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lundi 6 mars 2023

Israël en danger de censure culturelle par Francis MORITZ

  

ISRAËL EN DANGER DE CENSURE CULTURELLE


Par Francis MORITZ

 


La coalition fait actuellement feu de tout bois sur le plan législatif. L’inquiétude est croissante dans la communauté culturelle de voir les intentions affichées s’étendre à la création cinématographique, théâtrale, artistique en général. La récente interview du ministre de la Culture et des sports Miki Zohar, hautement ambivalente, fait craindre le pire : «C’est le gouvernement du peuple et il doit soutenir tous les citoyens qu’ils soient ou non en accord avec notre politique». Jusque-là on ne peut qu’être d’accord. La suite, sème le doute sur cette déclaration d’intention. «Le gouvernement ne financera pas des films dont l’objectif est d’offenser le pays ou son armée». Cette déclaration a déjà entrainé les craintes et les critiques des réalisateurs et leurs supporters.


Miki Zohar


Soumission & allégeance au politique

Miki Zohar a déclaré que les réalisateurs qui souhaitent des subventions de l’État devront signer un engagement selon lequel leur réalisation n’est pas anti-israélienne. Il a pointé le fait que des entités qui boycottent l’État juif par ailleurs, s’appuient sur le fait que leur œuvre est produite localement pour justifier de leur création et leur demande de subvention. Le ministre n’a pas été plus précis sur les critères que le Conseil du cinéma israélien appliquera pour déterminer qu’un film sera de nature à être offensant ou anti-israélien. On n’en sait pas plus sur le mode de nomination des censeurs. Vu ce qui est déjà dans les tuyaux sur le plan législatif, on ne s’attendait pas à moins.

En revanche l’inquiétude n’en est que plus grande comme le confirme Isaac Zablocki, directeur de Centre du film israélien. Les subventions accordées sont déterminantes car la majorité des réalisateurs en dépendent. C’est ce qui permet au cinéma israélien d’être aussi performant à l’étranger. Coté ministériel on argumente, il s’agit de fonds du gouvernement, n’est-ce pas à lui de décider qui doit en bénéficier ? Zohar a de plus confirmé que tous les organismes chargés du financement en liaison avec le Conseil du cinéma chargé des subventions, auront également l’obligation de signer un document par lequel ils s’engagent à ne pas produire un contenu (de film) qui fait du tort à Israël, à ses soldats ou son armée. Ce sera la condition du financement. Finalement c’est le public qui décidera d’aller voir ou non un film. Mais nous ne ferons aucun compromis concernant le financement. Nous ne financerons pas des contenus mettant en cause les soldats et l’État. La question du financement par l’État a déjà fait l’objet d’une tentative de main mise par le politique. En 2017 Miri Regev avait voulu revoir les critères d’attribution des subventions. Ce qui a entrainé de très vives tensions avec le monde du cinéma.

Aviva Pauline Garbowit et Isaac Zablocki


Certaines réalisations ont déjà été ciblées. Peu de temps après son entrée en fonction le ministre de la Culture a annoncé : Ce matin, j'ai écrit au nouveau ministre des Finances, Bezalel Smotrich, lui demandant de supprimer rétroactivement les subventions pour un film dirigé contre des soldats de l'armée. À cette époque, cependant, le ministre n’avait pas visionné le film Two kids a Day qui évoque en effet de manière critique la détention et l’internement de quatre mineurs palestiniens. Mais cela ne l'a pas empêché d'accuser l'auteur du film, David Wachsmann, de dépeindre les soldats israéliens comme des «abuseurs d'enfants» et les terroristes palestiniens comme des victimes innocentes - ce qui ne semblait pas en phase avec le film, affirment ceux qui l’ont vu. Dernièrement le ministre s’en est pris à un film controversé qui traite des méthodes de Tsahal dans une zone particulière dans la ville de Hébron. Il menace les auteurs d’annuler rétroactivement la subvention accordée.  Il s'agit du film documentaire H2 The occupation du réalisateur Idit Avrahami et du journaliste d’investigation Noam Sheizaf.  

      Miki Zohar a apparemment été inspiré par une petite mais très active organisation israélienne de droite au nom biblique «BeZalmo» (À son image), dont les membres avaient manifesté contre la projection du film dans la ville israélienne d'Herzlia avec le slogan Non aux terroristes, oui aux militaires.

C’est un exemple. Ces mesures discriminatoires frapperont nécessairement tous ceux qui ne partagent pas les choix politiques du gouvernement. Ce qui les obligera à s’aligner idéologiquement. Le ver est dans le fruit. Il s’agit bien ici de soumettre la création aux choix d’une commission qui aura été nommée par le pouvoir. Faute d’être indépendante, elle sera à la botte du politique. On ne peut rêver pire pour encourager la création artistique, cinématographique notamment. La même problématique se posera ensuite pour la création théâtrale.

Marcus Klingberg, l’espion soviétique démasqué


Les conséquences en Israël

Sans jouer sur le sens des mots, il s’agit bien d’une censure. Si ce projet va à son terme, cet organisme placé sous l’autorité du gouvernement, mettra en place des critères qui lui permettront de contrôler le scénario de chaque film, ses développements. Comme au temps des régimes totalitaires, il faudra l’imprimatur pour obtenir une subvention. Sans vouloir établir de comparaison jugée excessive, mais ce qui reste à vérifier. On se rappellera que le Centre National du Cinéma en France, qui distribue la manne publique (289 films par an en moyenne) est l’héritier direct du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique créé par le gouvernement de Vichy, le 16 août 1940, pour encadrer la production cinématographique.  On peut s’attendre à une réduction drastique de ce qui a fait le succès des films israéliens et l’exil forcé de certains qui ne voudront pas se soumettre à ce passage obligé. A cet égard, notons qu’un certain nombre de réalisateurs sont déjà basés à l’étranger. Berlin est une destination bien connue. On y trouve déjà plusieurs réalisateurs. Ce processus débouchera-t-il aussi sur une censure des films étrangers tels que : Un Pur Espion qui retrace l’itinéraire de Markus Klingberg qui espionna au profit de l’Union Soviétique et fut finalement découvert et incarcéré sous une fausse identité avant d’être libéré 20 ans plus tard. Ce film passe sur France 5 dimanche 26 févier et restera disponible en replay sur France TV.

Les conséquences à l’étranger



D’une façon générale, surtout quand il s’agit de critiques d’Israël, un film interdit (si on parle de censure) aura encore plus d’écho à l’étranger. Cette nouvelle mesure en matière de liberté d’expression et de création culturelle donnera, si besoin était, du grain à moudre à tous les adversaires d’Israël, après les lois en cours d’examen à la Knesset. Elle entrainera un préjugé défavorable contre la future production qui sera accusée d’avoir céder au diktat d’une commission de censure. Certains pourront même ajouter le mot de propagande. Enfin, verra-t-on des films autorisés pour l’étranger et interdits de diffusion en Israël. Ce qui serait un comble et une atteinte faite aux citoyens israéliens qui, à travers le budget de l’État, auraient participé à leur financement mais n’auraient pas la possibilité de les voir. Après le succès mondial de la série Fauda, dont la dernière partie est essentiellement en arabe, assistera-t-on à un Fauda culturel israélien ?  Ce serait un très mauvais coup pour la vie culturelle et plus spécialement pour le cinéma israélien qui a su conquérir ses lettres de noblesse internationales en quelques années.

 

2 commentaires:

Jean Corcos a dit…

Merci pour cet article !

Israël que nous aimons était - et reste, même si nous sentons que cela peut changer - le "jardin au milieu de la jungle", et pas seulement comme démocratie mais pour tout ce qui va avec : la liberté d'étudier, de créer, de partager, d'échanger, et dans tous les domaines : artistiques, littéraires, scientifiques, économiques, etc. Le cinéma israélien a acquis une réputation méritée au plan international, et tout cela risque d'être gâché par des politiciens à la vue étriquée : un beau gâchis.

Georges Kabi a dit…

La "reforme" juridique avait pour but, initialement, de blanchir les politiciens vereux de la droite. C'etait assez dur d'avaler cela, mais au fur et a mesure que la "reforme" se mettait en place, de nouvelles idees aussi perverses les unes que les autres apparurent alimentees par tous les partis politiques et les hroupes de pression de la droite. M.Moriz a voque, tres justement, le probleme de la censure culturelle. Mais il n'a pas note que depuis une bonne dizain d'annees la presse quotidienne en Israel a ete pratiquement supprimee au profit d'un quotidien gratuit finance par un richissime homme d'affaire juif americain(apres sa mort, sa femme a continue l'entreprise). La droite reclamait toujours la transparence des financements de la gauche, elle n'evoquait jamais cette meme transparence pour la droite.
Samedi soir dernier, la manifestation de Tel Aviv a ete trouble par des individus non-identifies entrainant l'arretation de 18 manifestantss completement innocents (un manifestant de la gauche peut-il etre innocent?). Ben Gvir a deja donne l'ordre de disperser par la forc toutes les manifestations de la gauche. La police rechigne, mais les attaques repetes du ministre en question envers le chef e la police montrent bien qu'on va vers la creation d'une police politique qui, probablement, se permettra ap eu pres tout.
Ce ministre n'a-t-il pas evoque l'introduction de la peine de mort? Et on peut forcement penser que cette peine pourrait s'appliquer, non seulement aux meutriers palestiniens, mais aussi aux manifestants politiques.
Bref, Israel, cesse d'etre la seule democratie du Moyen Orient et rejoint les democraties illiberales comme la Hongrie, la Pologne, la Turquie et d'autres pays encore plus intolerants.
Et je n'ai meme pas evoque les revendications ultra-orthodoxes a propos du mouvement LGBT, des Juifs conservateurs et reformes, de la judeite suspecte des Juifs ethiopiens (un Noir peut-il etre juif?), etc, etc...