Sahel |
La question
devient d’une brûlante actualité. Les 15 pays présents au Sahel, viennent de
découvrir que le Mali a passé un accord avec la milice privée Wagner qu’on
qualifie également «d’armée de l’ombre du Kremlin». «Nous
condamnons fermement le déploiement de mercenaires sur le territoire malien», soulignent d’une voix ces pays dont la France,
l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Canada, en dénonçant «l’implication du
gouvernement de la Fédération de Russie dans la fourniture d’un soutien
matériel au déploiement du groupe Wagner au Mali». L’Espagne, la Hongrie et la Grèce ne figurent
pas dans cet appel.
Ce qui était
essentiellement un dossier bilatéral entre la France et son ex-colonie, devient
un dossier qui consacre un nouvel échec de l’absence de politique étrangère de
l’UE. C’est un double échec, d’abord pour la politique étrangère de la France
et pour celle de l’UE en Afrique, alors que la France doit assurer la
présidence du Conseil européen dans quelques jours.
Le débat sur
l’avenir de l’intervention militaire au Mali et plus largement au Sahel
intervient alors que l’état d’esprit de l’Afrique de l’Ouest a largement
évolué. Pour certains experts, c’est un avatar néocolonialiste. On avait pris
l’habitude à Paris de dicter leur politique et leurs décisions aux ex-colonies.
C’est ce qui a été très largement perçu à Bamako. Pour des motifs purement
d’opportunité, la France avait approuvé le coup d’État du Tchad à la
disparation d’Idriss Deby, en adoubant sans réserve le nouveau pouvoir (le
président Macron était le seul chef d’État présent aux obsèques et à la prise
de pouvoir qui lui a succédé), alors que dans le même temps, elle avait rejeté
l’arrivée au pouvoir d’une junte militaire au Mali. Depuis le début de l’intervention militaire française
en 2013 la situation s’est substantiellement dégradée, ce qui s’est traduit par
un nombre croissant de morts civils ou de personnes déplacées fuyant leurs
villages. L’opinion publique considère l’opération Barkhane comme incapable
d’assurer sa sécurité et y voit précisément une intervention néocolonialiste.
La sortie de la France de la guerre du Sahel offrait à la
Russie l'opportunité de s'installer comme elle l’annonçait dès 2019 au Sommet
et Forum économique Russie-Afrique, qui s'est tenu à Sotchi les 23 et 24
octobre 2019, qui a été un événement crucial. Le
Secrétaire permanent du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger,
Tchad), Maman Sambo Sidikou, avait exprimé son espoir que la Russie jouerait un rôle
dans la stabilisation du Sahel. Ce qui se passe ensuite était écrit. L'opinion
publique malienne s’est tourné de plus en plus vers Moscou comme un partenaire
potentiel pour sa sécurité - en particulier si la France devait
réduire sa présence militaire. Déjà en juin 2019, le
gouvernement de Bamako avait signé un accord avec le Kremlin, Du côté
russe, la coopération avec le Mali fait partie de ses efforts pour intensifier
ses relations avec les pays africains en général.
Alors que les
États-Unis ont retiré leurs troupes d'un seul pays, l'Afghanistan, la France
s'éloigne de cinq. Présente au Sahel depuis 2013, la France a annoncé qu'elle
mettait fin à l'opération Barkhane pour la transformer en opération Tekuba
composée de 600 membres des forces spéciales essentiellement fournis par des
membres de l’UE.
manifestation-faveur-cooperation-entre-Mali-Russie-Bamako |
La France a positionné des troupes au Sahel, tout le long du Sahara. Ce qui ne devait être à l’origine qu’une opération destinée à protéger le Mali des djihadistes, s’est étendue à cinq pays (5 millions de km2) mobilisant plus de 5.000 de ses soldats, avec apparemment aussi pour objectif d’arrêter une insurrection de longue date dans la région, qui a fait des milliers de morts et déplacé deux millions de personnes. Mais en réalité, les troupes françaises ont fonctionné comme «l'armée personnelle» des gouvernements du Sahel.
L'intervention
est devenue impopulaire, à la fois dans la région, où l'implication française
est ressentie comme une intervention néocoloniale et en France, où les pertes
françaises ont un prix politique. Emmanuel Macron lui-même a semblé
comprendre cette réalité lorsqu'il a déclaré que la France ne pouvait «se
substituer à jamais aux États de la région» sans doute une annonce
subliminale. La France est confrontée au même dilemme que les États-Unis en
Afghanistan : comment retirer des troupes sans l'effondrement rapide des
gouvernements. La France a dès l'origine tenté de gagner la guerre par la
force, cherchant à reproduire la stratégie américaine de 2007 en Irak. Il
y a eu quelques succès – le chef d'Al-Qaïda en Afrique du Nord a été tué – mais
le prix a été sanglant ; près de 7.000 civils ont été tués, Elle
semble vouloir répliquer le modèle du départ d’Afghanistan pour prendre ses
distances.
Parallèlement, depuis 2011, l'UE a développé une pléthore de stratégies et de plans, tels que sa stratégie pour le Sahel de 2011 et son plan d'action régional de 2015, en se concentrant sur le lien développement-sécurité mais sans objectifs politiques à long terme. Cette lacune fut une erreur. Consciente des limites de sa stratégie, l'UE a adopté une nouvelle approche intégrée vis-à-vis du Sahel en avril 2021, mettre davantage l'accent sur la bonne gouvernance et une approche transactionnelle pour tisser des liens et établir la confiance avec les communautés locales. L'accord Wagner prouve que l'UE ne met toujours pas en pratique les actions nécessaires. Désinformation, ingérence et mercenaires sont au cœur de la stratégie russe pour étendre son influence en Afrique. Avec ce nouvel accord, l'UE est à nouveau confrontée à un tournant critique. Sa réaction déterminera si sa stratégie envers le Sahel échoue à nouveau. Son haut représentant Josef Borell avait déclaré : «Pour l’instant notre position reste inchangée, notre soutien aux réformes en profondeur des forces armées maliennes et plus généralement du secteur de la sécurité au Mali continue». On n’en est pas à une contradiction près.
Les
autorités maliennes ont réagi en faisant état «d’instructeurs». La
France et les autres pays impliqués dans la force Takuba ou la Minusma affirment
qu’il y a incompatibilité de leur présence avec celle de l’armée de l’ombre
russe. Bien que le franchissement de la ligne rouge virtuelle soit avéré, leur
position n’a pas encore changé. On enjoint aux maliens de choisir, mais ils ont
déjà fait un choix, mais on feint de l’ignorer. On a un wagon de retard
manifestement. En fait, Poutine rend aux
Européens la monnaie de leur pièce. Il y a un parallèle avec la situation au
Dombas, si ce n’est que c’est la Russie qui a plusieurs cartes en main. Coté UE,
on a beau être stoïque, on n’en est pas moins inquiet car la méthode de
l’ultimatum est à double tranchant. On y avait déjà joué en république
Centrafricaine. C’est la milice Wagner qui est restée. On ne peut qu’être surpris de la «découverte»
de cette situation, alors qu’on ne cesse de se plaindre que tout le monde
écoute tout le monde, alors que la France et l’UE n’ont pas cessé d’affirmer
avoir les meilleures relations avec les dirigeants africains, alors que le
président français a fait savoir urbi et orbi qu’il s’est entretenu
téléphoniquement avec le président russe. Ce qui n’a eu aucun effet sur les
relations extrêmement tendues avec la Russie, surtout quand on prétend armer
l’Ukraine et lui assurer le soutien de l’Otan. On joue à l’apprenti sorcier.
Ces évènements bouleversent le statu quo ante et sonnent le glas d’une
prédominance française en Afrique de l’Ouest. Le processus d’une redistribution
des cartes est désormais engagé. Cherchez l’erreur.
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