LA PLACE DES
FEMMES DANS LE PRINTEMPS ARABE
Par Jacques BENILLOUCHE
Le 23 janvier 2011 nous étions convaincus que les femmes seraient
l’élément moteur qui donnerait un élan aux révolutions arabes. Les femmes
tunisiennes avaient donné l’exemple car elles avaient été libérées, avant
toutes les autres, par le président Bourguiba qui leur avait ouvert les rouages
de l’administration du pays. Aujourd’hui elles sont marginalisées à la vue des
milliers de manifestants islamistes qui ont défilé le 25 mars à Tunis pour
réclamer un État islamique appliquant la charia. Un retour en arrière de
plusieurs dizaines d’années frapperait d’immobilisme les tenants du renouveau
arabe.
Des femmes résignées
Les femmes des printemps arabes semblent résignées alors qu’elles avaient
été présentes à la place Tahrir en Égypte dès
le 4 mars 2011, pour réclamer le départ du président Moubarak. En Libye, elles
avaient manifesté pour la chute du régime et l’application de nouvelles
libertés pour les femmes tandis que les hommes étaient emprisonnés par les
sbires de Kadhafi. Même
à Deraa en Syrie, elles ont bravé le danger
pour soutenir leurs enfants considérés comme des opposants dangereux par le
régime sanguinaire de Bassar Al-Assad. D’une façon générale elles s’étaient
élevées, avec plus de courage que les hommes, contre les dictatures en se
plaçant au premier rang des manifestants. Mais après leur chute, les dictateurs
arabes ont été remplacés par des dirigeants islamistes qui veulent à présent placer
la religion au sommet d’un État où les femmes n’ont plus leur place.
Manifestantes à Deraa |
Au rythme où se déroulent les évènements, les femmes seront les
grandes perdantes des révolutions arabes. Faïza Skandrani, présidente
tunisienne de l’association féministe «Égalité et Parité» a dressé ce
constat amer alors qu’elle avait mené le combat pour une parité hommes femmes
sur les listes électorales : «On a lutté contre Ben Ali, on continuera
sous Ennahda.» Les femmes ont compris que la résignation les a poussées
d’un printemps précoce à un hiver rigoureux puisqu’elles sont à nouveaux
écartées des décisions politiques. Joumana Haddad, romancière libanaise, avait
bravé tous les tabous dans son pays : «Après avoir manifesté et lutté pour la liberté,
les femmes sont les grandes absentes du nouveau chantier politique en
gestation. On ne les voit plus, on les entend à peine. Souvent, les hommes leur
assènent qu’il y a d’autres priorités: lutter contre la corruption, bâtir de
nouvelles institutions… Et, pendant ce temps, les groupes religieux gagnent du
terrain. C’est frustrant. Pour moi, il n’y a pas de démocratie sans respect du
droit des femmes!»
Vague féminine
En Tunisie
l’espoir avait pris corps lorsque la nouvelle vague féminine s’était distinguée
aux côtés des jeunes martyrs de la révolution, pour fustiger l’épouse du
président Ben Ali, Leïla Trabelsi. Ces femmes modernes avaient rejoint ceux qui
avaient souffert d’une dictature implacable à l’instar des étudiants, des
démocrates et même de certains islamistes. Elles ont repris le combat pour exiger,
qu’en matière d’héritage, elles comptent un peu plus que ce que leur réserve la
loi. L’avènement des islamistes les avaient rendues pourtant prudentes et
raisonnables au point de réduire leurs exigences et de se battre uniquement pour
garder les droits acquis sous le régime de Bourguiba que les islamistes veulent
rogner.
Campus de la Manouba |
Elles ont
pris conscience qu’elles ont été bernées par des salafistes adroits et sournois,
qui avaient joué profil bas pendant la révolution, alors qu’à présent ils
affichent ouvertement leurs exigences pour défendre un islam rigoriste jugé
anachronique par elles. Depuis novembre,
le campus de la faculté des lettres de la Manouba est le théâtre d’affrontements entre
des éléments salafistes réclamant le libre accès au cours des étudiantes en
niqab, et les étudiants et enseignants qui leur sont hostiles. Les
femmes des révolutions constatent que les différents gouvernements provisoires «n’ont
donné aucune place aux femmes». Alors qu’elles veulent être des musulmanes
laïques et modernes, elles sont à présent accusées d’être des ennemies de la
religion et de la nation.
Désenchantement
La militante
Gamila Ismaïl, très engagée au sein de la société
égyptienne, croyait en l’avenir des femmes. Sous le régime de Moubarak, son
combat pour la démocratie l’avait amenée devant les tribunaux tandis que son
émission télévisée était souvent censurée. Elle espérait que la révolution
allait changer les choses alors que la situation était figée au vu des
résultats. Après les élections législatives aucune femme n’a été élue au
parlement, aucune n’a été en ballotage. Elles ont toutes échoué. Grâce à la répartition du vote à la
proportionnelle, l’Assemblée pourra être légèrement féminisée à la marge
puisque chaque liste comportait le quota obligatoire d’une ou deux femmes. Dès
les premières réunions après la chute d’Hosni Moubarak les jeunes
révolutionnaires ont écarté les femmes des tribunes alors qu’elles s’étaient
battues pour une égalité totale. Les bloggeuses Esraa Abdel Fatah et Shahinaz Abdel Salam ainsi que l’activiste Asmaa Mahfouz se sont entendues froidement
répondre que le statut de la femme «n’est pas la priorité». Elles ont
vite déchanté. En Libye elles ont aussi été marginalisées puisque le projet de
loi imposant 10% de femmes à l’Assemblée Constituante a été abandonné.
En Tunisie
elles ne veulent pas de la charia qui serait une régression d’un siècle et
elles se battent pour la séparation du politique et du religieux. Le droit des
femmes n’est pas inscrit dans la constitution et le risque d’un retour à la
polygamie est grand. Elles en veulent surtout au gouvernement qui semble
impuissant devant les salafistes. Les tunisiens n’avaient pas aucune tradition
de démocratie. Alors, les partis islamistes qui étaient mieux structurés ont
récolté seuls les fruits de la révolution. Ennahda a bénéficié de l’exil de ses
dirigeants, Moncef Marzouki en France et Ghanouchi en Grande-Bretagne, qui ont
donc obtenu des appuis étrangers. Les femmes craignent d’être toujours dans
l’opposition. Elles ont lutté contre Ben Ali et à présent elles luttent contre
les islamistes d’Ennahda. La dictature personnelle a été remplacée par une
dictature religieuse. Un semblant de loi sur la parité a été adoptée mais les quelques candidates
ont finalement renoncé devant le climat islamique et la mentalité
conservatrice.
Cliquer sur le triangle noir pour voir la vidéo des militantes de FEMEN sur le parvis du
Trocadéro à Paris, samedi 31 mars. Arrivées vêtues de burqas, elles se
sont dénudées pour soutenir les droits des femmes dans le monde
islamique
Les femmes,
longtemps à la pointe du combat contre les dictatures, semblent les perdantes
d’une révolution qui veut les oublier et les confiner à un rôle politique
négligeable.
Interview du doyen de l'université de la Manouba Habib KAZDAGHLI
Cliquer sur le triangle noir pour voir la vidéo
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