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lundi 6 mars 2023

Israël et la peine de mort

  


ISRAËL ET LA PEINE DE MORT


Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

        

Les frères Hillel et Yigal Yaniv

        Le projet de loi sur la peine de mort pour les terroristes a été approuvé par le cabinet israélien. Le sujet de la peine de mort revient sur le tapis lors de l'assassinat d’un Israélien, d’un adolescent à fortiori. C’est en effet le cas de Hillel Yaniv et Yagel Yaniv, les deux frères qui ont été tués lors d'une fusillade terroriste dans la ville arabe de Huwara. À chaque fois qu’un terroriste ne tombe pas sous les balles de la police ou de l’armée et qu'il en réchappe, on aborde en Israël la question du châtiment suprême. 


Meir Tobiansky


         Le débat vient encore de s’ouvrir avec la demande des dirigeants de la Droite nationale de réclamer la peine de mort pour les terroristes. Certains vont jusqu’à se poser la question pourquoi on laisse en vie des assassins durant les opérations de Tsahal. Mais l’éthique de Tsahal exige qu’un homme désarmé, ou ayant levé les bras en signe de reddition, ne peut être abattu de sang-froid. C’est l’honneur d’une armée populaire que de se comporter avec humanité et non en bête assoiffée de sang. De toute façon, la justice passe toujours et les terroristes en réchappent peu.    

          Israël a aboli en 1954 la peine de mort qui ne peut plus s’appliquer que dans le cadre d’un «génocide, de crime contre l’humanité, de crime de masse, de trahison ou de crime contre le peuple juif». Le terrorisme est donc en principe exclu. Depuis la création de l’État, elle n’a été appliquée qu’une seule fois contre le criminel nazi Adolf Eichmann, exécuté à Jérusalem le 31 mai 1962. Mais, avant la création de l'État, Israël garde en mémoire l’erreur judiciaire en la personne de Meir Tobiansky dont le cas fut le plus grave et le plus scandaleux puisqu’il a été soupçonné à tort de trahison. Il avait subi le feu d’un peloton d'exécution après un procès bâclé, pendant la guerre d’Indépendance en 1948. Il a fallu plusieurs années pour que son innocence soit reconnue et son nom réhabilité.



          L’État juif adopte ainsi une position ambivalente alors que les considérations sécuritaires sont fondamentales dans le pays. Israël a confirmé sa position en votant pour la résolution de l’ONU du 18 décembre 2008, impliquant un moratoire mondial sur les exécutions. Mais les pays étrangers refusent de placer Israël parmi les pays abolitionnistes puisqu’il existe encore, dans la loi israélienne, des cas d’application de la peine de mort.

            Les nationalistes israéliens veulent d’ailleurs s’appuyer sur les cas précis soulevés pour exiger la peine de mort pour les terroristes. Ils n’ont pas besoin d’un nouveau texte législatif puisque l’interprétation est libre. Ils évitent cependant d’analyser les raisons de la loi de 1954, fondée sur la violence insensée et sur les crimes en rapport avec la Shoah. Mettre sur un même pied d’égalité les crimes de droit commun, voire la violence terroriste, risque en effet de banaliser les crimes nazis pour lesquels la loi a été votée. Il existe des niveaux de responsabilité qui ne peuvent pas être comparés.

          Il ne semble pas que la classe politique israélienne dans sa majorité soit en faveur de la peine de mort et on soupçonne sa réticence. L’assemblée plénière de la Knesset du 17 juin 2015 avait rejeté en lecture préliminaire une proposition de loi qui instituait la peine de mort pour les terroristes condamnés. Ce texte aurait rendu plus facile aux tribunaux militaires et aux districts de condamner à mort les personnes reconnues coupables d’assassinat avec des motifs nationalistes. Une grande majorité de la Knesset s’est opposée à ce projet puisque seuls 6 députés ont voté en sa faveur alors que 94 autres, présents, ont voté contre.

Maimonide


            Israël n’a pas choisi la voie abolitionniste pour des raisons juridiques mais par tradition et sur la base d’une interprétation religieuse. Il est vrai que la loi religieuse reconnaît la peine de mort comme une punition juste et indispensable mais il s’avère à l’usage que l’application de la loi dans le cadre religieux est limitative. Selon la tradition rabbinique, Maïmonide au 12ème siècle avait écrit : «il est préférable d’acquitter mille personnes coupables que de mettre un innocent à mort». C’est pourquoi les règles religieuses sont très strictes ; deux personnes au moins doivent témoigner du meurtre ; les proches de la victime sont exclus des témoins admissibles ; enfin les témoins doivent avoir prévenu l’auteur du crime de leur responsabilité et de la possibilité d’exécution. Maimonide craignait que la mort relève uniquement du «caprice des juges».

            Ainsi, le rabbin Yossef Edelstein de l'Université George Washington, a exprimé son opinion : «théoriquement, la Torah peut être interprétée comme étant en faveur de la peine de mort. Il n’est pas moralement impossible de mettre quelqu’un à mort. Cependant, les perspectives changent quand on s’intéresse à la mise en pratique d’une législation qui semble dure. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est difficile en pratique d’exécuter un être humain dans la société juive. Je crois qu’à la lumière de la jurisprudence juive, la peine capitale telle qu’elle est présentée dans la Torah et appliquée par les plus grands Sages de notre religion, symboles même d’humilité et d’humanité, ne ressemble en rien à celle qui est mise en œuvre de nos jours en Amérique. Elle fut pratiquée en Israël ancienne une fois tous les sept ans, et non 135 fois en cinq ans et demi».

Yossef Edelstein de l'Université George Washington 


            On en déduit que la tradition rabbinique confirme les positions abolitionnistes de l’État juif et de la diaspora juive. Les termes de la loi de 1954 sur la peine capitale reflètent en fait l’héritage de ces coutumes.

            Si Israël voulait recourir à la peine de mort, la tradition juive et la loi de 1954 ne seraient pas un obstacle car seules les considérations sécuritaires priment sur les considérations morales. En effet, comme dans toutes les lois, on peut interpréter à sa façon les textes et les expressions «crime contre le peuple juif» et «trahison» qui couvrent tous les horizons du terrorisme.  Il est vrai que face au développement des actes terroristes sanglants contre des femmes et des enfants, les appels pour le rétablissement de la peine de mort se multiplient car certains sont convaincus que l’échafaud pourrait avoir un effet dissuasif. Mais cela est valable pour des personnes raisonnables, normalement constituées, et non pour des candidats au suicide, souvent intoxiqués ou drogués. Les jeunes terroristes savent qu’avec Israël, la mort est certaine au bout du chemin, à de rares exceptions près, et pourtant la mort n’est pas dissuasive pour les empêcher d'agir. Ils sont peu nombreux à échapper à la mort après leur méfait. Donc la loi aurait une application limitée, quelques unités par an. Par ailleurs, on ne peut critiquer l'Iran pour ses mises à mort et se comporter comme ce pays barbare. Les pendaisons sont spécifiques aux dictateurs ou aux dirigeants faibles.

            En revanche, les services israéliens de sécurité intérieure (Shabak) sont intéressés à capturer un assassin vivant car ils peuvent alors obtenir de précieuses informations sur le réseau, le commanditaire, les caches d’armes et les attentats planifiés. En le laissant en vie, la récolte d'informations peut sauver de nouvelles vies. La théorie du loup solitaire est surfaite ; les terroristes sont guidés par des gourous et c’est eux qu’il faut rechercher et même éliminer. La mort pour un assassin pourrait paraître un soulagement alors que trente ou quarante ans de prison risquent d’être un calvaire physique et psychologique. Par ailleurs, Israël ne peut pas ignorer la levée de boucliers prévisible des nations «libres» contre des méthodes de mise à mort d’un autre temps. Israël est suffisamment pointé du doigt dans le monde pour donner une autre raison d’être voué aux gémonies. Il ne veut pas non plus créer des martyrs qui prendraient la place de héros dans la mythologie palestinienne.  

5 commentaires:

Véronique ALLOUCHE a dit…

« Jamais, nulle part, la peine de mort n’a fait reculer la criminalité sanglante. Pire encore, s’agissant du terrorisme, ce fléau de notre temps, la peine de mort transformerait le terroriste en martyr, en héros aux yeux de ses partisans. Et après chaque exécution, un commando de fanatiques se lèverait pour le venger en commentant de nouveaux attentats ». Robert BADINTER
À méditer….

Georges Kabi a dit…

Dans la tradition juive, il est ecrit qu'un Sanhedrin qui a fait executer un homme est un Sanhedrin odieux.
Mais foin dde la tradition juive. Lors de l'affaire du bus no.300, deux terroristes furent photographies vivant. Dans le communique de presse, il fut ecrit qu'aucun terroriste ne resta en vie. En fin de compte il s'avera que l'un des chefs du Shabak etrangla de ses propres mains ces vilains. Et ce chef fut elu depute sur la liste du Likoud alors que son frere siegeait a la Knesset dans le Parti Travailliste.
Ceux qui reclament la peine de mort ne sont pas des politiciens, mais des fous furieux et leur place n'est pas au gouvernement mais dans un asile psychiatrique.

Yaakov NEEMAN a dit…

... tous ces arguments sont sensés. Et pourtant, démocratie et peine de mort ne sont pas inconciliables. Ou alors les Etats-Unis ne sont pas une démocratie.

Yaakov NEEMAN a dit…

La solution à l'équation "peine de mort : oui ou non" est peut-être de suivre ce conseil d'un responsable sécuritaire (publiée sur i24 hier à 20:05) :
"La peine de mort contre les terroristes doit être appliquée SUR LE TERRAIN et PAS DANS LES TRIBUNAUX, sinon cela jouera contre nos intérêts en offrant une arme politique aux ennemis de l'Etat d'Israël. Cela ne fera qu'attiser les flammes contre nous", selon un autre ancien agent du Shin Bet.

Georges Kabi a dit…

Yaakov, avant-hier, les 3 terroristes qui avaient abattu un israelo-americain, ont ete reperes et encercles. Deux d'entre eux ne voulurent pas se rendre et partagent depuis les 70 vierges du paradis d'Allah. Le troisieme se rendit, preferant la prison ou il pourra decrocher son bac et meme y faire des etudes universitaires.