LE PROJET JUDICIAIRE RAVIVE LA DIVISION ENTRE ORIENTAUX
DÉFAVORISÉS ET ÉLITE ASHKÉNAZE
Par Jacques BENILLOUCHE
David Amsalem |
Il est évident qu’il ne
visait pas les populations défavorisées séfarades mais il s’agit du signe
terrible du réveil de la division profonde dans le pays. La Droite a toujours
choisi la stratégie de diviser pour régner depuis la victoire de Menahem Begin
en 1977 qui avait tout fait pour neutraliser le monopole travailliste à tous
les niveaux de l’État. Dans cet affrontement droite-gauche, Begin portait la
voix des classes populaires et symbolisait la revanche des Orientaux et en
particulier celle des originaires du Maroc. Il avait organisé un séisme
politique qui avait conduit à une division entre Libéraux et Conservateurs,
entre religieux et laïcs. Netanyahou a repris le flambeau en opposant Juifs et
Arabes israéliens, entre Juifs religieux et non-croyants et en faisant voter la
loi sur l’État nation.
Fondateur du Shass |
Sous couvert de défense du
caractère juif de l’État, il s’agissait d’une attaque contre la gauche
ashkénaze, libérale et laïque, indifférente aux traditions prisées par les
électeurs de droite, voire méprisante, face aux «embrasseurs de mezouzah».
C’est pourquoi les soutiens de Netanyahou se définissent comme appartenant au «bloc
des croyants» par opposition aux mauvais Juifs qui ne méritent pas de
décider du sort d’Israël. Durant les élections du 1er novembre 2022, les
orthodoxes séfarades du Shass ont exploité à leur profit la dichotomie entre populations de la périphérie et
membres de la startup nation. David Amsalem, l’aboyeur du Likoud, s’était
distingué en qualifiant la coalition sortante Lapid-Bennett de «gouvernement
d’ashkénazes Tzfon Bonim (résidents des beaux quartiers du nord de Tel-Aviv)».
Le comble provient du fait que le Likoud est dirigé en majorité par des ashkénazes
ce qui avait poussé la ministre Miri Regev, d’origine marocaine, à s’élever
contre cette réalité : «Si les membres du Likoud continuent d’élire des
leaders avec un ADN blanc, un autre Likoud émergera, un vrai Likoud mizrahi,
qui exprimera la voix mizrahi exclue pendant toutes ces années». Il est
vrai que sa réaction a été tardive car durant plusieurs années, elle a été le
soutien inconditionnel de l’ashkénaze Netanyahou.
Miri Regev |
On se perd en conjectures
sur le retour des vieux stéréotypes identitaires qui serait axé sur la haine
qui unit, poussant la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, à assurer qu’il
n’y a pas de «racisme institutionnel» en Israël. Toujours est-il que le
Bureau Central des Statistiques vient de décider la réintroduction des
statistiques ethniques en termes d’Ashkénazes ou d’Orientaux. Cela représente
ainsi la vraie menace pour Israël qui ne vient pas de l’extérieur, mais de ses
divisions internes.
Cela se traduit par les
propos d’Amsalem qui enfonce le clou : «Vous êtes prêts à nous
donner des diplômes et même des voitures, mais pas à nous permettre de
gouverner. Vous ne nous avez jamais accordé cela : pas dans les forces de
sécurité, pas dans le système judiciaire, pas dans le milieu universitaire, pas
dans la culture, et certainement pas à la Cour suprême et au parquet. Et au
Service des prisons, savez-vous qui sont les gardiens ? Des Marocains et des
Druzes».
L’exemple est venu depuis
longtemps d’en haut. David ben Gourion n’avait pas hésité à fustiger les
Orientaux : «Ces Juifs du Maroc n'avaient aucune éducation. Leurs
coutumes sont celles des Arabes. Le Juif marocain a beaucoup appris des Arabes
marocains. La culture du Maroc, je ne voudrais pas l'avoir ici. Nous ne voulons pas
que les Israéliens deviennent arabes. Nous avons le devoir de lutter contre l'esprit
du Levant, qui corrompt les individus et les sociétés, et de préserver les
valeurs juives authentiques telles qu'elles se sont cristallisées dans la
diaspora européenne». Il avait donné ordre d’entasser les Juifs orientaux, à leur arrivée
en Israël, dans des camps de transit dans des zones reculées, loin de toute
civilisation, tandis que les ashkénazes bénéficiaient de maisons récupérées
chez les Palestiniens. Cela ne s’est pas fait sans heurt avec des pénuries
alimentaires et des mauvaises conditions de soins médicaux pour ceux qui
étaient considérés comme de la main d’œuvre à bon marché dans des villes de
développement où les lycées n’étaient volontairement pas construits pour éviter
l’ascension sociale. Il ne fallait qu’offrir des emplois subalternes non
qualifiés à tous ces nouveaux venus. Ce fut en particulier l’histoire de la
ville de Yérouham dans le désert du Néguev qui a été bien racontée par l’un de
ses habitants.
Manifestation des blacks Panthers en 1971 |
Les Orientaux ne sont
jamais restés passifs. Ils ont manifesté en 1949 à Ashkelon en même temps que
les habitants de Ramleh devant la Knesset et à l’intérieur de l’Agence Juive à
Haïfa, pour exiger «du pain et du travail» car ils étaient installés
dans des villes de développement et dans les mochavim pauvres. Ceux qui
décidaient de quitter, de leur plein gré, les villages qu’on leur avait imposés
se retrouvaient dans des bidonvilles autour des grandes villes qui trouvaient
ainsi une main d’œuvre et des femmes domestiques à bon marché. Le
premier soulèvement juif marocain a eu lieu en 1959 dans le quartier pauvre de
Wadi al-Salib à Haïfa, dont la population palestinienne avait été remplacée par
des Juifs marocains qui se sont trouvés à l'avant-garde du deuxième et plus
important mouvement des Black Panthers israéliens, qui dominèrent la scène
israélienne de 1970 à 1973. En mai 1971, lors d'une de leurs plus grandes
manifestations, 260 partisans des Black Panthers furent arrêtés par la police.
D'autres manifestations ont suivi en janvier et mai 1972 alors que le chef de
la police de l’époque, Shlomo Hillel, d’origine irakienne, avait été qualifié
de «collaborateur noir».
Begin élections 1977 |
Ces grandes vagues de
protestation ont été à l’origine de la défaite des Travaillistes en 1977. Malgré la discrimination permanente, les
Juifs orientaux ont voté en majorité pour le camp sioniste israélien et ont
favorisé la création d’implantations en Cisjordanie. D’ailleurs David Amsalem
habite Maalé Adumim dans les territoires. Les écarts de revenus, de richesse,
d'éducation et de santé entre les Ashkénazes et les Orientaux n'ont fait
qu'augmenter au cours des dernières décennies. D’ailleurs de nombreux Israéliens
n’hésitent pas à qualifier le levée des boucliers des startups israéliennes contre
la réforme judiciaire comme le combat de l’élite ashkénaze riche, qui défend
ses intérêts financiers, contre le peuple séfarade inféodé au pouvoir. Ils s’appuient en effet sur le fait que les
grandes manifestations du samedi ne sont pas l’œuvre essentielle de la Gauche
mais aussi de dirigeants économiques qui veulent protéger leurs privilèges.
2 commentaires:
Il y a un cchiffre terrible qui illustre bien cet article: 11%! 11% des jeunes israeliens proviennent de mariages "mixtes" entre ashkenazes et sefarades.
Je suis ashkenaze marie a une femme d'origine marocaine. Dans la famille de ma femme, une de ses 3 soeurs est elle aussi mariee a un ashkenaze.
Dans ma jeunesse, je militais dans le mouvement "Hanoar Hatzioni" qui preconisait de suivre l'appel de Ben Gourion au sujet de melange des origines. Les 3 derniers membres de ce mouvement en France qui ont fait leur aliya ont suivi ce propos. Une askenaze est mariee a un Yemenite, un askenaze avec une egyptienne, et moi avec une marocaine.
Mais les mariages restent dans les communautes: Les Tunisiens se marieront avec des Tunisiens, les Irakens ave des Irakiens ou des Marocains, les Yemenites entre eux ou au moins avec les Irakiens, les vrais sepharades (locuteurs du ladino) se marient avec des locuteurs du ladino, bref on continue presque inconsciemment a vouloir rester dans un environnement connu et confortable. Meme chez les ultra-orthodoxes, un(e) askenaze ne se mariera jamais avec un(e) sefarade. D'ailleurs, chez les ultra-orthodoxes, la discrimnation remonte depuis le jardin d'enfants.
Ma famille de Turquie a fait son alyah en 48. Pour eux pas de maison en dur mais des tentes en guise de logement. Mon oncle était terrassier. A 40 ans il en paraissait 70, usé comme tant d’autres à l’époque par les travaux harassants.
Ce qui le maintenait c’était sa croyance naïve en Dieu, maître absolu de son destin. Il ne demandait rien, se contentant de presque rien.
Oui il y avait une discrimination notoire entre orientaux et ashkénazes en Israël, personne ne peux le nier et cet article met bien en évidence cette différence de traitement que l’on observe encore aujourd’hui. Le racisme et l’exclusion n’existent pas qu’ailleurs.
Merci à l’auteur de le rappeler.
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