QATAR : DOUBLE JEU POLITIQUE ET STRATEGIQUE
Par Jacques BENILLOUCHE
La diplomatie israélienne n’a pas la même vision politique que les services de renseignements, plus mitigés sur le rôle réel du Qatar au Moyen-Orient. L’ancien directeur du Mossad, Meir Dagan, a qualifié le Qatar « de véritable problème et son émir de quelqu’un qui irrite tout le monde ». Il reproche à cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani « de jouer sur tous les tableaux, la Syrie, l’Iran et le Hamas, pour assurer sa sécurité et affirmer son indépendance » face aux dangers extérieurs. Le Mossad a été jusqu’à conseiller, le 12 juillet, à Fragos Frances Townsend, assistante du président Obama pour la sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme (AFHSC), de se retirer de la base Al-Udeid utilisée par les forces américaines.
Préserver à tout prix les liens
Le ministère israélien des affaires étrangères estime que les relations avec les pays musulmans doivent être préservées surtout depuis la rupture avec la Turquie. Le Qatar a rompu ses relations avec Israël en 2009 à la suite de l’opération « plomb durci » contre Gaza, mais des relations secrètes ont été maintenues au plus haut niveau. Par ailleurs, toute occasion de rencontrer des officiels qataris n’est pas négligée. L’émir du Qatar s’était rendu en visite secrète en Israël, en mars 2010, et avait été reçu par Tsipi Livni, chef de l’opposition, et par l’ancien ambassadeur à l’ONU, Dan Gilerman, l’homme des missions internationales sensibles. Cette visite faisait suite à celle de Tsipi Livni en 2008. La télévision israélienne avait filmé l’évènement et avait rapporté, officiellement, qu’il s’agissait d’aborder l’aide que pouvait fournir Israël en matière d’agriculture. Mais il est certain que le problème de l’Iran avait été abordé.
Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Benyamin Ben Eliézer, s’est rendu au Qatar en mai 2010 afin de prendre part au forum économique mondial et de prendre la parole devant les délégués : « J’espère parvenir à convaincre mes homologues du Proche-Orient et des pays du Golfe de considérer l’aide qu’Israël peut apporter surtout en technologie de pointe, et à briser la glace qui empêche tout progrès véritable dans les relations entre Israël et ses voisins ». Enfin, à l’occasion de l’assemblée générale d’Interpol, en novembre 2010, le général de division, Yoav Segalovich, avait participé aux débats qui se déroulaient au Qatar en tant que chef des services d’enquête et de renseignement de la police d’Israël.
Toutes ces visites tendent à démontrer que le gouvernement israélien tient à maintenir des contacts diplomatiques étroits en vue de renouer les relations bilatérales officielles. Cependant il n’est pas dupe car il n’ignore pas la capacité de nuisance politique du Qatar, soumis à des pressions de certains pays ennemis d’Israël. Il n’a pas accepté les conditions politiques posées pour la reprise des relations diplomatiques, en particulier le droit du Qatar de patronner des investissements immobiliers à Gaza.
Scepticisme du Mossad
En revanche, le Mossad n’a pas la même approche car il est plus sensible aux exigences sécuritaires que diplomatiques. Meir Dagan, qui vient de quitter son poste, n’aurait jamais lancé son pavé dans la mare s’il ne se savait pas en fin de mission. Il dispose de nombreux griefs contre le Qatar et souvent, des arguments tangibles à opposer à la diplomatie israélienne.
En février 2010, selon les services de renseignements israéliens, l’Iran a signé un pacte de défense avec la Syrie et le Qatar ouvrant ainsi les portes à une présence militaire iranienne. D’ailleurs, le Qatar a été l’organisateur, avec le président Bassar el Assad, du voyage d’Ahmadinejad en juillet au Liban. Le Mossad révèle qu’il avait été décidé d’utiliser cette occasion de la rencontre des dirigeants iranien, syrien, qatari et libanais pour tenir un conseil de guerre dans le but essentiel de raviver le conflit arabo-israélien. Il s’agissait alors pour le Qatar de cautionner une crise capable de dégénérer en conflit militaire entre Israël et le Liban, pour juguler les nouvelles sanctions votées contre l’Iran.
Le Mossad n’a pas apprécié que, sous couvert de coopération économique, le Qatar se joigne en juin 2010 à la Turquie, la Syrie et le Liban dans un Conseil de Coopération du Golfe, chargé de créer une zone de libre-échange économique. Il était persuadé de voir cette structure se transformer à moyen terme en bloc politique anti-israélien sous l’égide de la Turquie qui pourrait proposer à son nouvel allié, l’Iran, de rejoindre le pacte. La présence de deux pays foncièrement anti-israéliens risquait de créer une influence néfaste conduisant à des décisions politiques qui attenteraient à la sécurité de l’occident dans la région.
La diplomatie de l’émir du Qatar est qualifiée par le Mossad de « dangereuse et imprévisible car, de tous les services de sécurité des pays du Golfe, ceux du Qatar sont les plus laxistes dans la lutte antiterroriste » car ils ont peur de représailles à la fois d’Al-Qaeda et de l’Iran.
Diplomatie anti-israélienne tout azimut
Cette diplomatie semble en effet brouillonne et dirigée tout azimut. L’Emir du Qatar est arrivé le 2 décembre à Alger pour une visite officielle de travail et d’amitié. L’Algérie n’est pas réputé pour être un pays modéré vis-à-vis d’Israël et le renforcement de la coopération entre les deux pays risquait de se faire au détriment de l’Etat juif. L’autorisation d’investissement en Algérie pouvait être subordonnée à une révision des relations stratégiques entre le Qatar et Israël. La preuve que les discussions n’étaient pas uniquement économiques est corroborée par la visite à Doha, le 5 décembre, du Général Ahmed Boustila, commandant de la Gendarmerie nationale algérienne. Selon un communiqué du commandement, cette visite s'inscrit dans le cadre « des liens de coopération entre la Gendarmerie nationale et la force de sécurité intérieure du Qatar ».
Le Mossad a fait part à son gouvernement de ses inquiétudes, confirmées par les révélations de WikiLeaks, précisant que le Qatar et les autres émirats étaient impuissants à lutter contre le financement du terrorisme car il était considéré comme le « pire de la région » en matière de lutte antiterroriste. Il a apporté les preuves que les groupes terroristes ne recevaient pas de financement en provenance des États-Unis ou de l'Europe mais « en réalité du Golfe et du Qatar en particulier ».
Les services israéliens rappellent qu’en 2008, le gouvernement éthiopien avait déjà accusé le Qatar de « déstabiliser la Corne de l'Afrique en faisant preuve d'un comportement hostile ». Addis-Abeba reprochait notamment à l’émir de soutenir et financer des organisations terroristes en Somalie ce qui l’avait contraint à rompre ses relations diplomatiques avec le Qatar car il l’accusait d’avoir un « comportement hostile contre l'Ethiopie ». Les griefs du Mossad ne sont pas nouveaux mais ils apparaissent à présent au grand jour.
Contentieux avec la télévision
Meir Dagan avait par ailleurs un sérieux contentieux avec la chaine de télévision du Qatar, Al-Jazzera qui l’accuse d’avoir fomenté l’assassinat à Dubaï du dirigeant du Hamas, Al Mabhouh, l'un des fondateurs de l'aile militaire du mouvement islamiste Hamas qui contrôle la bande de Gaza. Il se supportait pas le double-jeu de l’émir qui, d’une part s’associait aux accusations contre Israël et d’autre part, l’encensait à l’occasion d’une réunion avec le sénateur John Kerry le 23 février dernier : « On ne peut pas blâmer les israéliens de ne pas faire confiance aux arabes, ils ont été tant trahis. »
Un câble révélé par WikiLeaks précise d’autres termes de l’émir : « Les dirigeants israéliens doivent représenter le peuple d’Israël, qui lui-même ne peut pas faire confiance aux arabes. C’est compréhensible puisque les israéliens ont été menacés depuis très longtemps ». Cette attitude ambivalente ne plait pas au sortant du Mossad qui estime que les nouvelles révélations éloignent tous les doutes sur la vraie nature du chef de l’Etat du Qatar qui, d’une part s’allie avec les pires ennemis d’Israël pour déclarer, d’autre part le 2 décembre : « Israël doit être félicité pour toujours vouloir la paix ».
Le nouveau patron du Mossad devra tracer une stratégie définitive pour les relations entre Israël et le Qatar. Mais en tant qu’ancien numéro deux, il est fort probable qu’il entérinera l’analyse de son prédécesseur laissant à Benjamin Netanyahou le soin de décider de l’intérêt diplomatique du pays.