Le président turc avec le président IBK malien avant son renversement |
Signature de plusieurs accords entre le Niger et la Turquie par les ministres des A.E. à Niamey |
C’est
ce qu’on appelle le soft power opposé au hard power, celui des armes. Ce sont
deux des facettes du nouveau calife d’Ankara. Il se pose comme protecteur des Palestiniens,
soutien du boucher de Damas, il élimine les Kurdes, intervient directement dans
le conflit libyen, est aux côtés de l’Azerbaïdjan au nom de la solidarité
identitaire musulmane contre la petite Arménie chrétienne. On n’oublie pas la mise
en service du Turk Stream en janvier 2020 par les deux partenaires que sont Vladimir
Poutine et Tayyip Erdogan, par ailleurs partenaires dans les accords d’Astana sur
la Syrie avec l’Iran. On n’oublie pas non plus l’accueil chaleureux réservé au
premier responsable du Hamas Ismaël Haniyeh.
Au Mali Moktar Ouane premier ministre avant son renversement par la junte corrige diplomatiquement le ministre le Driant au sujet des djihadistes |
Il
s’intéresse désormais au Sahel. Ce qui inquiète à juste titre la France, qui
sous couvert de changement stratégique, opère son retrait programmé du Mali,
laissant officiellement l’initiative aux Africains dont on connait les limites.
Ce départ, que d’autres qualifient d’échec, provoque une accélération de la pénétration
djihadiste en Afrique. On se rappelle que Boko Haram est présent au Nigeria et au
nord du Cameroun, depuis des années sans être éradiqué. À cet égard, l’Afrique
de l’Ouest avec ses ports est considérée comme le ventre mou par lequel
transite la drogue vers l’Europe. L’intervention française a été un coup de
pied dans la fourmilière du trafic dans tout le Sahel ce qui a entraîné sa réorganisation.
On
sait que les groupes djihadistes en mal de financements se sont également
investis dans la source très lucrative du trafic. De plus la diversité des organisations
a exacerbé la concurrence. Ce qui se traduit par une augmentation non seulement
des attaques contre les forces militaires étrangères, mais aussi par des luttes
de territoire, dont pâtissent les populations les plus démunies. Le nombre
croissant de victimes témoigne de cette aggravation que les autorités des États
concernés et les pays occidentaux ont tendance à minimiser pour masquer la
gravité de la situation.
Le ministre turc des affaire étrangères rencontre le représentant de l’ONU au Mali |
L’expansion
turque et ses investissements ne sont en rien comparables à ceux de l’UE, pour
autant ce qui n’était que civil, humanitaire ou commercial évolue progressivement
vers des projets de nature militaire. On passe graduellement du soft power au
hard power. En juillet 2020 la Turquie et le Niger ont signé un pacte de
défense (le texte reste confidentiel) qui jette les bases d’une présence
opérationnelle directe d’Ankara. Pour mémoire, c’est à peine un an après
l’annonce par la France de son plan de fermeture de sa base au nord, proche de
la frontière libyenne où la Turquie est partie au conflit avec ses miliciens. Avec
le Niger, il est prévu l’envoi de militaires turcs pour sécuriser les frontières
et pourquoi pas au-delà ?
La
Turquie dispose déjà d’une base militaire en Somalie. Pendant que la France adoubait
le successeur d’Idriss Deby au Tchad après son coup d’État et refusait celui
des militaires au Mali, le ministre turc des affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu
était le premier officiel de haut rang à rencontrer la junte. Diverses sources indiquent
qu’Ankara aurait financé et armé certains groupes djihadistes. Ce qui pourrait
expliquer, en partie, la recrudescence des attaques.
Mevlüt Çavuşoğlu Ministre turc des affaires étrangères |
Les
Sahéliens ont accueilli la Turquie comme un acteur majeur international avec
lequel ils ont de nombreuses affinités. L’islam est leur lien commun. À leurs
yeux, la France et l’UE sont arrogantes et développent une politique anti
islamique et migratoire anti africaine, ce qui les rend très disposés à
conclure d’autres alliances hors la France et l’UE. Celui conclu avec le Niger
a valeur d’exemple. Niamey y voit la perspective d’une coopération qui
permettra l’intensification des opérations de renseignement et le renforcement
de ses capacités sécuritaires.
Pour
l’instant, cette expansion au Sahel n’a pas une ampleur suffisante pour bouleverser
les cartes. Cependant elle commence à inquiéter les chancelleries. Car si la
Turquie n’a pas tous les moyens d’une grande puissance, elle a largement
démontré ses capacités à nuire, déstabiliser dans les divers conflits dans lesquels
elle est impliquée. Le principal danger de cette offensive turque tous azimuts
est de pousser d’autres États du Golfe, notamment les Émirats, à intervenir. On
assiste par ailleurs à un rapprochement récent entre la Turquie, l’Égypte et
certaines monarchies du Golfe jusque-là en conflit. Ce qui démontre la capacité
d’Ankara-caméléon à rompre ses relations pour ensuite tenter de les reprendre.
En 2017 le chef d’etat major turc inaugure La base de Mogadiscio |
La timide tentative de reprise des contacts avec Israël est un autre exemple. Cette même compétition a eu pour résultat de déstabiliser l’Afrique du Nord et la Corne de l’Afrique. Dans le même temps, Ankara semble vouloir s’aligner sur les options occidentales dans le Sahel, de nature multilatérale plutôt que bilatérale. Les Occidentaux doivent réfléchir à inclure ou exclure la Turquie dans ces démarches pour éviter de voir ce pays poursuivre la conclusion d’accords bilatéraux qui ne pourront que compliquer la situation. Dans ces deux hypothèses, on voit bien la conjonction d’intérêts de ces trois menaces que sont le développement en Afrique d’un panislamisme militaro-politique, l’avènement d’une nouvelle forme de califat djihadiste dans les régions les plus déshéritées, qui comblera le vide laissé par les États sahéliens et leurs mentors européens qui ont failli à prendre leurs responsabilités et à reconnaître la vrai nature des problèmes et le développement d’une présence mortifère du narco trafic, à l’exemple de la Colombie ou du Mexique.
Il
reste à l’UE et plus spécialement à la prochaine présidence française de
proposer une politique européenne à vocation économique, humanitaire et sociale
qui s’attaquera aux vrais difficultés chroniques de ces populations et pas
uniquement à projeter des forces militaires qui ne finissent pas de s’enliser
dans les sables.
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