LES ÉLECTIONS RÉVEILLENT LE SCHISME ASHKÉNAZES-SÉFARADES
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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Juif d'Alger de 1890 |
Il semble qu’à l’occasion des
nouvelles élections de 2015, on cherche à reproduire la fracture entre
séfarades et ashkénazes qu’on croyait définitivement refermée. Et pourtant cette
dichotomie n’existe plus, depuis longtemps, en Diaspora où les mixages des couples ont permis le réveil du sentiment juif dans des régions où
le judaïsme s’était assoupi sous les coups de butoir de l’assimilation, ou au
mieux de l’intégration. Mais cette maladie chronique ne semble pas vouloir se
guérir en Israël où persiste une volonté de distinguer ces communautés avec un
désir masqué de fustiger la plus faible, parce que la plus défavorisée. Le démon ethnique est à nouveau sorti de la fiole
du magicien pour rouvrir les vieilles blessures.
Establishment ashkénaze
Le marocain David Levy ministre de Begin |
Menahem
Begin avait sorti les Marocains de l’ombre en leur donnant la place qu’ils
méritaient au sein des institutions
politiques du pays et, grâce à cela, il a gagné les élections après trente
années de gouvernance travailliste. Aujourd’hui l’establishment ashkénaze
semble à nouveau avoir peur de l’élite séfarade qui investit en masse les
secteurs politique et économique du pays. Cette peur pousse certains Séfarades à se cacher et à prendre des patronymes ashkénazes pour obtenir l’inscription de leurs enfants
dans les séminaires religieux où l’élite rabbinique est formée.
Général Ori Orr |
On
se souvient que tout récemment, en 2010, un membre de la commission de la défense, ancien haut gradé
de l’armée, Ori Orr, avait créé un malaise en déclarant que : «la
communauté juive marocaine est la plus problématique. Je suis triste parce
qu'il n'y a pas, au sein de ces couches-là, la curiosité de connaître leur
environnement. Quand je leur parle, je
remarque leur manque d'intérêt à m'écouter, à connaître la vie pour savoir ce
qui est bon ou mauvais. C'est inquiétant parce que cela ne les concerne pas
seulement mais aussi toute la société israélienne».
Il n’avait pas innové en la matière puisque l’exemple lui était venu d’en
haut, du premier ministre David ben Gourion qui avait une conception très
spéciale du judaïsme nord-africain. Reçu par lui dans le cadre d’une délégation étudiante officielle venue de France, il s’était étonné de voir en face de lui un jeune universitaire
juif d’une contrée africaine. C’était à se demander s’il ne croyait pas au fond
de lui-même que les Juifs nord-africains vivaient encore dans des tentes et se
déplaçaient en chameaux. Il avait d'ailleurs eu des mots très durs à l’époque : «Au
cours des siècles derniers, les Juifs natifs des pays musulmans ont joué un
rôle passif dans l'histoire de la nation». Il regrettait en fait de devoir
se contenter à l’époque d'une immigration qu'il ne souhaitait pas, de mauvaise
qualité, celle des Juifs venus des pays arabes, et en particulier du Maroc.
Manifestation de Panthères noires |
L’émergence du mouvement des Panthères noires, mal conseillé et dirigé parfois
par des délinquants, n’a pas permis aux Séfarades de percer parce qu’ils ont
été assimilés à de la racaille. Mais ce mouvement a convaincu les dirigeants
israéliens de reconnaître la réalité irrécusable de la discrimination que
subissaient des centaines de milliers d’Israéliens d'origine séfarade.
Élite ashkénaze
Certains
partis s’identifient encore à l'élite ashkénaze sans se rendre compte des
risques politiques qu’ils prennent. Menahem Begin avait été le seul à
comprendre qu’il fallait parler avec réalisme de la réalité du vécu des
séfarades qui ont d’abord connu les difficultés des camps de transit puis l’humiliation
d’une vie de défavorisés. Les organisations politiques semblent avoir peur de
faire évoluer la condition séfarade et se cantonnent dans leur pêché historique
de rester des partis élitistes pour gens du Nord ou de l’Est. Les Orientaux
sont oubliés dans les livres d’Histoire parce qu’on cherche à donner
l’impression qu’Israël n’a été construit que par des Ashkénazes.
Denis Charbit |
Le
professeur Denis Charbit, d’origine algérienne, avait posé clairement le
problème : «Le débat entre ashkénazes et séfarades est paralysé. C'est
un abcès qu'on n'a pas envie d'ouvrir, contrairement aux conflits
laïcs-religieux, Israéliens et Palestiniens. On s'interdit de se renvoyer des
arguments polémiques qui permettraient de vider son sac. On n'a pas reconnu que
les séfarades, arrivés plus tardivement, ont été eux aussi des pionniers,
notamment dans les villes de développement. Un rôle essentiel, même s'il est
moins héroïque que le rôle de ceux qui ont porté les armes. C'est un problème
de mémoire collective. Les ashkénazes sont encore identifiés par les séfarades
comme ceux qui, dans les années 50-60, les ont mal intégrés».
En fait certains dirigeants
politiques ashkénazes ont tout
simplement peur de perdre le pouvoir devant la montée irréversible d’une
classe, jadis défavorisée, qui a reçu en renfort des cadres et des
universitaires venus de France, en grande majorité séfarade.
Transfuges
séfarades
À voir les manœuvres
pré-électorales dans les États-majors politiques, on peut se demander si nous
ne sommes pas retournés aux heures noires de la discrimination orientale. Le
cas n’est pas unique et se pose pour plus d’un candidat. Il n'existe pas de hasard en politique. Le parallèle avec la
situation d’hier est facile lorsque l’on constate que des militants séfarades
diplômés, ayant une expérience de la gestion des affaires, sont
systématiquement écartés des listes de candidats ou placés, par alibi, à un
rang qui ne leur laisse aucune chance d’être élu.
C’est le cas du docteur Emmanuel
Navon, d’origine marocaine, professeur à l’université de Tel Aviv et au Centre
interdisciplinaire d’Herzliya et militant
de longue date du Likoud, qui a toujours été relégué à la 40ème
place alors que les places éligibles réservées aux immigrants sont
systématiquement offertes aux représentants russes.
Yoni Chetboun |
Le parti HaBayit Hayehudi a
laissé partir le député Yoni Chetboun, d’origine tunisienne, qui n’avait aucune chance d’être réélu en
2015 en raison d’une décision du leader de la formation Naftali Bennett de le
placer au bas de sa liste. Il devait certainement lui faire trop d’ombre. En
effet, contrairement à certains caciques du parti, il avait été très actif
auprès des nouveaux immigrants francophones qui l’ont suivi alors que certains
ne partageaient pas son idéologie. Ils avaient besoin d’un leader et il était
tout indiqué pour faire la fusion dans une communauté individualiste.
Le cas de Moshé Kahlon est
similaire. Ancien bras droit de Netanyahou, il a fait face à tellement de
blocages au Likoud qu’il a préféré le quitter pour tenter ses chances vers de
nouveaux horizons. Ses origines libyennes lui collaient à la peau et son souhait
d’améliorer le sort des classes défavorisées avait été perçu comme un appel à
la révolution contre le système établi.
Amir Peretz et ses jumelles |
On se souvient aussi du tollé qui avait accompagné la nomination d’Amir
Peretz à la défense et des quolibets lors de sa prise de fonction. Et pourtant
on lui doit la décision, contestée alors, de construire le Dôme de fer qui
a sauvé plus d’une vie durant la dernière guerre de Gaza. On n’avait pas crié à
la discrimination à l’époque car son cas semblait unique. Est-ce un hasard si
tous les transfuges des partis sont séfarades ? Au parti travailliste Amir Peretz avait déjà été bloqué à la seconde
place car les militants avaient préféré donner la direction du parti à Shelly
Yacimovitch qui a d’ailleurs mené le parti à l’atonie puis à la déroute.
Shelly Yacimovitch |
La vieille garde ashkénaze semble veiller au
grain et il n’est pas question pour elle de partager le pouvoir avec ceux qui
risquent d’être à terme majoritaires dans le pays, s’ils ne le sont pas déjà.
Seule l’armée est à l’abri de ces calculs politiques car elle n’accorde les
promotions qu’aux meilleurs, sans distinction d’origine. Il en est ainsi de la
nomination du nouveau chef d’État-major, Gadi Eizenkot, qui n’a jamais caché ses
origines marocaines.
Gadi Eizenkot |
Les francophones seront les grands perdants de ce schisme alors qu’ils
arrivent en masse pour donner un essor à l’immigration européenne. Mais ils font peur car
ils ont été élevés au biberon de la démocratie française, pluraliste, qui
permet l’élévation au mérite, sans discrimination. Alors ils sont déroutés par le
système clanique israélien, souvent violent, qui laisse sur son chemin des
cadavres politiques.
3 commentaires:
Sur l article: revons un peu au sujet de la promotion sepharade elle viendra peut etre effectivement des francophones qui sont vus comme des francais plus que comme des "mizrahi" en Israel. A l instar d Obama qui n est pas d origine afro americaine
vous oubliez golda meir qui croyaient qu'on vivait dans des cavernes et nous méprisait allegrement
Quand les Sépharades sont arrivés en masse en France, à l’époque de l’indépendance donnée aux pays du Maghreb, ils ont trouvé une communauté ashkénaze grandement majoritaire. Ces Juifs avaient tendance à dire (c’est une boutade...): “Il pleut” quand on leur crachait dessus... Les Juifs du Maghreb ont alors apporté avec eux la fierté d’appartenir à un grand peuple et ont réanimé la flamme du judaïsme religieux, sans laquelle la communauté ashkénaze aurait fini par disparaitre petit à petit... Aujourd’hui, les Juifs de France, en majorité Sépharades, nous rejoignent de nouveau en masse en Israël, et nous leur souhaitons d’y trouver rapidement le bonheur et la place qui leur revient!
Roger Goldstein
que ses amis séfarades à l’époque avaient surnommé: l’Ashkénaze le plus tunisien de Paris...
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