourd’hui de l’ordre de 200.000.
Alors on peut en effet faire profil bas, toujours plus bas. Si cette émission permet de modifier la perception de quelques-uns , ce qui semble être le cas, elle aura du sens, à mes yeux. Chacun selon ses convictions certes. En guise de réflexion je vous propose aussi cette citation d’un pasteur qui s’est longtemps opposé aux communistes dans l’Ex Rda :

Citation du pasteur Gustav E. Niemöller né en 1892 et mort en 1984, opposant en ex RDA

Quand ils sont venus chercher les juifs
je n'ai rien dit
car je n'étais pas juif.

Quand ils sont venus chercher les communistes
je n'ai rien dit
car je n'étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes
je n'ai rien dit
car je n'étais pas syndicaliste.
Et quand ils sont venus me chercher
il n'existait plus personne
qui aurait voulu ou pu protester...

Bien cordialement,

Marianne ARNAUD a dit…


Monsieur Moritz,

Je suis en tout point d'accord avec ce qu'écrit Véronique Allouche.
Mais lorsque vous écrivez, en parlant de l'Allemagne : " ...un pays de 83 millions qui a été le berceau du nazisme et portera longtemps le poids des six millions de victimes juives...", je suis perplexe.
Dois-je vous rappeler que l'Allemagne occupe, à elle seule, 11 des postes-clés (sur 21) au sein des principales institutions européennes ?

https://www.touteleurope.eu/institutions/ces-postes-cles-europeens-qui-sont-renouveles-en-2019/

Cordialement.