Manifestation contre le projet vue d'un drone |
The Economist |
Qui sont les experts à la manœuvre derrière les
politiques ? Le gouvernement et ses relais reprennent – et pas seulement
sur ce dossier – des argumentaires écrits par le «Kohelet policy forum»,
think tank très marqué à droite et financé par des richissimes donateurs
américains (2). Meirav Arlosoroff (3) a évoqué une de leurs études, assénant la
conclusion suivante à propos des nominations des Juges siégeant dans les
Conseils Constitutionnels : «Sur 36 pays membres de l’OCDE, 31 donnent
le contrôle de leur sélection à des élus». C’est une conclusion biaisée,
dans la mesure où dans 24 de ces pays, le corps judiciaire – indépendant du
pouvoir politique dans les démocraties - a également un avis consultatif, et où
les majorités d’élus requises pour ce vote impliquent forcément l’accord de
l’opposition.
Mais prenons l’exemple des Etats-Unis, où la
Cour Suprême a des pouvoirs ressemblant à ceux de son homologue de Jérusalem (à
la fois contrôle de constitutionnalité et tribunal de dernière instance) :
les neuf membres sont désignés par le Président des Etats-Unis, mais il lui
faut l’accord de la majorité du Sénat. Les Juges sont nommés à vie. Le Président
et le Sénat ne sont pas forcément du même bord politique.
Voyons aussi ce qu’il en est en France : le Conseil Constitutionnel est composé de neuf membres, nommés par le Président de la République, le Président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale, renouvelables par tiers ; les échéances électorales rendent quasi impossible qu’ils soient tous du même bord politique. Rien à voir donc avec le projet de démolition proposée par l’équipe au pouvoir, qui permettrait à une majorité de circonstance et même étriquée de nommer ou de virer qui elle veut et quand elle le veut.
Mais l’argument du Kohelet est surtout une
soupe infâme où sont mélangés des choux, des carottes et des navets :
comment comparer sur un seul critère (la désignation par les élus), en oubliant
tout le reste ? La Cour Suprême est le seul garde-fou, dans un pays où
n’existent ni vraie constitution, ni déclaration des Droits de l’homme, ni une
deuxième chambre pour amender les lois votées, ni une structure fédérale pour
moduler les lois à travers le territoire. Les Professeurs Cohen, Luria et
Mordechai d’un autre think tank, celui-là libéral, «l’Israeli Democracy
Institute», ont fait une comparaison en profondeur des mêmes pays, pour
arriver à une conclusion diamétralement opposée : Israël était déjà, avant
la réforme programmée, un des États où les droits individuels étaient les
plus faibles.
Parlons maintenant du soi-disant «activisme
excessif» de la Cour Suprême israélienne, qui rendrait nécessaire de
l’émasculer. Et pour ce faire, comparons avec ce qu’il en est en France. En
Israël, Maître Shimi Kadosh, membre du barreau israélien, a rédigé un tableau
des principales fake news diffusées par les supporters du putsch juridique, que
l’on peut trouver sur la page du groupe Facebook «Démocratie en action»
(4). Il relève qu’en 75 ans d’existence, la Cour Suprême a abrogé seulement 22
lois ; et cela, alors même que chaque année des milliers de projets de
lois sont débattus dont 10% font l’objet d’une adoption après débat (5) :
autant dire que, même si elle le voulait, la Cour Suprême serait incapable
d’intervenir en amont et d’orienter les choix des politiques ! En fait, ce
ne sont pas les députés de la majorité ou de l’opposition qui viennent la
solliciter, mais potentiellement tout citoyen. Comme le rappelle Suzy Navot,
professeure de droit constitutionnel (6), «toute personne qui évoque la violation
de droits protégés par une des lois fondamentales portant sur les droits de l’homme
peut s’adresser à la Cour suprême, en sa qualité de Haute Cour de Justice, sous
la forme d’un recours direct». Ceci concerne, finalement, un nombre d’arrêts
très limité ; et qui n’ont pas eu de réel impact sur les politiques
suivies par les différents gouvernements, alors que le pays a connu des
épisodes dramatiques (terrorisme, épisodes de vraie guerre), et que ses
gouvernants ont souvent été jugés sévèrement à l’étranger pour leurs mesures
sécuritaires.
En France par comparaison, le Conseil
Constitutionnel (7) se prononce sur la conformité à la Constitution des lois et
de certains règlements, et il le fait à partir d’un référentiel beaucoup plus
solide et complet que celui de la Cour Suprême d’Israël. Sa composition lui
garantit une certaine indépendance, comme on l’a vu. Il est consulté
obligatoirement pour les nouvelles lois organiques (changement de la
Constitution ou de l’organisation des pouvoirs administratifs), mais il peut
l’être aussi avant le vote de lois simples : sur saisine du président de
la République, du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du
Sénat, mais aussi de 60 députés ou de 60 sénateurs. Mais de plus et depuis
2008, il peut, pour des lois déjà promulguées, faire l’objet d’une «question
prioritaire de constitutionnalité» (QPC) ; celles-ci font l’objet de
bilans précis, publiés en toute transparence (8) et qui montrent qu’un pourcentage
non négligeable de lois font l’objet de censure partielle ou totale ;
bilan qui fait apparaitre comme bien modeste l’activisme supposé de la Cour
israélienne.
Irwin Kotler |
Évoquons maintenant la fameuse «Clause
dérogatoire» qui permettrait à la Knesset par une seule voix de majorité
(61 sur 120) de s’affranchir du rejet d’une Loi par la Cour Suprême : elle
fait partie du package présenté par le duo infernal Levin-Rothman ; et
d’après les derniers sondages, ce projet particulièrement liberticide divise
l’électorat du Likoud, mais a le soutien enthousiaste de l’électorat des partis
ultra-orthodoxes. Dans une interview sur CNN, Benjamin Netanyahou a eu le culot
de dire que cette clause existait dans une grande démocratie comme le
Canada ; et il s’est fait immédiatement recadrer par Irwin Cotler, ancien ministre
canadien de la Justice et Procureur Général. Extrait de son interview dans le Times
of Israël (9) : «Notre clause dérogatoire ne peut être utilisée pour
violer un groupe de droits fondamentaux définis dans la Charte canadienne des
droits et libertés, notamment les droits démocratiques, les droits à l’égalité
des sexes, le droit de quitter le pays et d’y entrer, ainsi que les droits
linguistiques et éducatifs des minorités, entre autres. En Israël, rien ne serait
protégé par la loi proposée». Et, a-t-il poursuivi, «le changement proposé
au processus de sélection des juges est très troublant car il politise le
processus et donne le plein contrôle à l’exécutif et le plein contrôle de la
nomination des membres de la commission au parti majoritaire et au
gouvernement».
Pour finir cette mise au point, peut-être
austère - mais indispensable car il faut avoir les idées claires alors que c’est
la démocratie israélienne qui peut mourir ; deux points. Tout d’abord
il y a un autre volet du projet liberticide pudiquement nommé réforme
judiciaire, qui remet en cause la nomination et le rôle des conseillers
juridiques du gouvernement (10). Actuellement, les conseillers des ministres
sont placés sous les auspices de la Procureure Générale de manière à préserver
leur indépendance face aux influences politiques, et les avis qu’ils émettent
ont un caractère contraignant pour les ministères. Personnes qualifiées par
leur connaissance de la jurisprudence existante, ils rappellent le cadre
juridique dans lequel, dans un pays civilisé où existe un État de Droit, toute
action gouvernementale devrait se situer ; en effet, toute loi a des
répercussions multiples (administratives, financières, juridiques ou autres)
qui doivent être évaluées en amont d’un vote au Parlement : le
gouvernement se propose de les réduire à des simples conseillers d’avis
purement consultatif, que les ministres peuvent recruter dans le privé et donc
à leur merci. En France, par comparaison, le Conseil d’État qui réunit des
centaines de conseillers, eux-mêmes fonctionnaires et souvent énarques, évalue
tous les projets de lois avant qu’ils ne soient soumis au Conseil des Ministres
et aillent ensuite à l’Assemblée. Et l’ancienneté des conseillers non nommés «pour
leur bonne figure» garantit en principe leur impartialité.
Prof Suzie Navot |
Enfin, ayons une dernière pensée pour le slogan
creux et démagogique de rendre le pouvoir au peuple et qui consisterait avec
cette série de projets de modifications des lois, d’attribuer un pouvoir sans
limite à une coalition de circonstance ayant gagné même de justesse une majorité
à la Knesset. Une majorité peut, l’Histoire nous l’a montré, assassiner une démocratie :
ainsi le Reichstadt après la victoire nazie de 1933 ; ou les Assemblées –
députés et sénateurs réunis à Vichy – votant les pleins pouvoirs au Maréchal
Pétain en 1940.
Mais gouverner ce n’est pas simplement donner
un pouvoir absolu aux uns après une victoire électorale. Donnons à nouveau la
parole à Suzie Navot, qui s’exprimait dans le Times of Israël du 14
novembre 2022 : «La démocratie, c’est la gouvernance du peuple. Elle s’exprime
par la règle de la majorité mais si on parle du peuple, cela signifie bien le
peuple dans son intégralité, et à partir de là, les minorités doivent être
protégées en permanence, pas seulement tous les quatre ans. Les élections déterminent
qui va gouverner, quelles sont les politiques qui vont être mises en place,
mais elles ne prévoient pas d’abandonner la protection constante des minorités
parce que le peuple serait souverain. Personne n’a le droit de nier les droits
des minorités dans ce contexte».
(1) https://benillouche.blogspot.com/2023/02/la-nomination-des-juges-en-israel-par.html
(4) https://www.facebook.com/groups/305153000657458/user/100068142817037/
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_constitutionnel_(France)
(8) https://www.conseil-constitutionnel.fr/bilan-statistique
8 commentaires:
Monsieur, je ne suis ni juriste ni journaliste ni Israélien, donc je ne me permettrai jamais de commenter publiquement ou de juger les différents gouvernements Israéliens.
il m'import tout de même de vous demander de préciser vos affirmations.
Comment sont nommer les juges de la Cour Supreme, si ils sont nommés par des élus du peuple effectivement il faudrait que le gouvernement actuel révise sa copie.
Si cela n'était pas le cas il faut par contre revoir comment prévoir et réfléchir comment demain organisé leur nomination.
En tant que démocrate je ne souhaiterai pas demain vivre dans un pays gouverné par des juges. D'autant plus qu'il n'y a aucune loi prévue pour éventuellement demain les condamner suite à de fâcheuses décisions. Soyez svp plus mesuré dans vos propos.
Cordialement
Cher Monsieur, merci pour votre commentaire.
Concernant le système actuel de nomination des juges - de TOUS les juges, j'insiste et pas seulement de la Cour Suprême -, le gouvernement et des députés y participent. J'avais rappelé cela dans mon article précédent, dont la référence est en (1). Concernant la problématique, elle est simple : si un pouvoir impose sa présence majoritaire dans une instance de nomination des juges, alors la Justice n'est pas indépendante. J'ai évoqué dans cette première référence la nomination des juges en France, avec le rôle prépondérant du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Concernant maintenant le pays "qui serait gouverné par les juges" (sous entendu de la Cour Suprême) avez vous bien lu cet article ? Les arrêts cassant une loi ont été une infime minorité, et par rapport aux lois votées, et comparativement à la France par exemple : à chaque fois je donne des références.
Où étaient ces manifestants lors des dernières élections? l'influence politique adapte ses méthodes de pression, rien ne change sur le terrain
<il est à noter dans vos différents articles que vous oubliez que
1) meme si je suis de gauche et israélien , une petite réforme judiciaire était à faire
2) au sujet de la nomination des juges, vous oubliez qu'en France un juge est un ancien élève d el'ENM et est innavovible et le procureur sort de la meme école
3) je pense qu'il y a assez de bons juristes en Israël pour donner leur avis sur cette réforme. Qu'on soit pur ou contre cette dernière .4) il est assez difficile de discuter de cette réforme si vous avez lu les textes via une traduction, en effet la langue hébraïque a des subtilités qu'un non hébraïsant aura du mal à comprendre
Merci pour votre commentaire.
Plusieurs choses :
- bien sûr des réformes sont à faire, là-bas comme chez nous et en permanence ! Mais le mouvement général dans les pays développés, c'est plutôt plus de respect des minorités, plus de prise en compte des nouveaux enjeux (par exemple, l'environnement) : je ne suis pas du tout seul à considérer que TOUT ce qui est proposé va dans le sens de la destruction de tous les contre pouvoirs.
- bien sûr que l'on peut changer des choses à la Cour Suprême, par exemple séparer les fonctions de tribunal de dernier recours et de gardien de la "constitution'. Encore faut-il qu'il y ait une vraie constitution, comme le rappelle le Président Herzog : avez-vous entendu la coalition dire que c'était son intention ? Certainement pas, car le projet stratégique des partis ultra-orthodoxes est de transformer la nature de l'Etat en faisant de la Torah la référence suprême. Ils ont bloqué l'écriture d'une constitution depuis 1948, et maintenant qu'ils partagent en force le pouvoir cela ira de pire en pire.
- juges et procureurs sortent de la même école, et alors, quel rapport avec l'indépendance ? J'ai travaillé comme ingénieur dans le nucléaire où il y avait des "jeux de rôle" entre notre agence (l'Andra), l'Autorité de Sûreté Nucléaire, EDF etc. J'ai croisé des anciens de la même grande école que moi, des X se retrouvent partout dans les directions et cela ne nuit pas aux responsabilités prises par chacun.
- enfin, oui je connais de ces projets de réforme que les traductions données par les éditions anglophones de la presse israéliens. Mais des millions d'Israéliens comprennent l'hébreu, et ils manifestent en force comme vous le savez.
Comme je vous l ai dit je suis israélien et gauche peut être même plus extrême que vous puissiez le penser
Mon travail m à amené à travailler avec les juridictions françaises et israéliennes
Vous ne pouvez comparer outre travail avec celui des magistrats en France car les juges deviennent procureurs et vice versa
Je le bats depuis des années contr la droite de mon pays et je sais que des dizaines de milliers de personnes sont dans la rue et non des millions
J'ai quand même du mal à comprendre pourquoi cette réforme est importante pour vous
En quoi elle vous concerne
J'ai lu que vous êtes et bravo à cous pour une plus grande démocratie en israel
Démocratie qui a mon avis ne peut revenir qu'avec la gauche
Pourquoi lorsque votre député s'est moque de l'accent de Yael German vous êtes resté silencieux?
La démocratie ne se combat pas à distance cher monsieur et pas seulement quand c'est la.mode
@anonyme
Sans être un fin lettré de la langue hébraïque il suffit de savoir lire les chiffres pour s’apercevoir des dégâts causés par cette réforme.
En Israël le « capital-risque » est engagé par de nombreux investisseurs qui transfèrent leurs fonds. D’importantes Sociétés, notamment celles de la high-tech, délocalisent, leurs clients ayant de moins en moins confiance en un pays à la politique instable. Hors l’instabilité ne fait pas bon ménage avec l’économie.
De surcroît l’inflation a atteint 5,2 % en janvier, le taux directeur a été remonté à 4,25%, le shekel vaut 3,89 par rapport à l’euro ce matin.
De quoi s’inquiéter pour l’avenir.
Ps: je lis avec consternation votre dernier commentaire. A ce jour il n’y a pas encore de censure sur les controverses affichées par tel ou tel. Monsieur Corcos a le droit d’exprimer une analyse contredisant peut-être la vôtre, mais chacun sur ce blog, et c’est son mérite, peut émettre son point de vue, qu’il soit israélien ou pas.
Vous posez la question à savoir pourquoi l’auteur de l’article est concerné par la politique actuelle puisqu’il vit en France . De mon point de vue toute la diaspora est concernée par la démocratie israélienne parce qu’elle rejaillit sur elle. Elle reste tributaire de ce pays auquel le monde la rattache.
Pour moi, il n'y a pas de reforme, mais une prise de pouvoir absolu qui touchera (en fait, elle touche deja) l'ensemble des citoyens israeliens. En une journee j'ai perdu 5% de mes economies, et cela ne s'arretera que lorsque toutes mes economies seront balayees!
Cette "reforme" donne, n fait, le pouvoir absolu a l'Executif, car en fait celui-ci est le reflet de la coalition parlementaire. Les lois, etant initiees, par l'Executif, ne seront que confirmees par le Legislatif, et ne pourront etre "reportees" que par un Pouvor Juddiciaire nomme par l'Executif.
Pour illustrer l'avantage de cette reforme a un sseul personnage, le chefdu gouvernement, qui devient, en fait, le seul decideur de toute la vie des citoyens d'Israel, sans aucun contre-poid. Ainsi, il pourra, apres la traduction de ce ccommentaire du fancais a l'hebreu me faire pendre ou fusillier selon le choix d'un de ses fonctionnaires. Il pourra aussi reporter la date des prochaines election ad aeternam, afin de preparer ses fils a lui succeder le temps voulu.
En fait le contre-pouvoir ne reside que dans la volonte des partis de la coalition gouvernementale de continuer a travailler ensemble, mais je fais confiance a l'Executif pour trouver un subterfuge pour empecher la cute de la coalition au pouvoir.
Enregistrer un commentaire