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vendredi 6 mai 2011

LE DEFI DES REVOLUTIONS ARABES 1. TUNISIE



LE DEFI DES REVOLUTIONS ARABES   1. TUNISIE 

Par Jacques BENILLOUCHE

Rached Ghannouchi du parti Ennahdah

                Les révolutions arabes ont mis en évidence la faillite de l’occident dans le domaine de la prévision politique puisque nul n’a été capable de prévoir les évènements importants intervenus dans des pays qu’il contrôlait pourtant. La surprise a été telle, qu’à ce jour, les dirigeants occidentaux ne se prononcent pas ouvertement sur le processus de normalisation tant que les objectifs des émeutiers n’ont pas été clairement définis. Bien qu’elles aient eu lieu presque simultanément, les révolutions, tunisienne, égyptienne, libyenne et syrienne, se distinguent sur le fond entre elles. Elles ont cependant en commun d’avoir trois défis à relever : recouvrer une identité perdue, cadrer le rôle de l’armée et définir le rapport entre l’islamisme et les gouvernements. 

Recouvrer une identité

                Après un début hésitant, les révolutions arabes ont gagné les masses populaires qui ont eu le courage de s’opposer à l’oppression de leurs dirigeants. Parce que les dictatures ont sévi durant plusieurs décennies, elles ont été contraintes, pour se défendre et subsister, d’étouffer l’identité des peuples pour mieux les asservir. Il régnait alors dans les pays soulevés un système élitiste qui avait pour conséquence d’écarter le peuple en le rabaissant parce qu’il  était incapable de s’insérer dans une entité organisée. L’opinion publique a alors exploité les moyens modernes de communication pour s’élever au rang d’acteur influent durant la guerre des médias.
Les révolutions ont donné au peuple la conscience de sa puissance mais elles ne lui ont pas rendu pour autant son identité. Elles ne pourront s’épanouir que si elles s’appuient sur les populations pour relayer leurs voix en évitant l’erreur des révolutionnaires arabes des années 1950  qui s’étaient alors entourés d’une élite militaire pour consolider le régime et pour imposer des relations de force et de favoritisme. Les dictatures avaient négligé le lien avec les populations et se sont acharnées à brader l’identité des peuples pour étouffer toute velléité de soulèvement tout en comblant les lacunes de leurs régimes défaillants. Alors, l’un des rôles de ces révolutions consiste aujourd’hui à réveiller le sentiment de la nécessité d'une identité islamique. L’intégrisme, qui n’est pas monolithique, cherche à s’implanter dans ces pays libérés qui doivent à présent déterminer à laquelle des factions antagonistes ils tiennent à s’affilier : les Frères musulmans, le Djihad islamique et Al-Qaeda ; chacune étant sous l’influence d’un pays tiers.

Trois factions islamistes

                Les factions islamiques se concurrencent parfois avec violence. Les Frères musulmans ont pris naissance en Egypte où ils ont prospéré puis se sont répandus en Syrie et à Gaza. Leur implantation en Tunisie date de l’installation des palestiniens qui ont fui le Liban en 1983 après la guerre avec Israël. Le mouvement de la tendance islamique (MTI), devenu Ennahda , créé par des étudiants tunisiens puis exilé en France par la volonté du président Bourguiba, s’est trouvé consolidé par cet apport nouveau de cellules noyautés par les égyptiens.  Les Frères musulmans ont aussi inspiré le Hamas de Gaza dont le chef historique Ahmed Yassine a été assassiné en 2004 par les israéliens ainsi que son successeur Abdel Aziz Al-Rantissi. Ils ont requis l’aide de la Syrie dont ils ont épousé la dépendance.
                Le Djihad Islamique est issu d’un groupe d’anciens du Fatah directement aux ordres de l’Iran, par l’intermédiaire des pasdarans. Il était dirigé par Imad Mougnieh qui a été assassiné à Damas en 2008. Cette faction palestinienne, basée à Damas en Syrie, est adepte du salafisme, un mouvement sunnite revendiquant un retour à l'islam pur des origines. Bien que sunnites, ils acceptent d’être totalement contrôlés par les chiites iraniens.
                Enfin, l’organisation Al-Qaeda a été inspirée par Oussama Ben Laden en 1987. Sunnite fondamentaliste, elle a été créée pendant la première guerre d’Afghanistan. Elle poursuit une stratégie révolutionnaire violente qui vise à renverser les gouvernements des pays musulmans pour instaurer un État islamique par la force. Elle dispose de réseaux d’influence mondiale avec des cellules dans plusieurs pays et des liens avec tous les extrémistes sunnites dans le cadre de structures non hiérarchisées qui font à la fois sa force et sa faiblesse. Al-Qaeda est sous influence totale de l’Afghanistan.

Tunisie : une identité élitiste

La Tunisie a été le premier pays du monde arabe à œuvrer pour s’éloigner de son identité originelle. Le président Bourguiba voulait s’affranchir d’un pouvoir religieux omniprésent qui freinait sa marche vers le modernisme occidental en bloquant l’émancipation de son peuple. Il avait donc décidé de combattre l’islamisme de manière brutale, non pas par crainte de se voir supplanté politiquement, mais pour avoir les mains libres afin de marginaliser l’identité musulmane en brisant les tabous grâce à l’appui de son parti, le Néo-Destour . Il avait donné aux femmes leur liberté. Il avait pris le risque de déconseiller le jeun du ramadan aux travailleurs, de fustiger le port du voile et de marquer un mépris pour la langue arabe qu’il avait délaissée au profit de la langue du colonisateur. Il avait d’ailleurs subi les attaques des autorités religieuses de la Zitouna qui s’opposaient à toute avancée moderne.
Habib Bourguiba avait opté pour la destruction des piliers de l’identité arabe en abolissant les tribunaux islamiques et en développant, malgré l’indépendance du pays, l’apprentissage de la langue française. Il voulait que les institutions de l’Etat suppriment tous les liens avec les racines islamiques. Aidé des caciques de son parti, il avait ainsi créé une élite politique mais il sera partiellement suivi par son successeur, Ben Ali, qui s’éloigna du parti destourien pour instituer une tyrannie fondée sur le tout sécuritaire en mettant en avant ses forces de sécurité devenues implicitement les élites de la nation. Les islamistes étaient traqués, combattus, exilés, emprisonnés tandis que toute référence des masses populaires à la religion était considérée comme un acte de défiance à l’égard du régime. L’islam était devenu ennemi du peuple et tout tunisien qui s’en référait devenait suspect.

Tentation d’islamisation

Le nouveau régime semble s’orienter vers une actualisation de cette identité perdue mais les femmes tunisiennes veillent car elles craignent pour leur statut qu'elles défendront avec la même énergie qu’elles ont combattu la dictature. La révolution tunisienne avait cette originalité, par rapport aux autres, d’avoir vu les femmes en première ligne dans la contestation. Elles avaient refusé de rester cantonnées à un rôle passif. Les femmes journalistes, les étudiantes, les internautes et les simples mères de famille ont toutes travaillé pour la chute de la dictature. A l’instar de la journaliste Racha Tounsi, elles étaient en tête des cortèges pour manifester et parfois pour soigner les blessés. Mona Ben Halima, ancienne élève de Louis-le-Grand a usé de l’arme d’internet pour rameuter les jeunes et pour informer la presse française en diffusant les images d’exactions et des morts.
Pourtant le risque islamiste les inquiète car cette volonté de retrouver une identité risque d’avoir un impact sur les libertés qu’elles ont acquises sous le régime de Bourguiba. Elles ont d’autant plus peur que les islamistes ne se masquent plus et agissent à présent ouvertement. Le 5 avril, des militants barbus ont investi l'hôpital de La Rabta à Tunis en insultant les infirmières et les femmes médecins non voilées. Les islamistes pourraient avoir la majorité aux prochaines élections en usant de démagogie  et le fantasme de l’avènement d’une république islamique n’est pas exagéré.
La Tunisie, jugé pays modéré, n’a plus le choix qu’entre le salafisme des islamistes radicaux et le modernisme hérité des occidentaux. Des intégristes tunisiens revendiquent ouvertement un Etat islamique radical. Ils veulent parvenir à leurs fins en instituant le désordre en Tunisie, en manifestant avec violence, en harcelant les femmes au travail et en s’attaquant aux touristes symboles du modernisme. Ils feignent d’ignorer que l’économie du pays est totalement dépendante  de l’apport des occidentaux mais ils comptent sur leurs alliés intégristes des autres pays pour renverser la tendance. Interdits pendant le régime précédent, les hommes barbus envahissent les rues aussi bien que les femmes toutes vêtues de noir alors que cette tenue ne faisait pas partie de la culture tunisienne du voile blanc.
L’armée tunisienne n’a pas pris part aux émeutes et en restant neutre, elle a gardé son auréole et sa capacité d’arbitrage en cas de conflit majeur. Elle reste le rempart, avec les femmes, contre un salafisme qui sera difficilement accepté par la majorité de la population. Les tunisiens rêvent d’une situation à la turque où les militaires cautionneraient la survivance d’un Etat laïc. Ils devront cependant résoudre le dilemme entre recouvrer leur identité liée à l’islam et ne pas tomber dans l’excès de l’intégrisme qui agit par grévistes interposés. Les islamistes du parti El-Tahrir  ont intérêt à créer le chaos pour provoquer la police. Les blindés et les fils barbelés ont refait leur apparition dans le centre de Tunis. Les comités de défense de la révolution, qui contestent les nouvelles autorités, sont débordés parce qu’ils ne coordonnent pas leur action au niveau nationale. L’islamisme radical rôde et attend son heure. Il appartient aux tunisiens de relever le défi de leur révolution.

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