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dimanche 14 mars 2021

Adobaï un roman de Paul GERMON

 

ADOBAÏ

Un roman de Paul GERMON

Une recension de Jacques BENILLOUCHE

 


            La Tunisie a hébergé 110.000 Juifs dans la période la plus faste. Mais la décennie la plus riche, que certains considèrent comme l’âge d’or, a été celle des années 1950-1960 car elle a précédé l’exil en masse de la totalité des Juifs de Tunisie vers d’autres horizons. Le départ s’est effectué en trois phases, après la création de l’État d’Israël en 1948, lors du conflit de Bizerte avec la France en 1961 et enfin au lendemain de la Guerre des Six-Jours de 1967 qui a vu la population juive se réduire seulement à 1.500 âmes, en majorité à Djerba. Il faut cependant être honnête en précisant que les autorités tunisiennes n’ont pas expulsé les Juifs, comme en Egypte, mais elles n’ont rien fait pour les retenir. Un mot du président Bourguiba, qu’il n’a jamais lancé, aurait rassuré les Juifs et modifié la tendance du départ volontaire généralement effectué à contre-cœur. 


 

Entrée rue des Glacières

Il y a peu de grands auteurs qui ont décrit la réalité juive en Tunisie à l’exception de la Statue de Sel d’Albert Memmi. En revanche, plusieurs ouvrages, sous forme de souvenirs et d’autobiographies, ont été édités pour décrire avec emphase la période la plus marquante. Et pourtant il y avait matière à couvrir de manière globale l’excellence de cette période. Albert Naccache a raconté ses souvenirs dans les Roses de l’Ariana, mais l’extinction progressive et naturelle des témoins de l’époque impose que d’autres transcrivent rapidement leur histoire vécue et gravée dans leur mémoire de manière indélébile, à des fins de témoignage vivant pour les générations futures. Le rappel de certaines anecdotes presque incroyables tendrait à considérer les Juifs tunisiens comme des extra-terrestres tant l’histoire contée parait aux antipodes de la vie occidentale. Ces anecdotes de l’époque ont pratiquement été vécues, à la virgule près, par tous les Juifs tunisiens ce qui donne son aspect historique à cet ouvrage.

La lecture du livre, que vient de publier Paul Germon, éveillera chez beaucoup de lecteurs les souvenirs d’une jeunesse insouciante, mais modeste, gravée dans les brûlures de l’Histoire. Il explique le titre de son roman par une expression connue en Tunisie : «Adobaï, c’est un mot judéo-arabe que l’on pourrait traduire par parbleu, c’est une déformation du mot hébreu Adonaï, un des noms bibliques de Dieu, le b remplaçant le n pour ne pas prononcer Dieu».  C’est l’histoire de sa vie certes, mais en fait l’histoire de toute une génération qui a connu les mêmes péripéties, les mêmes maux, les mêmes traditions, les mêmes souffrances et les mêmes déceptions. À le lire, on comprend que tout n’était pas si rose et que l’exil forcé avait enjolivé des souvenirs ternes, peu glorieux mais souvent empreints de nostalgie. Tout le monde se reconnaîtra, que ce soit dans la misère ou dans la gaité, à travers le miroir déformant et l'optimiste de l’exil.

Paul Germon a aussi parlé de politique et fait un excellent diagnostic sur les Juifs tunisiens vis-à-vis d'Israël; ils parlaient un peu de sionisme mais pas d’émigration : «il ne fut jamais question d’émigration en Israël, apparemment ce pays ne devait concerner que les pauvres hères du ghetto et quelques idéalistes imprégnés de sionisme». Il n’avait pas tort car la communauté juive s’était toujours désintéressée du sionisme qu’on ne lui avait jamais enseigné. Rien à voir avec les militants historiques venus des pays de l’Est imprégnés depuis leur jeune âge du retour à la terre juive.

Il décrit cette Tunisie où l’on se contentait de peu et cette France si différente et parfois si peu accueillante. Il essaie de justifier à postériori les raisons du départ d’une communauté pourtant très ancrée dans l’Histoire du pays alors que certains Juifs étaient arrivés avant les Arabes. «La Tunisie s’enfonça rapidement dans un régime policier. Le totalitarisme s’installe». Il poursuivit : «Nous aimions ce pays. Il ne nous aimait pas et nous le faisait sentir à sa façon».

Après avoir quitté sa Tunisie, il décrit avec beaucoup de détails piquants son installation dans un pays aux mœurs aux antipodes de celles qu’il a connues. La vie à Paris de jeunes déracinés a été vécue par tous les étudiants qui ont connu le Quartier Latin comme un lieu d’intégration à une nouvelle vie. Pour ceux qui ont connu cette période estudiantine propre à tout exilé, il s’agissait plus de rêves de drague que d'expériences réelles. Ce fut l’époque bénie d’un quartier où tous les étudiants et toutes les écoles se trouvaient concentrés autour de quelques rues. Il décrit avec exactitude le besoin de contacts plutôt que de plaisirs aidés en cela par quelques jeunes filles à la recherche, elles-aussi, d’aventures sans lendemain.

La difficulté de l’exil n’a pas touché que les jeunes mais aussi les adultes qui, souvent en fin de carrière, ont été contraints à vivre dans des chambres de bonne sans eau et à occuper des emplois primaires pour survivre alors qu’ils bénéficiaient de conditions bourgeoises dans leur pays. Cela est un élément d’histoire peu conté et Paul Germon a su l'expliquer.

C’est un livre qui se lit rapidement, qui n’a pas l’ambition d’être un ouvrage littéraire mais qui est écrit avec des mots justes, des tournures de qualité et un style léger mettant en valeur un esprit plus littéraire que scientifique. Cette histoire des Juifs tunisiens peut servir d’exemple à tous les exilés qui misent sur une France généreuse permettant à l’ascenseur social de fonctionner parfaitement. Son ouvrage est optimiste car il démontre qu’avec de faibles moyens, un jeune peut faire des études et gravir les marches vers la réussite. Un roman très réussi, empreint de nostalgie, qui plaira aussi à ceux qui ont vécu cette période bénite même s'il ravivera des souvenirs douloureux.

 

Ouvrage disponible sur Amazon 

4,55€ en format Kindle


3 commentaires:

Annie NOVELLI a dit…

Magnifique livre. Émouvant et si réel! Même sans consultation d'un historien! Seuls les tunisiens peuvent le comprendre!

Avraham NATAF a dit…

Souvenirs d'une Tunisie gouvernée par Bourguiba, intellectuel moderne et administrée par des fonctionnaires zélés à faire disparaître le souvenir de la France. Quitter la Tunisie avec 10 dinars, monnaie sans valeur hors du pays, soupçonné avec hostilité et qui ont montré leur nature avec le début de la guerre des 6 jours; les propagande arabes annonçant une victoire fulgurante. Auparavant la Tunisie était administrée par des fonctionnaires d'origine andalouse ( Kastali, Malki et autres) qui avaient en mémoire l'expulsion d'Espagne

Unknown a dit…

J’étais si émue par sa sincérité et sa vérité .
A lire et à donner à lire à nos enfants qui ne réalisent que notre exode et surtout celui de nos parents fut courageux ,voir même héroïque.