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samedi 22 décembre 2012

LES RELIGIEUX ISRAÉLIENS VERS UN RENOUVEAU POLITIQUE


 
LES RELIGIEUX ISRAÉLIENS VERS UN RENOUVEAU POLITIQUE
 
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
 

Les religieux orthodoxes juifs n’ont pas tenu compte de ce qu’ils croyaient être une péripétie politique interne à un petit parti israélien alors qu’il s’agissait en fait d’un véritable tremblement de terre qui affectera certainement la politique du prochain gouvernement israélien. Ils n’ont pas compris qu’un incident qualifié de mineur, deux années auparavant, était révélateur de lignes qui bougent dans la mouvance religieuse. 






Véritable défi
 
 
Rabbin Haïm Amsallem

Un membre éminent du parti Shass s’était alors rebiffé devant le comportement de son leader charismatique, un vrai «ayatollah» trop vieux pour insuffler un élan nouveau et salvateur à une formation qui, installée dans un conservatisme stérile et anachronique, risquait de s’étioler. Toute une idéologie était remise en cause devant le danger de débordement de la part d’éléments interprétant les textes avec restriction. Il s'agissait en fait d'un avertissement qui n'a pas été entendu.
Le député et rabbin Haïm Amsallem, avait osé défier le Conseil des Sages dominé par Ovadia Yossef, décideur et leader spirituel du parti. Il avait conseillé aux jeunes de cesser d’étudier la Torah à plein temps en vivant d’aumône mais de s’engager dans la vie active en pratiquant un travail rémunéré, parallèlement à l’analyse des textes sacrés. Il s’élevait implicitement contre ses dirigeants qui n’offraient aux jeunes que la pauvreté comme avenir et qui ne leur permettaient pas de côtoyer la civilisation laïque. Il avait aussi réclamé plus de nationalisme en reconnaissant l’idéologie sioniste, Tsahal et l’État d’Israël qui étaient rejetés par la direction religieuse. Haïm Amsallem avait pris un gros risque en quittant un parti qui lui assurait un avenir politique et financier mais il appuyait ainsi la preuve de son courage et de ses convictions. 
Il avait, par ailleurs, lancé un pavé dans la mare en estimant que les membres de son parti Shass, pourtant créé pour défendre la communauté sépharade constituée en majorité de défavorisés, se comportaient en vassaux des ashkénazes en mimant leur comportement anachronique. Il avait ainsi pris le risque de réveiller le fantôme du conflit intercommunautaire qui avait déchiré le pays dans les années 1960-1970. En fait il avait senti, le premier, le risque de dichotomie entre la raison et la passion, entre la population israélienne et les fanatiques religieux de plus en plus actifs.
 
 
 

A l’origine de la création de l’État d’Israël

Les religieux avaient toujours bénéficié d’une grande indulgence de la part des dirigeants juifs et ont été choyés dans la vie politique en Israël, depuis la création du pays, parce qu’ils ont toujours été intégrés aux coalitions au pouvoir. Le rabbin Amsallem était persuadé de pouvoir agréger autour de lui un courant réformiste qui ferait bouger les frontières politiques afin de mêler les religieux au monde moderne et actif. Il avait reçu de nombreux soutiens de laïcs qui louaient son courage et qui approuvaient sa démarche tendant à offrir une autre vision positive de la religion.
Ce réveil identitaire, salutaire, n’avait pas été perçu de manière positive par les partis religieux qui ont préféré la scission. L’histoire de ces partis prouve que le judaïsme religieux est loin d’être monolithique et que les guerres entre factions n’ont jamais connu de répit. Les conflits conceptuels, fondés souvent sur des problèmes de personnes plutôt que de dogme, ont laminé les partis politiques religieux historiques. L’origine de ces partis explique leur évolution et l’impasse dans laquelle ils semblent engagés au point de ne pouvoir survivre que par une surenchère générale.
A l’origine, le parti Mizrahi, créé en 1902 en Lituanie, était la branche principale du sionisme religieux qui défendait l'idée d'un État juif fondé sur les principes du judaïsme orthodoxe. Son influence était moindre à l’époque pionnière qui faisait la part belle aux sionistes en majorité laïcs de gauche, issus des organisations révolutionnaires et communistes des pays de l’Est, qui dominaient l’Organisation sioniste mondiale. Pour ne pas être en reste, une branche ouvrière, l’Hapoel Hamizrahi, avait été constituée pour donner une image sioniste à un mouvement qui défendait la pratique religieuse mais aussi le progrès social. Les premiers kibboutzim firent leur apparition autour d’un concept laïc et athée, paradoxalement en opposition avec l’aspect religieux. La fusion en 1956 de ces deux partis donna naissance au Mafdal ou parti national religieux (PNR). 

Le Parti National Religieux
Gouvernement de 1952 avec Yosef Burg du parti religieux

Le PNR, avant et après l’indépendance, a toujours été l’allié privilégié des socialistes du Mapaï puis des travaillistes au sein des différentes coalitions gouvernementales. Il prônait paradoxalement un réalisme incarné par une politique de modération à l’opposé de celle du premier ministre Ben Gourion, partisan de la manière forte et réputé pour son intransigeance. Parce qu’ils cherchaient avant tout le consensus, les religieux du PNR, visant la voie de la modernité, s’étaient séparés des ultra-orthodoxes qu’ils trouvaient trop conservateurs dans leur look et dans leurs idées. Ces derniers, les Harédim, étaient fortement inquiets de l’influence des laïcs dans les rouages de l’État et ils doutaient de la capacité du PNR à s’opposer à la mise à l’écart de la religion.
La Guerre des Six-Jours devait changer les rapports de force puisque le sionisme religieux se scinda en plusieurs tendances avec l’émergence d’un groupe des jeunes rebelles. Tous les partis israéliens, à l’exception des partis arabes et de l’extrême gauche, considéraient que la Palestine entière était la propriété de droit du peuple juif et rêvaient de ce qu’ils appelaient «Eretz Israël» alors que la droite laïque de l’époque donnait aux territoires un intérêt sécuritaire uniquement.
Les religieux ont donc dû prendre position entre ces deux conceptions antagonistes. Fidèle à ses alliances puisqu’il partageait le pouvoir, le PNR calquera sa position sur celle du parti travailliste sans faire preuve d’originalité. Mais la jeune garde commença à piaffer d’impatience devant sa volonté de donner une signification religieuse à tous les évènements politiques. Les jeunes religieux insinuaient que la rédemption était proche et que la victoire de 1967 n’était pas due à Tsahal mais découlait de la volonté divine. Ils avaient donc pour mission de favoriser la venue du Messie en judaïsant toute la Terre Sainte. L’occupation des territoires devenait une obligation divine et non pas un choix politique ou sécuritaire. Ils bousculèrent leurs ainés au PNR pour imposer l’installation de juifs dans toute la Cisjordanie.
 

La politique des implantations
 
Entrainement des enfants du Bloc de la Foi

           Les jeunes s’organisèrent en dehors des partis traditionnels et fondèrent, en 1974, le Bloc de la Foi (Goush Emounim). Ils décidèrent alors de coller au plus près des textes en s’éloignant de la modernité et en favorisant l’expansion de la natalité sur les nouvelles terres. Leur volonté de ne laisser aucun espace aux arabes les radicalisa et les éloigna de la gauche pour les rapprocher de l’aile droite du Likoud. Ils avaient peu de culture politique mais un objectif ambitieux de développer les implantations religieuses, souvent contre les ordres du gouvernement, et ils n’hésitèrent pas à créer des points de peuplement sauvages et illégaux.
       Le PNR avait perdu le contrôle de ses jeunes et, pour leur donner satisfaction, il rompit son alliance avec les travaillistes, aux élections de 1977, pour se rapprocher du Likoud. A la recherche de voix nouvelles, il abandonna ses positions habituellement modérées pour s’engouffrer dans l’option du «Grand Israël» en devenant le porte-parole des habitants des implantations. Mais il avait amorcé tardivement un virage qui n’empêchera pas son influence de décroitre.
Le Likoud, qui était en embuscade, avait manœuvré avec opportunité politique en s’intéressant tout à coup aux communautés sépharades défavorisées dont certains dirigeants reçurent des places qui ne leur avaient jamais été proposées par les travaillistes. La communauté sépharade représentait la moitié de la population juive d’Israël et restait très attachée à la pratique religieuse. Mais les dirigeants du PNR, exclusivement d’origine ashkénaze, ne s’ouvrirent pas à cette moitié de juifs qui ont alors orienté leurs voix vers le Likoud. Par leur vote contestataire, ils avaient décidé de s’élever contre l’absence de représentants orientaux dans l’appareil politique du PNR. Cette erreur fut fatale à ce parti.
Yishaï, Dhéry, Attias
 
Pourtant les juifs sépharades avaient tout fait pour gagner la confiance d’un parti qui les ignorait. Ils envoyèrent leurs enfants dans le système scolaire ultra-orthodoxe ashkénaze sans pour autant obtenir le droit d’avoir des candidats sépharades à des postes éligibles sur les listes du PNR. Devant ce refus, la jeune pousse décida de conduire sa propre liste en créant le Shass en 1984. Mais paradoxalement, cette création se fit sous l’égide d’un rabbin ashkénaze, le rabbin Shach, qui chercha ainsi à imposer ses directives à des débutants pour limiter les conséquences de cette scission. Il avait mis sous tutelle les jeunes fougueux séfarades

Inexpérience politique et désordre

Les jeunes dirigeants du Shass ont su ratisser large puisque des sépharades laïcs se sont joints au mouvement en donnant au parti un rôle charnière dans les coalitions. Mais ils n’avaient aucune expérience politique ni économique puisqu’ils sortaient des écoles talmudiques. Alors, ils s’attachèrent les services de rabbins, vieux et dépassés, dont les lacunes politiques les conduisirent à de grandes erreurs. Certains furent éclaboussés par des scandales qui entrainèrent l’incarcération de dirigeants victimes de scandales financiers. Ces jeunes volontaires et ambitieux n’ont pas su s’affranchir du poids de leurs ainés et se plièrent aux diktats du vieux rabbin Ovadia Yossef, qui donna au parti une image de marque décalée par ses déclarations controversées, tout azimut.
Naftali Bennett
 
Aujourd’hui le parti national religieux, Habayit Hayéhoudi, est entre les mains de l’étoile montante Naftali Bennett. Officier de réserve ayant fait partie des commandos d’élite, Sayaret Matkal, il s'était lancé avec succès dans le monde des affaires on créant une start-up revendue 245 millions de dollars en prouvant qu’il pouvait être religieux sans nécessité  d’étudier la Torah à plein temps. Il avait compris qu'il fallait quitter la tenue noire anachronique pour attirer à lui une jeunesse à la recherche d'un idéal alliant le sionisme historique avec les préceptes religieux. Un seul bémol cependant, le positionnement de Habayit Hayéhoudi à la droite du Likoud peut freiner les ardeurs des militants peu sensibles aux thèses extrêmes. 
Par leurs prises de positions iconoclastes, Naftali Bennett et le rabbin Amsallem se rapprochent en fait, malgré leurs idées orthodoxes d’origine, des nouveaux sionistes religieux, réfractaires aux traditions héritées des «shtétels», ces villages polonais. En portant la kippa tricotée, ils symbolisent une idéologie défendant la compatibilité entre vie religieuse et vie citoyenne moderne. Ils affichent surtout leur grande motivation de servir l'État et Tsahal car ils estiment, contrairement aux orthodoxes, que l’État est sacré. Ils l’ont prouvé puisque des jeunes conscrits religieux s’enrôlent à présent dans les unités combattantes et que de nombreux généraux arborent la kippa à l’instar de l’adjoint au chef d’État-major adjoint, le général Yaïr Naveh. En fait ils oeuvrent pour le renouveau politique de la religion au sein de l'État juif. 
 

Troisième parti d’Israël
 

Le Shass a raté le virage engagé par le PNR et c’est la leçon du clash du député Amsallem qui anticipait la perte par le Shass de ses troupes. D’ailleurs Habayit Hayéhoudi vient de prendre, au dernier sondage du 19 décembre, la place de troisième parti d’Israël en étant crédité de 12 sièges tandis que Haïm Amsallem entre à la Knesset avec deux ou trois députés alors que le Shass en perd deux. En ne canalisant pas les ultra-orthodoxes, qui pour certains condamnent l’existence même de l’État d’Israël mais qui obtiennent de plus en plus de prérogatives dans les décisions administratives civiles liées à la vie quotidienne, les autorités religieuses se sont coupées de la majorité de la population laïque du pays. La capacité de nuisance de cette catégorie d’orthodoxes n’a d’égale que leur volonté de régenter les aspects de la vie de tous les jours.
Candidats liste Bayit Yéhoudi
 
La mise à l’écart des femmes dénote l’exaspération de toute une population, religieux modérés compris. Aucune femme ne figure d’ailleurs dans les listes orthodoxes alors que le rabbin Amsallem en a placé une à la quatrième position dans sa liste et que Naftali Bennet a offert à deux femmes une place éligible. La mainmise d’une minorité n’est plus acceptée et sa lâcheté à s’attaquer aux plus faibles, les femmes, et aux plus fragiles, les enfants accusés d’indécence à cause de leurs tenues non conformes aux règles orthodoxes, n'est plus acceptable.
Candidats liste Am Shalem

Les nouveaux dirigeants religieux se sont inspirés de  l'étranger en côtoyant la nouvelle mouvance orthodoxe aux États-Unis, ouverte à la civilisation moderne sans renier les bases de la Halakha, la loi religieuse. Ils ont alors affirmé haut et fort leur opposition à ces dérives contestables et à une interprétation restrictive des textes sacrés. Le renouveau de la religion passe à présent par ces nouveaux chevaliers qui vont peut-être réussir à attirer à eux des laïcs attachés aux traditions qui ont permis à leurs parents de résister à l’assimilation durant l’exil. Les sondages confirment qu’ils ont été entendus.

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