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lundi 2 avril 2012

LA PLACE DES FEMMES DANS LE PRINTEMPS ARABE


LA PLACE DES FEMMES DANS LE PRINTEMPS ARABE

Par Jacques BENILLOUCHE

Manifestantes tunisiennes

Le 23 janvier 2011 nous étions convaincus que les femmes seraient l’élément moteur qui donnerait un élan aux révolutions arabes. Les femmes tunisiennes avaient donné l’exemple car elles avaient été libérées, avant toutes les autres, par le président Bourguiba qui leur avait ouvert les rouages de l’administration du pays. Aujourd’hui elles sont marginalisées à la vue des milliers de manifestants islamistes qui ont défilé le 25 mars à Tunis pour réclamer un État islamique appliquant la charia. Un retour en arrière de plusieurs dizaines d’années frapperait d’immobilisme les tenants du renouveau arabe. 


Des femmes résignées
Egyptienne place Tahrir

Les femmes des printemps arabes semblent résignées alors qu’elles avaient été présentes à la place Tahrir en Égypte dès le 4 mars 2011, pour réclamer le départ du président Moubarak. En Libye, elles avaient manifesté pour la chute du régime et l’application de nouvelles libertés pour les femmes tandis que les hommes étaient emprisonnés par les sbires de Kadhafi. Même à Deraa en Syrie, elles ont bravé le danger pour soutenir leurs enfants considérés comme des opposants dangereux par le régime sanguinaire de Bassar Al-Assad. D’une façon générale elles s’étaient élevées, avec plus de courage que les hommes, contre les dictatures en se plaçant au premier rang des manifestants. Mais après leur chute, les dictateurs arabes ont été remplacés par des dirigeants islamistes qui veulent à présent placer la religion au sommet d’un État où les femmes n’ont plus leur place. 

Manifestantes à Deraa
Au rythme où se déroulent les évènements, les femmes seront les grandes perdantes des révolutions arabes. Faïza Skandrani, présidente tunisienne de l’association féministe «Égalité et Parité» a dressé ce constat amer alors qu’elle avait mené le combat pour une parité hommes femmes sur les listes électorales : «On a lutté contre Ben Ali, on continuera sous Ennahda.» Les femmes ont compris que la résignation les a poussées d’un printemps précoce à un hiver rigoureux puisqu’elles sont à nouveaux écartées des décisions politiques. Joumana Haddad, romancière libanaise, avait bravé tous les tabous dans son pays : «Après avoir manifesté et lutté pour la liberté, les femmes sont les grandes absentes du nouveau chantier politique en gestation. On ne les voit plus, on les entend à peine. Souvent, les hommes leur assènent qu’il y a d’autres priorités: lutter contre la corruption, bâtir de nouvelles institutions… Et, pendant ce temps, les groupes religieux gagnent du terrain. C’est frustrant. Pour moi, il n’y a pas de démocratie sans respect du droit des femmes!»

Vague féminine


Leila Trabelsi

En Tunisie l’espoir avait pris corps lorsque la nouvelle vague féminine s’était distinguée aux côtés des jeunes martyrs de la révolution, pour fustiger l’épouse du président Ben Ali, Leïla Trabelsi. Ces femmes modernes avaient rejoint ceux qui avaient souffert d’une dictature implacable à l’instar des étudiants, des démocrates et même de certains islamistes. Elles ont repris le combat pour exiger, qu’en matière d’héritage, elles comptent un peu plus que ce que leur réserve la loi. L’avènement des islamistes les avaient rendues pourtant prudentes et raisonnables au point de réduire leurs exigences et de se battre uniquement pour garder les droits acquis sous le régime de Bourguiba que les islamistes veulent rogner. 

Campus de la Manouba
Elles ont pris conscience qu’elles ont été bernées par des salafistes adroits et sournois, qui avaient joué profil bas pendant la révolution, alors qu’à présent ils affichent ouvertement leurs exigences pour défendre un islam rigoriste jugé anachronique par elles.  Depuis novembre, le campus de la faculté des lettres de la Manouba est le théâtre d’affrontements entre des éléments salafistes réclamant le libre accès au cours des étudiantes en niqab, et les étudiants et enseignants qui leur sont hostiles. Les femmes des révolutions constatent que les différents gouvernements provisoires «n’ont donné aucune place aux femmes». Alors qu’elles veulent être des musulmanes laïques et modernes, elles sont à présent accusées d’être des ennemies de la religion et de la nation.

Désenchantement



La militante Gamila Ismaïl, très engagée au sein de la société égyptienne, croyait en l’avenir des femmes. Sous le régime de Moubarak, son combat pour la démocratie l’avait amenée devant les tribunaux tandis que son émission télévisée était souvent censurée. Elle espérait que la révolution allait changer les choses alors que la situation était figée au vu des résultats. Après les élections législatives aucune femme n’a été élue au parlement, aucune n’a été en ballotage. Elles ont toutes échoué.  Grâce à la répartition du vote à la proportionnelle, l’Assemblée pourra être légèrement féminisée à la marge puisque chaque liste comportait le quota obligatoire d’une ou deux femmes. Dès les premières réunions après la chute d’Hosni Moubarak les jeunes révolutionnaires ont écarté les femmes des tribunes alors qu’elles s’étaient battues pour une égalité totale. Les bloggeuses Esraa Abdel Fatah et Shahinaz Abdel Salam ainsi que l’activiste Asmaa Mahfouz se sont entendues froidement répondre que le statut de la femme «n’est pas la priorité». Elles ont vite déchanté. En Libye elles ont aussi été marginalisées puisque le projet de loi imposant 10% de femmes à l’Assemblée Constituante a été abandonné.

En Tunisie elles ne veulent pas de la charia qui serait une régression d’un siècle et elles se battent pour la séparation du politique et du religieux. Le droit des femmes n’est pas inscrit dans la constitution et le risque d’un retour à la polygamie est grand. Elles en veulent surtout au gouvernement qui semble impuissant devant les salafistes. Les tunisiens n’avaient pas aucune tradition de démocratie. Alors, les partis islamistes qui étaient mieux structurés ont récolté seuls les fruits de la révolution. Ennahda a bénéficié de l’exil de ses dirigeants, Moncef Marzouki en France et Ghanouchi en Grande-Bretagne, qui ont donc obtenu des appuis étrangers. Les femmes craignent d’être toujours dans l’opposition. Elles ont lutté contre Ben Ali et à présent elles luttent contre les islamistes d’Ennahda. La dictature personnelle a été remplacée par une dictature religieuse. Un semblant de loi sur la parité  a été adoptée mais les quelques candidates ont finalement renoncé devant le climat islamique et la mentalité conservatrice.

 Cliquer sur le triangle noir pour voir la vidéo des militantes de FEMEN sur le parvis du Trocadéro à Paris, samedi 31 mars. Arrivées vêtues de burqas, elles se sont dénudées pour soutenir les droits des femmes dans le monde islamique


Les femmes, longtemps à la pointe du combat contre les dictatures, semblent les perdantes d’une révolution qui veut les oublier et les confiner à un rôle politique négligeable.  

Interview du doyen de l'université de la Manouba Habib KAZDAGHLI
  Cliquer sur le triangle noir pour voir la vidéo


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