LE
REGARD DE JACQUES BENILLOUCHE POUR TRIBUNEJUIVE.INFO
LES DÉCONVENUES DES
ISLAMISTES AU POUVOIR
Par Jacques
BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Il ne s’agit pas de crier victoire trop tôt mais il semble bien que
les islamistes subissent un coup d’arrêt psychologique après une expansion
croissante qui les a vus déferler à travers presque tous les pays du
Moyen-Orient et de l’Afrique. Sans pour autant être décisive et durable, cette
tendance s’affirme clairement, qu’ils soient au pouvoir ou dans une opposition
armée, en Égypte, en Tunisie, en Syrie, à Gaza ou au Mali.
Il y a ceux qui ont
été portés au sommet en proposant des montagnes de rêves et d’espoirs mais
l’exercice du pouvoir leur a été souvent fatal. Il y a les autres, qui ont
préféré les armes et la contrainte dans une opposition systématique aux régimes
en place mais qui n’arrivent plus à convaincre.
Échec en Égypte
Les
problèmes rencontrés dans la conduite des pays qu’ils régentent ont été à
l’origine du reflux des islamistes, ce qui laisse à penser qu’il vaut mieux les
laisser s’empêtrer dans les affaires d’un État plutôt que de les en empêcher.
C’est le seul moyen pour qu’ils soient déconsidérés ou disqualifiés, loin des
rêves censés améliorer le sort de populations en réelle détresse.
Arrivés
en trombe au pouvoir en Égypte, avec toutes les craintes et les fantasmes qui
les accompagnaient, ils flirtent à présent avec l’échec jusqu’à envisager de
perdre un pouvoir longtemps espéré, après des années d’oppression qu’ils ont
vécues cachés en diffusant leur part de rêves. En Égypte, ils ont montré leur
inefficacité au gouvernement après seulement huit mois de pouvoir qui leur ont
attiré les mécontentements de toutes les franges de la population.
Dans le pays symbole du leadership arabe, la déception est grande, entrainant beaucoup de réserves, partout dans le monde, là où les islamistes développaient leurs réseaux. Les pays qui ont échappé à la révolution arabe redressent à présent la tête sans craindre les foudres des fous de Dieu qui tentaient d’imposer leur loi quelques semaines auparavant. Ainsi, sans crainte de représailles et peu inquiets d’une éventuelle montée de l’islamisme, les Émirats arabes unis n’ont pas hésité à passer en jugement 94 Frères musulmans accusés de complot contre l’État.
Manifestants contre Morsi |
Dans le pays symbole du leadership arabe, la déception est grande, entrainant beaucoup de réserves, partout dans le monde, là où les islamistes développaient leurs réseaux. Les pays qui ont échappé à la révolution arabe redressent à présent la tête sans craindre les foudres des fous de Dieu qui tentaient d’imposer leur loi quelques semaines auparavant. Ainsi, sans crainte de représailles et peu inquiets d’une éventuelle montée de l’islamisme, les Émirats arabes unis n’ont pas hésité à passer en jugement 94 Frères musulmans accusés de complot contre l’État.
Échec en Tunisie
Il y
a quelque temps encore, on pensait que leur montée était inexorable et que rien
ne pouvait les arrêter car la mouvance
islamique avait le vent en poupe. Puis la pratique du pouvoir a mis en évidence
leurs lacunes et leur incompétence à passer du rêve à la réalité. En Tunisie,
le parti islamiste Ennahda, à l’idéologie proche des Frères musulmans, a vécu 18
mois de crise pour, au bout, être contraint de renoncer à certaines parties de
son programme et à certains ministères régaliens. Le parti n’était pas prêt
pour le pouvoir qu’on lui avait offert et aucune autre organisation politique
n’avait de structure établie. La révolution est arrivée trop vite, sans même qu’elle
ait été préparée dans les esprits. Ennahda a été contraint au pragmatisme en
faisant appel à des laïcs et à des personnalités indépendantes pour constituer
un gouvernement. Les islamistes n’ont pas réussi à imposer leurs vues au reste
de la classe politique même s’ils avaient gagné les élections de 2011.
Des
analystes jugent qu'Ennahda a commis l'erreur de croire qu'il pouvait imposer
ses positions au reste de la classe politique et à la société civile, avec
comme argument principal celui de sa «légitimité électorale» issue du
scrutin de 2011. Mais les déconvenues l’ont poussé à plus de réalisme. Ennahda
a ainsi renoncé à introduire la charia ou loi islamique dans la constitution ; il a accepté de défendre
l’égalité des sexes et de mettre en œuvre des décrets sur la liberté de la
presse. L’erreur de ses dirigeants fut de croire qu’ils pouvaient gérer un pays
en pleine mutation comme ils ont dirigé leur parti clandestin.
Après des débats internes et des
luttes intestines, l’Égypte et la Tunisie n’ont toujours pas de constitution, décalent
leur calendrier électoral soumis aux aléas des évènements. D’ailleurs un
tribunal égyptien vient d’imposer le report de l’élection générale prévue en avril.
Ils gèrent une économie à la dérive et affichent un bilan catastrophique dans la conduite du pays. Les sondages démontrent que leur popularité est en baisse et qu’ils ont perdu au moins 32% de leur électorat. Mais ils bénéficient du vide institué par les dictatures qu’ils ont remplacé alors qu’aucune autre force réaliste ne peut s’affirmer comme force d’alternance. Alors au lendemain des révolutions et après des élections organisées dans l’euphorie du changement, Ennahda en Tunisie, version plutôt libérale de la Confrérie et le parti Justice et Liberté plus proche de la vieille école en Égypte, font face à des déconvenues sévères.
Banderole électorale en Egypte |
Ils gèrent une économie à la dérive et affichent un bilan catastrophique dans la conduite du pays. Les sondages démontrent que leur popularité est en baisse et qu’ils ont perdu au moins 32% de leur électorat. Mais ils bénéficient du vide institué par les dictatures qu’ils ont remplacé alors qu’aucune autre force réaliste ne peut s’affirmer comme force d’alternance. Alors au lendemain des révolutions et après des élections organisées dans l’euphorie du changement, Ennahda en Tunisie, version plutôt libérale de la Confrérie et le parti Justice et Liberté plus proche de la vieille école en Égypte, font face à des déconvenues sévères.
En
fait il s’avère à présent qu’ils n’ont pas été choisis par conviction
idéologique mais parce qu’ils étaient les mieux organisés durant les années de
clandestinité ou parce qu’ils étaient financés par des potentats arabes. C’est
ainsi que les révolutions violentes de Syrie et de Libye n’ont pris une
tournure islamique que grâce aux réseaux soutenus par les pays riches du Golfe
qui avaient intérêt à s’infiltrer dans le vide laissé par la chute des
dictatures. Quant aux Frères musulmans de Libye, ils ont fait pâle figure aux
dernières élections.
Déconvenues générales
Ces
déconvenues ont donné des ailes à ceux qui ont échappé à la révolution et leur
ont permis d’éviter le pire. Les islamistes ont entrainé une action positive
auprès des potentats dont le conservatisme était légendaire. Ainsi le roi
Mohammed VI du Maroc a devancé l’agitation en neutralisant ses islamistes du
parti Justice et développement en les intégrant au gouvernement et en
les poussant à s’organiser de manière démocratique. La révolution n’a pas eu
prise dans ce pays.
Quant au roi Abdallah de Jordanie, il n’a rien fait par opportunisme politique pour empêcher les islamistes de dominer son parlement, car c’était pour lui un bon moyen de les phagocyter. Il savait qu’ils formaient le groupe le mieux organisé du pays et que le meilleur moyen de les contrer était de les impliquer dans les affaires pour les rendre plus pragmatiques. De ce point de vue d’ailleurs, la chaine qatarie Al Jazzera, qui avait axé ses programmes sur la diffusion de la cause islamiste et qui avait encouragé les soulèvements, a dû elle-aussi modérer ses effusions devant l’échec patent d’un islamisme qui n’avait plus la côte auprès des populations.
Quant au roi Abdallah de Jordanie, il n’a rien fait par opportunisme politique pour empêcher les islamistes de dominer son parlement, car c’était pour lui un bon moyen de les phagocyter. Il savait qu’ils formaient le groupe le mieux organisé du pays et que le meilleur moyen de les contrer était de les impliquer dans les affaires pour les rendre plus pragmatiques. De ce point de vue d’ailleurs, la chaine qatarie Al Jazzera, qui avait axé ses programmes sur la diffusion de la cause islamiste et qui avait encouragé les soulèvements, a dû elle-aussi modérer ses effusions devant l’échec patent d’un islamisme qui n’avait plus la côte auprès des populations.
Gestion pragmatique
La
gestion des affaires publiques a rendu certains islamistes plus pragmatiques à
l’image des turcs et plus fréquentables aux yeux des occidentaux car, devant les
difficultés, ils sont devenus plus cohérents et plus disciplinés. Ils voulaient
s’afficher en modèles à distinguer des islamistes sanguinaires d’Al-Qaeda, des
djihadistes, des salafistes qui polluent la rébellion syrienne, des
révolutionnaires tunisiens, des militants du Hezbollah libanais ou enfin des
partisans irakiens du chiite Moqtada Al-Sadr. Les adeptes des Frères semblent
avoir temporairement rangé dans leurs armoires à souvenirs les appels à
l’établissement de la charia dans les pays qu’ils gouvernent, et les appels à la destruction d’Israël.
Ils
ont d’ailleurs influencé le comportement des groupes qu’ils parrainent. Cela
est flagrant à Gaza où le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans,
suit les traces de sa maison mère égyptienne et n’est plus dans le même état
d’esprit de l’année 2006 lorsqu’il a remporté la victoire aux élections. Nous
sommes loin des franchises des Frères musulmans qui s'étaient développées dans
les années 1990 en Jordanie, au Koweït, en Irak, en Algérie et au Bahreïn qui
étaient à la pointe du combat terroriste. Ils donnent l’impression de ne plus
vouloir s’engager dans des guerres civiles sanglantes sans pour autant se priver
de guerres intestines. Ainsi en 2011, les conservateurs égyptiens avaient
éliminé les éléments les plus modernes de la direction des Frères tandis que
les conflits internes en Tunisie ont affaibli Ennahda surtout après
l’assassinat du leader de gauche Chokri Belaïd.
En souvenir de Chokri Belaïd |
La
défaite militaire de certains clans islamistes a servi de repoussoir. Les factions
rebelles djihadistes en Syrie, mieux armés et plus motivés que les autres
rebelles, dominent l'opposition au
détriment des islamistes traditionnels. L’aile politique des Frères musulmans, s’est
trouvé contrainte d’accepter un rôle secondaire. La défaite, temporaire pour
l’instant, des islamistes au Mali a mis en évidence deux enseignements. D’une
part, la force est le seul argument convaincant contre ces militants de la
violence. Par ailleurs, s’ils se comportent en héros face à des populations
désarmées et faibles, ils ne sont pas téméraires puisqu’ils ont fui le combat à
l’arrivée des troupes françaises. Alors leur fuite a ouvert la voie à la conquête
des bastions djihadistes au Mali qui se poursuivent avec succès, permettant une
éradication des éléments perturbateurs dans des villes désarmées.
Islamistes au Mali |
Symptômes toujours présents
Les éléments
tangibles qui ont conduit aux révolutions restent toujours présents comme le
symbole de l’échec des nouveaux tenants du régime. Le chômage s’est aggravé,
les protestations souvent sanglantes se développent à travers chaque pays,
l’autoritarisme des régimes n’a rien à envier aux dictatures qu’ils ont
remplacées. Les Frères musulmans ont subi une déroute aux élections des
syndicats d’étudiants égyptiens tandis qu’aux derniers sondages le Hamas
requiert un taux d’approbation de 18% seulement après sa grande victoire en
2006.
Plusieurs centaines de personnes ont encore manifesté à Tunis pour protester contre le pouvoir en place, dominé par les islamistes, lors d'un rassemblement prévu à l'origine pour défendre les droits des femmes. Les Frères étaient censés apporter la justice et la prospérité mais ils se voient contraints de brader leur idéologie en se tournant vers les pays occidentaux pour mendier une aide économique indispensable pour garantir le minimum vital à des populations dans le besoin.
Manifestation en Tunisie contre le premier ministre |
Plusieurs centaines de personnes ont encore manifesté à Tunis pour protester contre le pouvoir en place, dominé par les islamistes, lors d'un rassemblement prévu à l'origine pour défendre les droits des femmes. Les Frères étaient censés apporter la justice et la prospérité mais ils se voient contraints de brader leur idéologie en se tournant vers les pays occidentaux pour mendier une aide économique indispensable pour garantir le minimum vital à des populations dans le besoin.
Les
islamistes au pouvoir ont raté leur marche vers le succès. Tout comme les
régimes communistes d’hier, ils se désintégreront progressivement parce qu’ils
ne savent pas mettre en oeuvre la part du rêve qu’ils ont promis à des populations qui avaient
moins besoin de slogans que de pain.
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