PALESTINE : ALEA JACTA EST
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Le sort en est jeté. L’entité palestinienne est devenue, le 29
novembre 2012, un «État observateur non membre» aux Nations Unis,
à l’issue d’un vote à l’Assemblée générale, malgré l’opposition des États-Unis
et d’Israël. Le vote de cette résolution a été acquis à une majorité
confortable mais pas écrasante de 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions.
Les
palestiniens ont à présent accès aux agences de l’ONU et aux traités
internationaux. L’admission à l’ONU permettrait également aux palestiniens d’intégrer des
douzaines d’organismes, comme l’Organisation Mondiale de la Santé avec
à la clé des débouchés financièrement intéressants pour les palestiniens. Mais cela
pourrait être limité par les lois américaines qui imposent de couper tout
financement à tout organisme de l’ONU qui reconnait un État palestinien.
L’UNESCO a accepté l’année dernière la Palestine en tant que membre de plein
droit, et les États-Unis ont aussitôt gelé 80 millions de dollars de
financement annuel, ce qui représente plus d’un cinquième du budget de
l’organisation.
Mais cela ne devrait pas changer grand chose au quotidien de la
population palestinienne mais il s’agit d’une victoire diplomatique symbolique.
La voie de la paix
Il n’y a aucune
chance que l’ONU revienne sur cette décision. Israël se grandirait donc à être
beau joueur en faisant d’un échec, une reconquête diplomatique si les
palestiniens acceptent enfin de reprendre, sans conditions, des négociations
directes. Les arabes ont toujours besoin d’une victoire pour justifier leur
revirement politique et ils viennent de l’avoir à l’Onu à l’instar du Hamas qui
croit l’avoir eu à Gaza. Il leur appartient à présent de choisir la voie de la
paix et du dialogue plutôt que celle des armes qui leur a définitivement
démontré l’inanité de leur démarche de destruction d’Israël. La guerre a montré ses limites depuis 65 ans.
Le nationaliste
Avigdor Lieberman, ministre des Affaires
étrangères, vient de faire une concession importante à l’occasion du Forum Saban à Washington en
déclarant que «le gouvernement israélien s'est engagé à la solution à deux États
car l’administration est liée par des accords signés par les administrations
précédentes». Résigné, il confirme ainsi le principe de la création d’un État
palestinien.
Liesse à Ramallah
La population
de Ramallah est en liesse alors que l’argent manque et que les salaires ont du
mal à être versés mais la décision de l’Onu a permis de la détourner des
réalités de la vie quotidienne en lui faisant miroiter des avancées qui
n’existent que dans les rêves. Il reste à présent aux deux parties de décider
entre la voie de la raison et celle de la guerre de tranchées. Si un consensus
n’est pas établi, à une décision de l’une répondront les représailles de
l’autre dans un combat stérile et sans fin. Les dirigeants palestiniens
devraient prendre la balle au bond pour renoncer à leur intransigeance dès lors
où ils ont eu leur victoire diplomatique. Ils peuvent soit s’orienter vers un
apaisement bénéfique au profit de leur peuple, soit choisir la voie de la
confrontation pour laquelle ils n’ont pas l’assurance de sortir vainqueurs.
Ils doivent sortir de leur passivité en acceptant de s’asseoir à la
table des négociations sans être uniquement spectateurs. Ils doivent avoir le
courage de présenter un plan écrit, original et pragmatique, qui démontre leur
volonté de conclure et qui mettra peut-être au pied du mur le gouvernement de
Benjamin Netanyahou contraint de se prononcer sur des propositions tangibles. Le passé a montré que seuls des gouvernements de droite ont mené à la paix. Le premier ministre, avec sa majorité confortable, pourrait inscrire son nom dans l'Histoire de l'État d'Israël à l'instar du grand Begin.
C.P.I
Mais à peine le
scrutin terminé, les palestiniens envisagent déjà de porter plainte contre
Israël à la Cour Pénale Internationale parce qu’ils n’entrevoient aucune
perspective d’influer sur la politique occidentale. La reconnaissance
officielle leur permet à présent de réclamer une enquête pour crimes de guerre
présumés ou crimes contre l'humanité à l’encontre du gouvernement israélien, de
ses fonctionnaires et de ses militaires. Ces menaces risquent de limiter les
voyages à l’étranger d’officiels israéliens sous le coup d'une «intifada
juridique ou diplomatique».
Les
palestiniens avaient déjà subi un échec auprès du CPI en 2009 à la suite de
leur plainte contre l’opération «plomb durci» mais l’appel avait été
rejeté au motif que la Palestine n’avait pas de statut d’État non membre. Tous
les pays qui ont signé le traité de Rome sont tenus de remettre au tribunal un
suspect réclamé par la CPI mais Israël et les États-Unis n’ont pas adhéré au
traité de Rome. Bien que les décisions du CPI ne soient pas contraignantes, elles ont un pouvoir de nuisance devant la mobilisation
internationale.
Siège de la CPI à la Haye
Le recours au
TPI est symbolique car il n’est pas certain que le procureur abonderait dans le
sens des palestiniens sachant que les juristes israéliens et américains
pourraient opposer de nombreux obstacles juridiques qui pourraient faire tomber
les accusations. En tout état de cause, les procédures prendraient plusieurs
années qui gèleraient toute avancée du processus de paix. C'est pourquoi de nombreux juristes
internationaux sont persuadés que le risque est faible pour Israël; il est improbable que les palestiniens s’aventurent vers une voie qui
leur apportera plus de déboires que d’avantages.
En revanche, grâce à ce vote, les
palestiniens pourront innover en matière diplomatique car il n’est pas certain
qu’ils tireront profit de cette guerre de tranchées qui les verra aussi s’opposer
aux américains. Cela retarderait toute possibilité d’accord et contraindrait
Israël à relancer les constructions dans les implantations de Cisjordanie. Les
sanctions économiques toucheraient la population plutôt que les dirigeants
et ce combat conduirait à des mesures unilatérales tandis que le
Congrès américain refusera encore de verser
l’aide promise de 200 millions de dollars.
Incidences
diplomatiques
Dessin de Dominique Goubelle
La population
palestinienne pense que ce vote aura permis au monde de reconnaitre «l’occupation
israélienne» mais elle reste sceptique sur l’avenir. Elle a connu de
nombreux pourparlers de paix ponctués par des troubles et est gavée de
promesses, non tenues, à la fois de ses dirigeants mais aussi des américains qui
lui ont décrit, en vain, l’image idyllique d’une Palestine indépendante vivant
aux côtés de l’État juif. Elle a conscience d’avoir été implicitement reconnue
comme peuple à la recherche de son pays, sans contours certes, mais ce vote
n’est qu’une étape vers une indépendance réelle.
Pour y
parvenir, les dirigeants palestiniens devront parler d’une seule voix et sortir
du paradoxe qui fait que le vainqueur à l’Onu, Mahmoud Abbas, n’est renforcé que
vis-à-vis des occidentaux. Il est moins populaire auprès des palestiniens que
le Hamas qui s’est distingué comme
l’organisation qui a su tenir tête aux israéliens en frappant pour la première
fois Jérusalem et Tel-Aviv. Beaucoup estiment que la stratégie diplomatique de
l’Autorité palestinienne a échoué et que son président a été régulièrement
humilié par les israéliens ; il doit donc céder sa place. Cela renforce
ainsi le clan des extrémistes qui estiment que seul le Hamas et la force
pourront soutirer des concessions de la part d’Israël.
Abbas, Mechaal et Haniyeh
Les prétendants
se font d’ailleurs connaitre. Le leader du Hamas Khaled Mechaal estime que «la
reconnaissance implicite d'un État palestinien obtenue à l'Onu par Mahmoud
Abbas et le récent conflit dans la bande de Gaza entre le Hamas et Israël
s'inscrivent dans une seule et même stratégie de renforcement de la position
palestinienne». Le Hamas a profité de cet épisode pour sortir de son
isolement diplomatique. Cela crée un nouveau contexte favorable à une
réconciliation avec le Fatah.
Les
conséquences du vote de l’Onu pourraient se manifester sur le plan diplomatique
car certains pays seraient amenés
à reconsidérer leurs relations avec l’Autorité palestinienne qui vient d’être
dotée d’une existence formelle. D’ailleurs le Canada, qui avait voté contre la
résolution, a décidé de rappeler temporairement ses diplomates de haut rang basés
en Israël et en Cisjordanie ainsi que les missions des Nations Unies à New York
et à Genève «pour évaluer les implications du vote». Le ministre des
affaires étrangères du Canada, John Baird, envisage
de revoir ses relations avec l'ensemble de l'Autorité palestinienne.
John Baird ministre affaires étrangères du Canada
De son côté,
Israël prend déjà des mesures de rétorsion. Le cabinet de sécurité des neuf
ministres a décidé le 30 novembre d'autoriser la construction de 3.000 nouveaux
logements et de poursuivre la planification de 1.000 autres unités à Jérusalem
et en Cisjordanie. Si le cycle menaces-représailles n’est pas stoppé, les
extrémistes exploiteront au profit de la guerre les aigreurs accumulées pendant
65 ans.
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