LES VRAIS DESSOUS DE LA MISE À
L’ÉCART DU QATAR
Par Jacques BENILLOUCHE
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L'émir du Qatar |
Tout
a été dit sur la proximité du Qatar avec les organisations terroristes et avec l’Iran
pour justifier sa mise à l’index par les pays arabes. En fait d’autres raisons
du domaine de la lutte des clans royaux et des révolutions de palais expliquent
cette décision collégiale. La politique vengeresse des Émirats et les
manigances du prince héritier saoudien pour devenir roi sont à la base de la
décision du Bahreïn et de l'Égypte, imitant l'Arabie saoudite et les Émirats
arabes unis (EAU) qui ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar.
Les
mesures de rétorsion sont significatives puisque ces pays ont annoncé qu'ils
fermaient leur espace aérien et leurs voies navigables aux avions et navires
qataris. Par ailleurs, l'Arabie saoudite, qui partage la seule frontière
terrestre du Qatar, a fermé l’unique passage frontalier qui constitue la porte
d'entrée pour les produits alimentaires entrant au Qatar. L'Iran a d’ailleurs relevé
le défi en envoyant cinq avions de produits alimentaires au Qatar. C’est la
première fois de l’Histoire qu’un État du Golfe impose un siège total à l’un
des siens.
Al Jazeera |
L’Arabie
saoudite et les EAU ont exigé la fermeture de la chaîne d’information Al
Jazeera, l'expulsion de l’ancien député arabe israélien chrétien Azmi Bishara et le
bannissement de personnalités des Frères musulmans. Mais le problème de l’appui
aux terroristes est un alibi. Les Émirats veulent renverser l’Émir du Qatar
tandis que le prince héritier saoudien veut immédiatement monter sur le trône
du royaume.
Le
24 mai 2017, la télévision d’État Al Jazeera avait eu la maladresse de
critiquer le président Trump, d’exprimer son soutien à l’Iran, de confirmer sa
proximité inconditionnelle avec le Hamas mais aussi, et paradoxalement, sa
volonté de collaborer avec Israël. L’Émir du Qatar avait dû dans l’urgence
démentir ces informations. Mais cela a suffi aux chaînes Al Arabiya et Sky News Arabia pour
demander au peuple du Qatar de se soulever contre l’Émir. La fracture entre les pays du Conseil de
coopération du Golfe (CCG) prenait une toute nouvelle dimension. Il s’agissait
de galvaniser l’opposition contre Cheikh Tamim.
Manifestations en Tunisie |
Or
cette volonté de déstabilisation a pour fondement une vengeance liée aux «Printemps
arabes» de 2011. Les manifestations
de rues de l’époque avaient trouvé des oreilles attentives dans certains pays
arabes parmi ceux qui soutenaient les soulèvements. La démission contrainte du
président égyptien Hosni Moubarak avait fait l’effet d’un tremblement de terre
qui s’était propagé jusqu’aux Émirats. L'Arabie saoudite, l'Égypte et les
Émirats arabes avaient condamné cette révolution, à l’exception du Qatar qui
avait choisi de soutenir les Frères musulmans, leaders du Printemps arabe.
Abou Dhabi avait considéré ceci comme
une trahison, ou du moins comme un refus de solidarité, non seulement parce que
Doha adoptait une politique étrangère différente de celle acceptée par tous les
autres membres du CCG, mais aussi parce que les EAU considèrent les Frères
musulmans ainsi que d’autres mouvements politiques de la région comme une
menace existentielle contre leur système politique féodal avec un risque
d’effet domino. Ils n’ont pas compris l’attitude suicidaire du Qatar de se lier
aux révolutionnaires et de jouer contre Moubarak, l’allié indéfectible du
fondateur des Émirats, Zayed ben Sultan Al Nahyane.
Zayed ben Sultan Al Nahyane. |
Les
préoccupations des Émirats, dont le but est de punir le Qatar, sont
distinctes de celle de l’Arabie où se joue une lutte de pouvoir feutrée et où
se prépare une révolution de palais. Le roi d’Arabie saoudite, Salmane ben
Abdelaziz Al Saoud, âgé de 81 ans, est malade et les médecins ne lui donnent plus
que quelques mois à vivre. C’est le dernier fils du père fondateur du pays.
Deux hommes sont sur les rangs pour monter sur le trône : son neveu, Mohammed Ben Nayef, prince héritier
et vice-Premier ministre, et son fils, Mohammed Ben Salmane (MBS), 31 ans,
actuel ministre de la défense.
Mohamed Ben Salman |
Ce
dernier a une ambition démesurée. Il conduit la guerre du Yémen qui a
pratiquement détruit tout le pays, et il est donc prêt à toutes les manœuvres
pour devenir roi. Il a tous les soutiens extérieurs et il n’attend que l’imprimatur
des États-Unis pour devenir monarque d’Arabie. Il semble aussi prêt à renverser
le régime du Qatar, mis au ban de la région dans un premier temps, pour s’attirer
les faveurs des EAU. MBS veut entériner la position de Donald Trump du 9
mai : «La nation du Qatar, malheureusement, a historiquement financé
le terrorisme à un très haut niveau». Les États-Unis disposent d’une base
militaire stratégique sur le sol qatarien, d'où ils peuvent lancer des
opérations contre les djihadistes.
On pense que cette décision de
rupture avec le Qatar est consécutive à la visite de Donald Trump à Ryad. Les
EAU ont promis à MBS, en échange d’une action contre le Qatar, une campagne
d’influence et de relations publiques de grande envergure auprès des Américains
pour lui garantir le soutien de Washington. Les États-Unis s’intéressent aux plus
gros exportateurs mondiaux de pétrole et de gaz et à la plus importante base
militaire américaine au Qatar indispensable à la lutte contre Daesh. Mohammed
Ben Salmane l’a compris ; il a réalisé surtout que les EAU ont une grande
influence dans la politique étrangère américaine. La lutte entre les deux
prétendants au trône s’exprime dans le secret des alcôves. Le Qatar semble
devoir en payer le prix.
Les relations
du Qatar avec Israël sont devenues ambiguës. Alors que des relations commerciales
avaient été établies avec Israël en 1996, son bureau commercial a été fermé par
les autorités en 2000. Le Qatar a
définitivement rompu les relations commerciales avec Israël en 2009 à la suite
de la guerre de Gaza. En 2010, le Qatar avait offert par deux fois de rétablir les
relations commerciales avec Israël et de permettre la réintégration de la
mission israélienne à Doha, à condition qu'Israël l'autorise à envoyer
du matériel de construction et de l'argent à Gaza pour réhabiliter les
infrastructures. Israël avait refusé craignant que ces approvisionnements soient utilisés par le Hamas pour construire des bunkers et des positions
renforcées. Il ne voulait pas non plus s'impliquer dans la
concurrence entre le Qatar et l'Égypte. Israël se veut donc neutre pour l’instant.
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