Les ministres
l’ont annoncé en trois langues pour être certains d’être bien compris. On ne
cédera pas. Les contrats sont les contrats, donc l'UE refuse de payer en
roubles pour le gaz russe, se résignant en fait à déclencher une pénurie large
de conséquences incalculables pour l’ensemble de l’Europe, à commencer par nos
voisins allemands, les plus importants consommateurs.
L'exercice de gestion de crise LÜKEX 2018 dans le Bade-Wurtemberg |
Les conséquences
d'un gel de l'approvisionnement russe seraient dramatiques pour l'industrie
allemande ; elles impacteraient aussi fortement la population. Cela a été
démontré dans le scénario de l'exercice annuel de gestion de crise Lükex, en
2018, avec la participation de nombreuses autorités. Lükex 2018 a testé comment
gérer une pénurie brutale de gaz naturel. Le scénario prévoyait une baisse de
30% des livraisons de gaz vers le sud de l'Allemagne, avec des réservoirs de
stockage de gaz allemands à 32% de leur capacité. En comparaison, les
livraisons de gaz russe représentent environ 50%. Les installations de stockage
sont actuellement à moins de 25% de leur capacité.
Lors du scénario Lükex, en quelques jours, des pénuries ont touché l’industrie en premier lieu, puis le secteur alimentaire – entre autres les boulangeries industrielles, l'élevage et l'industrie laitière. Des fermetures à grande échelle ont rapidement suivi, qui ont également touché les ménages, les hôpitaux, ainsi que les maisons de retraite. Dans les ménages, l'approvisionnement en repas a été «affecté». En raison de la période hivernale, il est devenu nécessaire de commencer à construire des abris adaptés. Même les salles d'urgence des hôpitaux ont dû réduire leur activité. On ne sache pas que la France se soit livrée au même exercice. Quand bien même la France n’est pas dans la même situation que l’Allemagne, les conséquences se feront sentir dans des termes à peine moins graves, solidarité européenne aidant, surtout après deux années de confinement et de restrictions diverses.
Malgré toutes les déclarations
confiantes et parfois martiales, on comprend que ce qui se dit avant une
élection présidentielle peut changer après. On ne sait toujours pas où Berlin
obtiendra suffisamment de gaz liquéfié pour remplacer le gaz russe, et l'UE est
dans la même situation. Le 8 mars, Bruxelles a annoncé qu'au cours de cette
année, les pays membres de l'Union devraient réduire leurs importations de gaz
russe de 155 Gm3 (2021) des deux tiers soit de 101,5 Gm3. Ils devraient
exploiter d'autres sources pour fournir 63,5 milliards de m3, et 38 milliards
de m3 devraient être économisés.
L'Oxford Institute for Energy Studies a examiné ce plan ambitieux, dans une analyse méticuleuse, et a conclu que cela pouvait difficilement être réalisé. Selon l'institut, il est réaliste de supposer que le gazoduc de Norvège, d'Algérie et d'Azerbaïdjan pourrait augmenter la quantité, au total, d'environ 10 milliards de mètres cubes. Cependant, il est difficile d'imaginer qu'il sera possible de remplacer 3,5 Gm3 de gaz naturel avec l'expansion rapide de la production de bio méthane. De plus, on ignore qui est censé fournir les 50 Gm3 de gaz liquéfié que Bruxelles cherche à acheter en complément de ses importations précédentes. On peut s'attendre à une augmentation d'un maximum de 43 milliards de mètres cubes des exportations à l'échelle mondiale. La Chine, les pays d'Asie du Sud-Est et d'autres cherchent également à importer des quantités plus importantes qu'auparavant. L'UE pourra difficilement tout acheter à leur place.
Le plus
intéressant ne fait pas les grands titres des journaux et pourtant on ne peut
qu’être stupéfaits par la réalité qui dépasse la fiction et qui en dit
peut-être beaucoup plus long que toutes les analyses des exégètes et experts de
tous les pays. La Russie continue à fournir du gaz à toute l’Europe, pour
l’instant, malgré les menaces, les sanctions, les déclarations en trois langues.
Mais le plus intéressant c’est ce qui passe dans les gazoducs. Le lecteur
attentif apprendra que le gazoduc Nordstream-1 qui justement traverse l’Ukraine
et qui est le cordon ombilical entre Russie et Europe continue à
fonctionner ; il en résulte que la Russie paye des royalties à l’Ukraine,
partie en dollars et partie en gaz, ce qui lui permet à son tour de se fournir
notamment en matériel militaire, mais la véritable cerise sur le gâteau c’est
que la Russie continue à fournir l’Ukraine en gaz destiné à chauffer 12
millions de foyers contre environ
300.000 qui ne le seraient pas.
A-t-on déjà vu la
même configuration ailleurs ? Deux pays sont en guerre mais continuent
leurs échanges, on dirait ailleurs business as usual. Mais dans le cas présent
c’est inédit. Le président Zelensky accable les Européens de reproches,
s’adresse à chaque parlement national pour exhorter les acheteurs de gaz russe à
cesser leurs achats ; pendant ce temps, le même continue à encaisser des
dividendes du transit vers l’Europe et de continuer à s’armer contre ce même
fournisseur. En d’autres circonstances on penserait qu’il s’agit d’un roman de
fiction. Pas du tout, ici c’est à la fois la fiction qui côtoie l’affliction,
celle qui accable les millions de civils dont la vie est bouleversée ou
détruite.
Au-delà, le
président ukrainien prétend tenir la dragée haute au Tsar du Kremlin qu’on dit
mal informé, parano, malade. Combien de temps le président ukrainien pourra-t-il
et voudra-t-il assumer les destructions massives qui se poursuivent et le
nombre croissant de victimes avant qu’une négociation s’engage avec son
fournisseur et banquier numéro-1 ? Même si le pays témoigne d’une solidarité et d’une
résistance exemplaires, son président en tête, le temps risque de jouer
également contre lui comme on pense qu’il joue contre Vladimir Poutine. Zelensky
avait été élu en annonçant urbi et orbi qu’il serait celui qui conclurait la
paix avec la Russie. Chaque jour qui passe l’éloigne de cet objectif.
Dans le même
temps, le chancelier allemand fraichement élu cherche à ne pas devoir affronter
une pénurie inédite chez lui, pendant que la France doit élire son président
qui voit le capital de voix du candidat-président se contracter à mesure que le
jour J approche, face à l’accumulation de nuages menaçants poussés par des
vents mauvais, qui pourraient peser sur l’issue du premier tour et créer la
surprise. Et puis la question que les pays de l’UE évitent de poser, médias
compris, en souvenir du trop fameux «qui est prêt à mourir pour le couloir
de Danzig» de la deuxième guerre mondiale. Il y a déjà eu 17.000 victimes dans
le Donbass depuis 2014.
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