UNE ACTION DU MOSSAD
OPÉRATION BONBONS
Par Pr
Hagay SOBOL
copyright © Temps et Contretemps
Raphaël Jerusalmy est venu au Centre
Culturel Edmond Fleg, à Marseille, pour présenter son livre «Sauver Mozart».
Une œuvre passionnante, dont le personnage central est un antihéros, centré sur
lui-même, mais qui va finir par s’opposer à sa manière au régime nazi. La salle
était comble et le public captivé. Mais ce n’est pas l’objet de cet article. En
effet, alors que je devais réaliser une interview de l’auteur sur son livre,
notre discussion a débouché sur tout autre chose, sur une opération incroyable
menée par les services de renseignement israéliens !
Avant
les mots, l’humain !
Le vent soufflait fort ce matin-là sur le Vieux-Port de Marseille. Raphaël
Jerusalmy m’attendait à la porte du café où nous nous étions donné rendez-vous.
Un grand gaillard en jean et blouson, les cheveux gris, droit comme un «i».
Le mistral semblait n’avoir aucune emprise sur lui. Nous nous sommes salués en
toute simplicité. Puis autour d’une tasse de thé bien chaud, comme par magie,
nous avons tout de suite sympathisé. Nous avons parlé de nos parcours respectifs
et beaucoup moins du sujet pour lequel j’étais venu initialement, c’est-à-dire son
livre. Très humble, il était plus intéressé par les rapports humains que de
parler de son ouvrage.
Normalien, il a la voix douce et le verbe
précis, élaborant des phrases riches. A l’opposé de son livre qui est écrit
avec une économie de mots, comme en langage militaire. C’est ainsi que j’appris
qu’il avait été membre des services de renseignement israéliens, d’abord dans
la marine, puis dans l’armée, Tsahal. Cela est arrivé dans la conversation,
comme quelque chose d’anodin, rien d’exceptionnel en somme.
L’aide
aux victimes du génocide Rwandais
Enfants au Rwanda |
«Dans une œuvre de fiction on essaye de rendre les choses le plus
crédible possible. Et pourtant dans la vraie vie il arrive nombre d’évènements
improbables que l’on n’oserait pas mettre dans un roman». Ainsi,
il revint sur un épisode qui s’est déroulé au Rwanda, lorsque l’Etat Hébreu est
intervenu en 1994 pour prendre en charge les victimes du génocide. Dans son
regard, on sentait qu’il vivait encore ces terribles évènements comme s’il
s’agissait du présent. Israël avait envoyé un groupe appartenant aux
renseignements militaires parce qu’à l’époque, c’était le seul service à pouvoir
se mobiliser rapidement et à disposer d’un hôpital de campagne. Sur place parmi
tous les pays participants à la mission internationale, aucun ne disposait d’infrastructure
de ce type. Une ressource rare et absolument indispensable, tant il y avait de
blessés, et de misère.
Des
enfants au regard vide
Inutile de dire qu’il régnait un chaos indescriptible. Les
frontières n’étaient plus très bien marquées et, de toute façon, plus personne
ne les respectait. Lors d’une des sorties de l’équipe israélienne, ils
découvrirent un panneau où était inscrit en français «Orphelinat de l’UNICEF».
Ils se rendirent jusqu’au lieu indiqué. Ils découvrirent alors une bâtisse qui
avait beaucoup souffert du conflit. Raphaël descendit de son véhicule, un peu
inquiet que son uniforme n’inspire la crainte aux enfants, tant ils avaient eu
à souffrir des exactions des militaires ou de groupes paramilitaires. Ce qu’ils
virent dépasse l’entendement. Quatre mille enfants squelettiques et en lambeaux,
à l’état de santé des plus précaires, encadrés par six adultes seulement, deux
médecins et quatre volontaires congolaises. Tous les jours l’armée française
amenait ceux qu’elle avait trouvés errants sur les routes, ou assis près des
cadavres de leurs parents. «Mais ce n’était pas là le plus bouleversant. Ces
enfants semblaient avoir vieilli prématurément. Ils avaient le regard vide et
sans espoir».
Le
retour à la vie, grâce à deux bonbons
«Dans ce contexte, on s’habitue presque à l’horreur, tant elle est
quotidienne. Derrière les corps, on oublie l’être humain. On est obligé, on se
blinde, sinon on ne peut pas continuer. On le découvre à nouveau à travers un
détail». Ainsi, un enfant s’avança vers le militaire en tendant la main
pour quêter quelque nourriture. «Je n’avais rien car j’avais déjà largement entamé
ma ration. Il ne me restait que deux bonbons que je lui tendis spontanément. Je
vis alors se dessiner sur le visage de la petite créature sans âge, un large
sourire, pas seulement de la joie, mais le retour à la vie. Il était comme redevenu
un enfant, uniquement en apercevant presque rien, seulement deux bonbons qu’il garda
d’abord précieusement dans sa main avant de les porter à sa bouche… Une image
que je n’oublierai jamais». Aussitôt tous les hommes firent de même pour
les autres enfants qui commençaient à affluer.
Opération
bonbons
Que décider
face à un dénuement si total ? Il y a tant de choses à faire qu’il est
difficile de déterminer les priorités. Raphaël s’entretint avec les rares
adultes présents et fit le point avec son groupe. D’un commun accord ils
prirent leur décision. Ils appelèrent le QG de l’armée en Israël, alors qu’ils
ne disposaient que d’un créneau très limité de 2 minutes pour échanger avec la
hiérarchie via le satellite. Voilà la teneur de leur message : «Bourrez
le prochain avion de bonbons. Il doit arriver dans les 24 heures !» Il
n’y eu aucune objection à cette demande qui pouvait paraître totalement incongrue.
Car on ne discute que rarement les décisions des agents de terrain. Ils sont
face à la réalité et savent parfaitement évaluer une situation et prendre les
mesures qui s’imposent.
L’avion arriva avec sa précieuse cargaison. Elle fut déchargée en
un temps record et acheminée à l’orphelinat. On fit alors le compte.
Malheureusement, il n’y en avait pas assez pour tous. Que faire ? Alors
les quatre «infirmières» eurent l’idée qu’il fallait. Elles alignèrent les
petits pensionnaires en quatre rangées impeccables de mille enfants chacune. Tous
les bonbons furent mis dans des récipients. Puis elles les sectionnèrent en
deux avec leurs dents pour avoir le compte, avant de les distribuer. «Imaginez
ce spectacle. De petits morts vivants, redevenir enfants en un instant. Ils
allaient jusqu’à se blottir dans nos bras, nous qui incarnions ce dont ils
avaient le plus peur un instant auparavant.»
Epargner
des vies, le plus essentiel
«Quand on fait
ce métier, on a souvent l’occasion de côtoyer la mort, et de la donner. Nous
sommes formés à cela dans l’armée. Mais c’est loin d’être la solution à tous
les problèmes. Epargner ou sauver des vies lorsque c’est possible pour préparer
l’avenir, voilà ce qui est encore plus essentiel».
«Si je ne devais retenir qu’une seule mission dans toute ma
carrière, je ne retiendrai que celle-là. Car l’humain a primé sur tout le reste».
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