Au dernier recensement effectué par les Espagnols à la veille de
leur départ, en 1976, le Sahara occidental comptait 73.500 habitants. Un quart
de siècle après, on estimait à plus de 150.000 les Sahraouis qui avaient dû
fuir leur patrie. Aujourd’hui, selon les sources, on en évalue le nombre global
à au moins 650.000. Si l’on ne croit pas en la génération spontanée, comment en
est-on arrivé là ? Simplement parce que l’Algérie, d’une part refuse
obstinément de compter les «réfugiés» hébergés dans les camps de
Tindouf, d’autre part veut faire prendre en compte tous ceux qui habitent le
Sud du Maroc, voire la Mauritanie septentrionale. Ce faisant, elle peut ainsi
accueillir sous ce «vocable» une partie de sa propre population nomade
et la nourrir à bon compte sur l’aide internationale, ce qui contribue à en
attirer toujours davantage.
Alexandre Ribot |
Seul un recensement général sous contrôle indépendant permettra de
connaître l’origine géographique, voire tribale, des populations et ainsi, de
fixer les bases d’une réelle négociation. Pour sa part, Alger s’y est toujours
refusé. Il est vrai que le premier président de la «République arabe
sahraouie démocratique» récemment décédé venait de Marrakech. Il ne parlait
d’ailleurs pas l’espagnol, comme me l’avait dit Javier Perez de Cuellar,
secrétaire général des Nations Unies. Son successeur ne semble pas davantage
envisager un tel dénombrement.
Sans remonter à l’expédition de Djouder Pacha, renégat espagnol
passé au service du chérif marocain, qui lui permit de s’emparer de Tombouctou en
1591 ou encore à l’expédition de René Caillié en 1828, il est évident que toute
cette partie du Sahara occidental a été plusieurs siècles durant, sinon sous
souveraineté, à tout le moins sous une forte autorité du Maroc.
Plus près de nous, le sultan voyait un acte d’hostilité dans
l’occupation en 1891 de l’oasis d’El Goléa par nos troupes. Le 26 octobre, Alexandre
Ribot, ministre français des Affaires étrangères, déclarait à la tribune de la
Chambre : «Je puis dire […] que le gouvernement français n’a pas hésité
à signifier au Maroc, de la façon la plus claire et la plus catégorique, qu’il
ne tolèrerait de sa part aucun acte de souveraineté sur ces territoires qui
rentrent dans la zone naturelle de l’influence française».
Touriste au Sud marocain à l’été 1952, la prudence me fut
recommandée lorsque je me rendis à Taouz : «Attention, au-delà c’est la
France». Nommé sous-préfet d’In Salah au lendemain du putsch d’avril 1961,
j’ai eu la surprise de découvrir que les Cheurfa [1], importante fraction d’Aoulef, faisait toujours
allégeance au roi du Maroc, commandeur des croyants. Cette oasis se trouve à
700 kilomètres à l’est de Tindouf, confirmation s’il en était besoin que,
jusqu’à sa conquête par les troupes françaises, toute cette région était sous
influence marocaine.
Il est donc paradoxal de voir que sur ce dossier les Algériens
s’efforcent depuis 40 ans de tirer avantage de la colonisation française,
puisqu’il n’y avait jusqu’en 1962 aucun État indépendant portant le nom de ce
peuple que Ferhat Abbas avait en vain cherché dans les cimetières de la côte, a
fortiori au-delà des montagnes de l’Atlas saharien. L’Algérie n’est donc pas la
mieux placée pour s’ériger en défenseure impartiale du Sahara dit occidental.
Retour ironique de l’histoire, ce qu’elle recherche en réalité est
l’établissement sur ce territoire d’un protectorat qui lui assure un accès à
l’Océan atlantique et un subordonné docile contre son voisin Marocain.
[1] Au singulier, chérif, descendant de Mahomet, à rapprocher de chérifien,
qualificatif appliqué au roi du Maroc.
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