RIEN NE VA PLUS ENTRE L’ÉGYPTE ET LA TURQUIE
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Depuis la mort d’Hosni
Moubarak, Tayyip Erdogan a tout fait pour le remplacer à la tête du leadership du monde
musulman sunnite mais il n’a pas réussi face à l’opposition ferme du président
Al Sissi qui lui reproche son soutien aux Frères musulmans de Gaza. Les
relations se sont envenimées depuis la destitution, en 2013, de Mohamed Morsi,
issu de la Confrérie. Aujourd’hui le problème libyen suscite des tensions entre
les deux pays au point que le président égyptien menace de lancer une
intervention militaire en Libye si la Turquie persistait dans son intention
d’envoyer des troupes à Tripoli.
Sarraj et Haftar |
La
situation est complexe en Libye où deux clans se disputent le contrôle du pays.
D’un côté, le GNA (gouvernement d'Accord national), gouvernement intérimaire
dirigé par le Premier ministre Fayez al-Sarraj et approuvé à l'unanimité par le
Conseil de sécurité des Nations Unies qui a reconnu le GNA comme seule autorité
exécutive légitime en Libye. De l’autre côté, le maréchal Khalifa Haftar, chef
de l’ANL (Armée nationale libyenne) qui relève des autorités non reconnues de
Tobrouk, est soutenu par l'Égypte et les Émirats arabes unis, voire la Russie,
qui disposerait en Libye d’une centaine de mercenaires.
Haftar
a l’appui de plusieurs groupes armés originaires du Soudan et du Tchad tandis
que le GNA et les milices qui le soutiennent peuvent compter sur le Qatar et la
Turquie qui a signé un accord visant à renforcer sa coopération militaire avec
Tripoli, consistant à livrer du matériel militaire, blindés et drones, en
particulier. En effet, fin novembre, un accord de délimitation maritime
controversé et un accord de coopération sécuritaire autorisant l'envoi d'une
éventuelle aide militaire turque ont été conclus entre le GNA et la Turquie.
Le
maréchal Haftar avait donné l’ordre, le 14 décembre, à ses troupes de lancer la
bataille «finale» pour s’emparer de Tripoli : «L’heure zéro a
sonné pour l’assaut large et total attendu par tout Libyen libre et honnête». On se souvient qu’après s’en être pris aux djihadistes
présents dans l’est et le sud de la Libye, l’ANL d’Haftar avait lancé en avril
2019 une offensive en direction de Tripoli, contre les milices loyales au GNA
en avril dernier. Mais la situation a peu évolué. Le maréchal Haftar «qui
ambitionnait de s’emparer aisément de Tripoli», alors aux mains d’une
multitude de groupes armés localisés, a échoué dans sa tentative.
Un
combat de positions s’en est suivi. Les troupes d’Haftar sont restées aux
abords de Tripoli tandis que les forces du GNA ont pris la ville stratégique de
Ghariyan à la fin de juin 2019. Il semble que la position d’Haftar se soit
dégradée. La raison est l’implication d’acteurs internationaux et régionaux qui
fournissent du matériel militaire ainsi que l’intervention directe de groupes
armés étrangers dans les combats. Les forces de Haftar mènent depuis avril 2019
une offensive contre Tripoli, où siège le GNA et les affrontements ont causé la
mort de plus de 1.000 personnes tandis que 140.000 ont été déplacées.
Sarraj-Erdogan |
Le
chef du GNA, Fayez el-Sarraj, a été reçu le 14 décembre par le président turc,
Recep Tayyip Erdogan, au lendemain de la ratification de l’accord militaire par
le Parlement turc. À cette occasion Ankara avait évoqué l’envoi éventuel de
troupes pour soutenir les autorités de Tripoli face aux forces du maréchal
Haftar. Mais l’Égypte n’a pas apprécié d’avoir été mise à l’écart du protocole
d’accord signé entre Ankara et Tripoli sur leurs frontières maritimes
respectives, sans se préoccuper de la Grèce, de la République de Chypre et… de
l’Égypte. En toile de fond, la Turquie lorgne les réserves de gaz naturel en Méditerranée
orientale. Le 16 décembre, Al-Sissi s’est retrouvé sur la même longueur d’onde
que le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian en déclarant : «le
GNA était l’otage de milices armées et terroristes. Chez les opposants au
maréchal Haftar on trouve parmi les miliciens des responsables de hold-up, des
spécialistes de la prédation et des jihadistes ainsi que des groupes mafieux de
passeurs, qui torturent et mettent en esclavage des migrants. Ils ne se battent
pas pour Sarraj mais pour la protection de leurs activités criminelles».
Le
président al-Sissi a également estimé que le «conflit libyen constituait une
menace pour la sécurité nationale de l’Égypte. Nous avons la possibilité
d’intervenir en Libye mais nous ne l’avons pas fait pour maintenir les
relations et la fraternité avec le peuple libyen». Mais comme il est est certain que les militaires turcs interviendront, Al Sissi a lancé
une mise en garde : «Nous n’autoriserons personne à contrôler la Libye,
c’est une question qui relève de la sécurité nationale de l’Égypte». En
écho Erdogan a rétorqué : «Si nécessaire, nous renforcerons notre soutien
militaire à la Libye»
Lors
d’une cérémonie organisée au chantier naval de Golcuk pour la mise à l’eau de
Piri Reis, le premier sous-marin fabriqué par les Turcs, Erdogan a reproché à
la Grèce et aux pays la soutenant de déployer des efforts pour tenir la Turquie
à l’écart de cette région : «Si nous renonçons aux processus que nous
avons entamés avec la République turque de Chypre du Nord et la Libye, ils ne
vont nous laisser ni côte pour nous baigner ni même de rive pour pêcher».
Il a précisé que l’accord conclu avec la Libye n’était pas contraire au droit
international : «S’il le faut, nous renforcerons notre soutien
militaire et utiliserons tous les moyens terrestres, maritimes et aériens. La
Libye est un pays que nous aiderons au risque et péril de notre vie». Par
ailleurs, il a informé qu’à compter de 2022, un sous-marin sera mis au service
des Forces navales tous les ans soit six aux alentours de 2027. Ce sera
l’occasion d’inquiéter encore plus l’Égypte.
Sous-marin turc |
En
fait le conflit entre la Turquie et l’Égypte, à savoir entre Erdogan et
Al-Sissi, s’exprime par Libyens interposés. Le 12 décembre, le maréchal Haftar
avait annoncé le début d'une nouvelle «bataille décisive» pour s'emparer de
Tripoli tandis que le GNA avait assuré que la situation était «sous contrôle»
et qu'il maintenait ses positions au sud de la capitale, où se concentrent les
combats depuis le début de l'offensive des forces pro-Haftar. Il existe un
risque que le conflit aille au-delà des simples joutes oratoires. Les deux plus
grandes armées musulmanes du Moyen-Orient veulent en découdre. Il ne serait pas étonnant qu’un
conflit éclate là où on ne l’attendait pas. Il est certain en revanche que la course aux armements va reprendre de plus belle. Pour l’instant Israël reste un observateur
attentif, préférant la neutralité.
1 commentaire:
Cher monsieur Benillouche,
Pour compléter ce que vous écrivez, permettez-moi en cette veille de Noël, de citer ce que je relève dans un article d'Aram Mardirossian intitulé : "Hier dhimmis, sous-citoyens aujourd'hui" :
"... Dès 1928 avec les Frères musulmans et aujourd'hui avec les courants intégralistes - plutôt qu'islamistes - la supériorité indiscutable de l'oumma qui transcende le modèle imparfait et temporaire de l'État-nation n'a jamais cessé d'être revendiquée. Avant d'être membre d'un État ou d'une nation, le musulman appartient d'abord à l'oumma, seule communauté véritablement légitime car totalement soumise à la loi de Dieu. En attendant cette restauration, il existe depuis 1969 une sorte d'"oumma virtuelle", l'Organisation de la coopération islamique, qui regroupe actuellement 57 pays. Dans cet "empire sans empereur", plus d'une trentaine de membres - dont tous les États de la Ligue arabe, à l'exception du Liban - reconnaissent à divers degrés l'islam comme religion d'État, et surtout considèrent la charia comme la source fondamentale de leur législation. Un petit nombre de pays - telle l'Arabie saoudite - pratiquent une application quasi intégrale de la charia, tandis que d'autres y recourent de manière partielle. Mais tous promeuvent l'inégalité paradigmatique voulue par Allah entre musulmans et non-musulmans...
Ainsi, du Maghreb à l'Afghanistan, les citoyens chrétiens subissent - dans leurs pays respectifs - moult discriminations et humiliations... Les récentes destructions orchestrées de l'Irak et de la Syrie, les deux États-nations arabes les plus viables, ont été réalisées par des groupes sunnites intégralistes soutenus par certaines puissances régionales - en premier lieu la Turquie - et parfois occidentales. Sans surprise, les premières victimes de ce chaos provoqué ont été les minorités chrétiennes qui sont de nouveau martyrisées..."
Je pense que vous pouvez imaginer mon trouble lorsque je lis sous votre plume : "Pour l'instant Israël reste un observateur attentif, préférant la neutralité."
Très cordialement.
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