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lundi 4 avril 2022

Gaz, le grand poker menteur Russie-Ukraine-UE par Francis MORITZ

  

GAZ, LE GRAND POKER MENTEUR RUSSIE-UKRAINE-UE


Par Francis MORITZ

Les ministres l’ont annoncé en trois langues pour être certains d’être bien compris. On ne cédera pas. Les contrats sont les contrats, donc l'UE refuse de payer en roubles pour le gaz russe, se résignant en fait à déclencher une pénurie large de conséquences incalculables pour l’ensemble de l’Europe, à commencer par nos voisins allemands, les plus importants consommateurs.


L'exercice de gestion de crise LÜKEX 2018 dans le Bade-Wurtemberg


Les conséquences d'un gel de l'approvisionnement russe seraient dramatiques pour l'industrie allemande ; elles impacteraient aussi fortement la population. Cela a été démontré dans le scénario de l'exercice annuel de gestion de crise Lükex, en 2018, avec la participation de nombreuses autorités. Lükex 2018 a testé comment gérer une pénurie brutale de gaz naturel. Le scénario prévoyait une baisse de 30% des livraisons de gaz vers le sud de l'Allemagne, avec des réservoirs de stockage de gaz allemands à 32% de leur capacité. En comparaison, les livraisons de gaz russe représentent environ 50%. Les installations de stockage sont actuellement à moins de 25% de leur capacité.

Lors du scénario Lükex, en quelques jours, des pénuries ont touché l’industrie en premier lieu, puis le secteur alimentaire – entre autres les boulangeries industrielles, l'élevage et l'industrie laitière.  Des fermetures à grande échelle ont rapidement suivi, qui ont également touché les ménages, les hôpitaux, ainsi que les maisons de retraite. Dans les ménages, l'approvisionnement en repas a été «affecté». En raison de la période hivernale, il est devenu nécessaire de commencer à construire des abris adaptés. Même les salles d'urgence des hôpitaux ont dû réduire leur activité. On ne sache pas que la France se soit livrée au même exercice. Quand bien même la France n’est pas dans la même situation que l’Allemagne, les conséquences se feront sentir dans des termes à peine moins graves, solidarité européenne aidant, surtout après deux années de confinement et de restrictions diverses.



Malgré toutes les déclarations confiantes et parfois martiales, on comprend que ce qui se dit avant une élection présidentielle peut changer après. On ne sait toujours pas où Berlin obtiendra suffisamment de gaz liquéfié pour remplacer le gaz russe, et l'UE est dans la même situation. Le 8 mars, Bruxelles a annoncé qu'au cours de cette année, les pays membres de l'Union devraient réduire leurs importations de gaz russe de 155 Gm3 (2021) des deux tiers soit de 101,5 Gm3. Ils devraient exploiter d'autres sources pour fournir 63,5 milliards de m3, et 38 milliards de m3 devraient être économisés.

L'Oxford Institute for Energy Studies a examiné ce plan ambitieux, dans une analyse méticuleuse, et a conclu que cela pouvait difficilement être réalisé. Selon l'institut, il est réaliste de supposer que le gazoduc de Norvège, d'Algérie et d'Azerbaïdjan pourrait augmenter la quantité, au total, d'environ 10 milliards de mètres cubes. Cependant, il est difficile d'imaginer qu'il sera possible de remplacer 3,5 Gm3 de gaz naturel avec l'expansion rapide de la production de bio méthane. De plus, on ignore qui est censé fournir les 50 Gm3 de gaz liquéfié que Bruxelles cherche à acheter en complément de ses importations précédentes. On peut s'attendre à une augmentation d'un maximum de 43 milliards de mètres cubes des exportations à l'échelle mondiale. La Chine, les pays d'Asie du Sud-Est et d'autres cherchent également à importer des quantités plus importantes qu'auparavant. L'UE pourra difficilement tout acheter à leur place. 

Le plus intéressant ne fait pas les grands titres des journaux et pourtant on ne peut qu’être stupéfaits par la réalité qui dépasse la fiction et qui en dit peut-être beaucoup plus long que toutes les analyses des exégètes et experts de tous les pays. La Russie continue à fournir du gaz à toute l’Europe, pour l’instant, malgré les menaces, les sanctions, les déclarations en trois langues. Mais le plus intéressant c’est ce qui passe dans les gazoducs. Le lecteur attentif apprendra que le gazoduc Nordstream-1 qui justement traverse l’Ukraine et qui est le cordon ombilical entre Russie et Europe continue à fonctionner ; il en résulte que la Russie paye des royalties à l’Ukraine, partie en dollars et partie en gaz, ce qui lui permet à son tour de se fournir notamment en matériel militaire, mais la véritable cerise sur le gâteau c’est que la Russie continue à fournir l’Ukraine en gaz destiné à chauffer 12 millions de foyers  contre environ 300.000 qui ne le seraient pas.



A-t-on déjà vu la même configuration ailleurs ? Deux pays sont en guerre mais continuent leurs échanges, on dirait ailleurs business as usual. Mais dans le cas présent c’est inédit. Le président Zelensky accable les Européens de reproches, s’adresse à chaque parlement national pour exhorter les acheteurs de gaz russe à cesser leurs achats ; pendant ce temps, le même continue à encaisser des dividendes du transit vers l’Europe et de continuer à s’armer contre ce même fournisseur. En d’autres circonstances on penserait qu’il s’agit d’un roman de fiction. Pas du tout, ici c’est à la fois la fiction qui côtoie l’affliction, celle qui accable les millions de civils dont la vie est bouleversée ou détruite.

Au-delà, le président ukrainien prétend tenir la dragée haute au Tsar du Kremlin qu’on dit mal informé, parano, malade. Combien de temps le président ukrainien pourra-t-il et voudra-t-il assumer les destructions massives qui se poursuivent et le nombre croissant de victimes avant qu’une négociation s’engage avec son fournisseur et banquier numéro-1 ? Même si le pays témoigne d’une solidarité et d’une résistance exemplaires, son président en tête, le temps risque de jouer également contre lui comme on pense qu’il joue contre Vladimir Poutine. Zelensky avait été élu en annonçant urbi et orbi qu’il serait celui qui conclurait la paix avec la Russie. Chaque jour qui passe l’éloigne de cet objectif.

Dans le même temps, le chancelier allemand fraichement élu cherche à ne pas devoir affronter une pénurie inédite chez lui, pendant que la France doit élire son président qui voit le capital de voix du candidat-président se contracter à mesure que le jour J approche, face à l’accumulation de nuages menaçants poussés par des vents mauvais, qui pourraient peser sur l’issue du premier tour et créer la surprise. Et puis la question que les pays de l’UE évitent de poser, médias compris, en souvenir du trop fameux «qui est prêt à mourir pour le couloir de Danzig» de la deuxième guerre mondiale. Il y a déjà eu 17.000 victimes dans le Donbass depuis 2014.  

 

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