ISRAËL GUETTE LA GUERRE IRAN-ARABIE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
L’Iran
et l’Arabie saoudite se combattent par Houthis interposés et la situation
risque de s’envenimer. Les
Houthis appelés Ansar Allah, mouvement fondamentaliste ultra-conservateur dirigé
par des chiites, a émergé dans les années 1990 dans le nord du Yémen. Avec
l’aide du président déchu Ali Abdallah Saleh, ils ont pris le contrôle de la
capitale et d’une grande partie du nord. En mars 2015, les Saoudiens étaient
intervenus pour rétablir le président Abed Rabbu Mansour Hadi au pouvoir.
Houthis |
Cette
milice, soutenue par l’Iran au même titre que le Hezbollah, a immédiatement affirmé
son credo : «Dieu est grand, la mort aux États-Unis, la mort à Israël, les Juifs sont maudits, et la victoire pour l'islam». Le groupe est désormais
dirigé par Abdul-Malik al-Houthi, frère du premier chef, tué par les forces de
l'armée yéménite en 2004. Cependant, après avoir pris le pouvoir, ils ont
dénoncé les dispositions de l’accord du novembre 2011 négocié avec le Conseil
de coopération du Golfe. En 2014-2015 les
Houthis ont pris le pouvoir à Sanaa en contrôlant la majeure partie du nord, tout
en résistant à une coalition dirigée par l'Arabie Saoudite.
Houthis au Yémen |
La
situation se dégrade aujourd’hui car l’Iran a intensifié ses transferts d’armes
aux Houthis. Il ne s’agit plus d’armes légères mais de missiles et d’armes
lourdes ; cela occasionne des inquiétudes chez les États-Unis qui
soutiennent l’Arabie. Des attaques de missiles ont d’ailleurs eu lieu contre un
destroyer américain. La contrebande d’armes s’effectue par les voies terrestres
à travers la frontière poreuse d’Oman, par le point de Shehen dans la province
de Mahra. La frontière yéméno-omanaise, longue de 288 km, est incontrôlable.
Scud chez les Houthis |
Jusqu’à présent le micro-État
du Golfe, considéré par les Américains comme un allié, ne tient pas compte des
mises en garde ; il nie toute utilisation de son territoire à des fins de transferts
d’armes. Dans une interview au
journal saoudien Okaz, le ministre omanais des Affaires étrangères Youssef bin
Alwi a déclaré : «Il n'y a pas de vérité à cela. Aucune arme n’a traversé
notre frontière et nous sommes prêts à clarifier les soupçons s’ils se
présentent». Les armes ne manquaient
pourtant pas dans la région puisque les Houthis avaient déjà récupéré de
nombreuses armes détenues par les militaires alliés à l’ancien président Saleh.
L’Iran considère depuis
longtemps les Houthis comme l’autorité légitime au Yémen et c’est pourquoi il
leur fournit des armes pour défendre leur pays.
Les services de renseignements américains confirment l’augmentation de
la fréquence de livraison d’armes en provenance de l’Iran : «via Oman
sont transportés des missiles anti navires, des explosifs, des Scuds, de
l’argent et des hommes ainsi que des missiles sol-sol à courte portée et des
armes de petit calibre». En fait l’accord nucléaire a libéré l’Iran
qui veut maintenir sa supériorité vis-à-vis de l’Arabie. Les pays du Golfe
craignent que cet accord n’encourage en fait l’Iran à s’immiscer de plus en
plus dans les conflits en Syrie, au Liban et à présent au Yémen.
Les Iraniens défilent |
Pour l’instant les États-Unis refusent de s’impliquer
directement dans ce conflit qui a déjà fait plus de 10.000 victimes en opposant
deux puissances régionales l’Iran et l’Arabie. Les cessez-le-feu négociés par
l’ONU n’ont eu aucun effet. Les missiles Scud et les roquettes continuent de
pleuvoir sur l’Arabie. Les Houthis ont même envoyé des missiles contre un
navire des Émirats arabes Unis dans la Mer Rouge. Le général Joseph Votel, du
commandement central de l’armée américaine, a confirmé que l’armement des
Houthis était bien d’origine iranienne. Mais
les dirigeants américains évitent d’envenimer leurs rapports avec l’Iran depuis
la signature de l’accord nucléaire.
Armée saoudienne |
La guerre avec les Houthis est peu couverte par la presse
européenne. Il est vrai que le pays est loin, surtout au-delà des frontières
européennes, et que s’affrontent des peuples musulmans entre eux. Le
conflit n’est pas récent puisqu’il a été déclenché dans la nuit du 25
mars 2015 par une coalition menée par l'Arabie saoudite et une dizaine de pays
arabes et sunnites dont l’Égypte, la Jordanie, le Soudan, le Maroc et les
membres du Conseil de Coopération du Golfe à l’exception d’Oman, dans le but de
remettre au pouvoir le président Abed Rabo Mansour Hadi, renversé par
l'insurrection des Houthis. Des moyens importants ont été déployés pour un
conflit pourtant très localisé :
- Force aérienne
royale saoudienne : 100 avions de combat
- Marine
égyptienne : 4 navires de guerre
- Force aérienne
des Émirats arabes unis : 30 avions de combat
- Force aérienne
royale de Bahreïn : 15 avions de combat
- Force aérienne
koweïtienne : 15 avions de combat
- Qatar Air
Force : 10 avions de combat
- Force aérienne
royale jordanienne : 6 avions de combat
- Forces
aériennes royales du Maroc : 6 avions de combat
- Force aérienne
soudanaise : 4 avions de combat
Ces forces de combat semblent disproportionnées par rapport à la
nature du conflit. Les Saoudiens avaient effectué des frappes aériennes sur
plusieurs aéroports, sur des bases aériennes dont l'aéroport international El
Rahaba, sur des camps militaires et sur le palais présidentiel tenu par les
milices Houthis. Quatre navires de guerre égyptiens avaient eu pour objectif de
sécuriser le golfe d'Aden. Devant l’ampleur de l’intervention saoudienne l'ambassadeur
saoudien à Washington a été contraint de préciser que «l'opération vise à
défendre le gouvernement légitime du Yémen et à empêcher le mouvement radical Houthi,
soutenu par l'Iran, de prendre le contrôle du pays».
Saleh à droite cède le pouvoir à Hadi |
Derrière
ce chaos au Yémen, qui frise la guerre civile, s’exprime en fait la rivalité
entre l'Iran et l'Arabie saoudite avec Daesh comme nouvel agent perturbateur.
L’ancien président Saleh a ajouté une dimension confessionnelle à cette lutte
entre Houthis chiites et le président Hadi, sunnite. La question
confessionnelle s’est trouvée soulevée qu’à la suite de la transition
politique. La fragilité du gouvernement yéménite a attisé les convoitises jusqu’à
pousser l'Arabie saoudite et l'Iran à revendiquer le leadership régional.
Jusqu’alors les deux puissances s’affrontaient dans une guerre de l’ombre mais
à présent le conflit entre sunnites et chiites est ouvert.
L’Iran
ne cache pas ses ambitions d'étendre son influence dans la région. Plus d’une
dizaine d’avions par jour font le trajet de Téhéran à Sanaa pour expédier du
matériel, des armes et des conseillers avec l’intention de constituer une base
à l’identique de ce qui s’est fait au Liban-Sud. Israël surveille la situation avec intérêt car
la sécurité de la navigation dans le détroit stratégique de Bâb El-Mandeb, où
passe l’essentiel du commerce mondial, est en jeu. Israël pourrait mal accepter
les velléités de l’Iran de prendre pied dans la région, en plus du Golfe
Persique et du détroit d’Ormuz. L’Arabie saoudite a les mêmes préoccupations
car la situation sécuritaire au Yémen est considérée par elle comme une affaire
intérieure. De nombreuses troupes sont d’ailleurs massées aux frontières,
prêtes à intervenir, et elle compte sur Israël pour un soutien contre l’Iran
face aux énormes enjeux. Les ennemis de nos ennemis sont nos amis.
Nouveau
venu dans la région, Daesh joue au trouble-fête. Le Yémen est son nouvel
objectif après l’Irak, la Syrie et la Libye. C’est toujours vers les pays musulmans
faible qu’il se dirige. Il prépare une plate-forme d’où il pourrait intervenir.
Il peut s'appuyer sur la population sunnite, majoritaire au Yémen, qui a très
mal vécu la prise de Sanaa par les Houthis. Pour Daesh, la victoire passe donc par
la neutralisation des chiites, dont les Houthis sont issus, et par
l’élimination de son rival affaibli AQPA (Al-Qaeda dans la péninsule arabique) qu’il
veut supplanter.
On
ignore comment le Yémen peut sortir de cet engrenage qui voit les deux
principales puissances s’affronter par procuration.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire