JEAN-MARIE LUSTIGER, LE CARDINAL PROPHÈTE
De Henri TINCQ
Éditions
Grasset
Arte nous a proposé, le 29 mars 2013, un excellent téléfilm qui nous a plongés
dans la vie de l’ancien archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, juif converti
au catholicisme pendant la guerre, à l’âge de 14 ans. L’auteur du film a réussi
à reproduire avec justesse le conflit intérieur d’un homme qui se considérait
autant juif que chrétien. Mais la religion juive ne reconnait aucune conversion
et, quel que soit son parcours, un juif reste juif toute sa vie selon la
Halakha, la Loi suprême juive. Ce film émouvant et bien joué par un acteur de
talent, Laurent Lucas, a reproduit les sensations que j’avais éprouvées en
lisant la vie du cardinal.
Double appartenance
En effet, par pur hasard, je venais de terminer la lecture de l’ouvrage de mon confrère de Slate, Henri Tincq, spécialiste des religions, qui ne pouvait laisser indifférents ceux qui étaient nourris aux textes bibliques et à l’histoire de la Shoah. Lustiger a porté toute sa vie la croix de sa double appartenance sans jamais renier sa religion d’origine. En devenant prêtre, il ne voulait pas effacer de sa mémoire l’assassinat de sa mère à Auschwitz, sous le seul motif qu’elle était juive.
L’auteur reproduit avec précision la hantise du cardinal de perdre la foi
inébranlable dans les textes sacrés. Lustiger a été un précurseur, celui du
rapprochement entre les deux religions du Livre qui s'étaient toujours
combattues, par la seule volonté des hommes. Parce qu’il était un grand prélat,
au caractère énergique et à l’esprit ouvert, cet homme d’Église de grande
culture avait fait bouger les frontières en œuvrant toute sa vie pour le
dialogue entre les tenants de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il fascinait
autant qu’il dérangeait mais il restait ferme sur ses convictions. Comme l’a
écrit Henri Tincq : «le cardinal Lustiger laisse le souvenir d’un homme
de foi exceptionnelle, atypique, inclassable, déconcertant, qui aura
bousculé, à la puissance d’un ouragan, son Église et son temps».
Après ce magnifique téléfilm poignant, les lecteurs pourront approfondir le
portrait et la trajectoire inédite d’un personnage qui a toujours privilégié
l’action aux mots. D’ailleurs une anecdote me permet de rappeler un souvenir
fugitif mais marquant de cet homme d’Église qui, à l’époque déjà, se battait
pour faire tomber les murs érigés entre les hommes.
Jeune étudiant fauché ayant fui la Tunisie en 1961, j’avais suivi les conseils
d’une amie non juive qui m’avait conseillé le centre chrétien Richelieu, place
de la Sorbonne, qui aidait les étudiants nécessiteux à trouver un logement. Je
me souviens du regard étonné de la jeune fille derrière le comptoir qui lisait
le formulaire d’inscription sur lequel j’avais rempli la case religion :
juif. Étonnée certainement par ma franchise, elle avait dû estimer
que mon cas méritait plus d’attention. Elle s’absenta quelques instants pour me
proposer ensuite de rencontrer le responsable du centre. Un véritable honneur
pour un petit juif de Tunisie. J’ignorais alors que j’allais être mis en face
d’un curé, futur cardinal, habillé pour l’heure d’une tenue laïque de «velours
côtelé».
Nous avions discuté de tout, sauf de religion et je n’ai senti aucune volonté
de prosélytisme à mon égard. Il voulait que je lui raconte la Tunisie, pour lui
lointaine, la vie de la population juive, les motivations du départ en masse
des juifs et nos difficultés d’expatriation. J’étais impressionné par sa
simplicité et ses préoccupations, à priori laïques. Il m’écouta avec attention
car il découvrait un pan d’une histoire qu’il ne connaissait pas. Je
n’avais pas obtenu de chambre de bonne car il en manquait tellement à l’époque
des rapatriés d’Algérie, mais il m’avait proposé de revenir le lendemain. Une
petite enveloppe m’attendait avec quelques petites coupures de banque qui m’ont
fait chaud au cœur et qui m’ont permis de survivre au moins encore un mois.
J’avais apprécié qu’il ne fasse aucune distinction entre un chrétien et un juif
dans le besoin.
Kaddish
Ce comportement me sera expliqué plusieurs dizaines d’années plus tard par
Henri Tincq qui a confirmé que «Lustiger était présent sur tous les théâtres
où se joue le sort de l’homme». L’auteur nous fait comprendre que le prélat
a été forgé durant sa jeunesse par la méchanceté des hommes et par le malheur.
Le téléfilm colle au livre mais le texte, par la force des mots et de la
réflexion qu’ils induisent, approfondit les détails de vie du cardinal grâce à
des témoignages et des archives inédites et nous fait comprendre pourquoi il a
exigé qu’on récite le Kaddish, la prière juive des morts, face à son
cercueil à l’entrée de Notre-Dame de Paris.
À lire absolument même si l’on a vu le film. Une vraie leçon de vie et de
tolérance dans le monde barbare actuel où la religion prend le pas sur l’homme
et où les extrémistes de tout bord érigent des barrières d’incompréhension
entre les religions.
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