LES SÉFARADES EN QUESTION AU LIKOUD
Par Jacques BENILLOUCHE
Miri Regev |
Notre diagnostic sur «la
fracture entre séfarades et travaillistes» avait suscité des réactions très
nuancées de la part de certains de nos lecteurs qui ne pouvaient admettre qu’en
Israël on puisse dire qu'il existe une ségrégation vis-à-vis des Orientaux. Notre
affirmation : «Le Parti travailliste persiste à s'identifier à l'élite
fortunée ashkénaze. Il est loin le temps où Ehud Barak avait demandé pardon aux
Séfarades pour tout ce qu'ils avaient enduré de l'establishment ashkénaze»
avait choqué. Et pourtant il s’agissait d’une affirmation d’une grande
personnalité du pays qui a compté.
Pour Arie Wolff : «Je trouve la description
de la situation sépharade très excessive, et relevant de clichés d'autrefois
aujourd'hui dépassés». Pour Éric Setton : «Il faut arrêter avec
cette soi-disant fracture et perpétuer cette attitude victimaire de certains sépharades».
La députée du Likoud
et ancienne ministre de la Culture, Miri Regev, vient d’abonder dans notre sens
puisqu’elle met les pieds dans le plat. Elle a décidé de se présenter au poste
de premier ministre, non pas pour des raisons politiques mais pour des raisons
communautaires. Son seul programme : «il faut arrêter de voter pour les Blancs» après
avoir fait fort en comparant les Séfarades israéliens aux Afro-américains. Elle estime qu’il
est temps de voter pour une séfarade ayant vécu dans la périphérie. En effet,
elle est née à Kiryat Gat, une ville périphérique du sud, de parents immigrés
du Maroc, Félix et Marcelle Siboni.
Elle a toujours cherché à se faire remarquer à l'instar de sa visite à Cannes où elle s'était affichée avec une robe maculée de photos de Jérusalem. Elle a été volontairement voyante mais elle voulait prouver son style provocateur.
Netanyahou avec deux représentants séfarades Miki Zohar et David Amsellem |
S'adressant au journal Yediot Aharonot, elle avait choisi l'attaque en estimant que «Le moment est venu d'avoir un Premier ministre sépharade. Je pense que la base du Likoud doit voter cette fois pour quelqu'un qui représente sa classe, son appartenance ethnique et son programme. Les Likoudniks séfarades ont voté au fil des ans pour que les Blancs les dirigent». Cette prise de position ne peut plus masquer le malaise existant au sein d’un parti qui n’a prospéré depuis 1977 que grâce à l’arrivée en masse de militants séfarades. Cependant, fidèle parmi les fidèles et inconditionnelle de l’ancien premier-ministre, elle ne prône pas l’élimination politique de Netanyahou : «Nous avons de formidables séfarades de bonne qualité qui peuvent diriger le Likoud plus tard, après Bibi Netanyahou. Je me vois définitivement faire partie de ce leadership, à la tête du Likoud».
Elle n’est pas la seule à briguer la direction du
parti car d’autres pointures ont déjà annoncé leur intention de devenir calife
à la place du calife, en particulier l’ancien maire de Jérusalem Nir Barkat et
les anciens ministres Nir Barkat, Yuli Edelstein, Israel Katz, Avi Dichter et
Tzachi Hanegbi, aucun marocain parmi eux.
Les prétendants au Likoud |
L’éloge de l’ancien président Barack Obama a été l’occasion pour Regev de lancer une pique à destination de l’élite du parti en
comparant les Séfarades aux Afro-américains, qui n’ont fait qu’un «travail
subalterne» sous les ordres des Ashkénazes au fil des ans : «Quand
j'ai vu des films et lu des livres sur les femmes noires qui devaient s'asseoir
à l'arrière et sur l'esclavage des Noirs, ça m'a fait mal, parce que d'où je
viens me fait me soucier de la justice». Sans ménager ses amis dirigeants
du Likoud, elle a aussi accusé Naftali Bennett et Yaïr Lapid d’avoir un «lien
élitiste ashkénaze» avec ceux qui dirigent le pays.
Il n’est pas certain qu’elle sera entendue au sein
de son parti et choisie pour être premier ministre. Elle a donc
prévenu qu’elle constituerait un nouveau parti : «Si les Likoudniks
continuent d'élire des dirigeants à l'ADN blanc, un nouveau Likoud naîtra. Il y
aura un vrai Likoud séfarade qui exprimera la voix séfarade qui s'est tue
depuis des années». Cependant, malgré sa gouaille, elle n’est pas
représentative de l’élite séfarade ; elle en est au contraire la
caricature avec ses interventions publiques grotesques où l'attaque personnelle était son seul argument.
Mais elle ne sera pas la première à quitter un parti
pour en créer un autre pour les mêmes raisons. Les orthodoxes séfarades ont créé en
1984 le Shass, "Séfarades orthodoxes pour la Torah", sans pour autant couper le
cordon ombilical puisque leur mentor fut le Rav Eléazar Shach. Ils ont singé
les Ashkénazes en adoptant leur tenue noire de deuil héritée des Shtetels
polonais et leur chapeau de fourrure alors qu'en Afrique du nord les rabbins portaient des tenues bariolées et des chechias rouges. Mais surtout ils ont placé leurs enfants séfarades
dans le système scolaire ultra-orthodoxe prouvant qu'ils ne croyaient pas dans leur système éducatif. Ils continuent à s’appuyer sur les
grands penseurs ashkénazes. En fait, ils n'ont pas totalement toute leur autonomie.
Rav Eléazar Shach |
Miri Regev devra innover car il ne suffit pas de
crier qu’elle est séfarade pour amener à elle des militants du Likoud. Son
échec sonnera comme une victoire de l’élite ashkénaze qui peut se prévaloir d’avoir
créé de toutes pièces l’État d’Israël et qui n’acceptera pas facilement d’être
reléguée dans les armoires de l’Histoire. Par dépit pour avoir perdu son poste
de ministre, Miri Regev s’expose à faire exploser le Likoud, aujourd’hui dans
la tourmente, et pour lequel elle sera le catalyseur d'une scission. Elle a
choisi le moment où de nombreux militants critiquent ouvertement Netanyahou
pour ne pas s’être retiré pour laisser un des leurs au pouvoir. Mais l’argument choisi par Miri Regev relève
du buzz plutôt que de l’analyse politique.
Certes, il est difficile pour ceux qui ont gouverné
pendant douze années de siéger passifs dans l’opposition. Mais il est légitime de se demander pourquoi Regev n’a pas soulevé la question quand elle
était aux affaires, a fortiori durant ses mandats de ministre. Aujourd’hui sa
démarche est obsolète et peu crédible politiquement. Mais si le problème
séfarade persiste malgré tout, il faudra inventer une autre méthode pour
fusionner toutes les communautés.
Au Likoud, on ne l’entend pas de cette oreille et peu
ont approuvé cette démarche. Nir Barkat est monté au créneau : «C'est
une déclaration de division qui n'a pas sa place dans le mouvement. Nous sommes
un mouvement du peuple et nous avons tout, Dieu merci - laïcs, religieux
traditionnels, juifs et non-juifs. Nous avons toute la diversité et notre
direction est élue en fonction du chemin qu'elle présente et des valeurs
qu'elle apporte de chez elle. Si nous voulons revenir au pouvoir, nous devons
nous unir au sein du Likoud et en dehors de lui».
Miri Regev a toujours voulu figurer dans les premières pages des gazettes mais elle risque aujourd'hui de lasser car elle n'est pas crédible.
2 commentaires:
Il faut lui reconnaitre un sens du ridicule sans faille. La robe qu'elle portait au festival de cannes décorée de la mosquée en Or de Jerusalem et du mur des lamentations ! !
« Si un royaume est divisé contre lui-même,
un tel royaume ne peut subsister. »
Marc III, 24
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