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mercredi 17 décembre 2014

LES ÉLECTIONS RÉVEILLENT LE SCHISME ASHKÉNAZES-SÉFARADES



LES ÉLECTIONS RÉVEILLENT LE SCHISME ASHKÉNAZES-SÉFARADES

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

            

Juif d'Alger de 1890
          Il semble qu’à l’occasion des nouvelles élections de 2015, on cherche à reproduire la fracture entre séfarades et ashkénazes qu’on croyait définitivement refermée. Et pourtant cette dichotomie n’existe plus, depuis longtemps, en Diaspora où les mixages des couples ont permis le réveil du sentiment juif dans des régions où le judaïsme s’était assoupi sous les coups de butoir de l’assimilation, ou au mieux de l’intégration. Mais cette maladie chronique ne semble pas vouloir se guérir en Israël où persiste une volonté de distinguer ces communautés avec un désir masqué de fustiger la plus faible, parce que la plus défavorisée.  Le démon ethnique est à nouveau sorti de la fiole du magicien pour rouvrir les vieilles blessures.



Establishment ashkénaze

Le marocain David Levy ministre de Begin

            Menahem Begin avait sorti les Marocains de l’ombre en leur donnant la place qu’ils méritaient  au sein des institutions politiques du pays et, grâce à cela, il a gagné les élections après trente années de gouvernance travailliste. Aujourd’hui l’establishment ashkénaze semble à nouveau avoir peur de l’élite séfarade qui investit en masse les secteurs politique et économique du pays. Cette peur pousse certains Séfarades à se cacher et à prendre des patronymes ashkénazes pour obtenir l’inscription de leurs enfants dans les séminaires religieux où l’élite rabbinique est formée.  
Général Ori Orr

            On se souvient que tout récemment, en 2010, un membre de la commission de la défense, ancien haut gradé de l’armée, Ori Orr, avait créé un malaise en déclarant que : «la communauté juive marocaine est la plus problématique. Je suis triste parce qu'il n'y a pas, au sein de ces couches-là, la curiosité de connaître leur environnement.  Quand je leur parle, je remarque leur manque d'intérêt à m'écouter, à connaître la vie pour savoir ce qui est bon ou mauvais. C'est inquiétant parce que cela ne les concerne pas seulement mais aussi toute la société israélienne».

Il n’avait pas innové en la matière puisque l’exemple lui était venu d’en haut, du premier ministre David ben Gourion qui avait une conception très spéciale du judaïsme nord-africain. Reçu par lui dans le cadre d’une délégation étudiante officielle venue de France, il s’était étonné de voir en face de lui un jeune universitaire juif d’une contrée africaine. C’était à se demander s’il ne croyait pas au fond de lui-même que les Juifs nord-africains vivaient encore dans des tentes et se déplaçaient en chameaux. Il avait d'ailleurs eu des mots très durs à l’époque : «Au cours des siècles derniers, les Juifs natifs des pays musulmans ont joué un rôle passif dans l'histoire de la nation». Il regrettait en fait de devoir se contenter à l’époque d'une immigration qu'il ne souhaitait pas, de mauvaise qualité, celle des Juifs venus des pays arabes, et en particulier du Maroc. 
Manifestation de Panthères noires

L’émergence du mouvement des Panthères noires, mal conseillé et dirigé parfois par des délinquants, n’a pas permis aux Séfarades de percer parce qu’ils ont été assimilés à de la racaille. Mais ce mouvement a convaincu les dirigeants israéliens de reconnaître la réalité irrécusable de la discrimination que subissaient des centaines de milliers d’Israéliens d'origine séfarade.

Élite ashkénaze

            Certains partis s’identifient encore à l'élite ashkénaze sans se rendre compte des risques politiques qu’ils prennent. Menahem Begin avait été le seul à comprendre qu’il fallait parler avec réalisme de la réalité du vécu des séfarades qui ont d’abord connu les difficultés des camps de transit puis l’humiliation d’une vie de défavorisés. Les organisations politiques semblent avoir peur de faire évoluer la condition séfarade et se cantonnent dans leur pêché historique de rester des partis élitistes pour gens du Nord ou de l’Est. Les Orientaux sont oubliés dans les livres d’Histoire parce qu’on cherche à donner l’impression qu’Israël n’a été construit que par des Ashkénazes.
Denis Charbit

            Le professeur Denis Charbit, d’origine algérienne, avait posé clairement le problème : «Le débat entre ashkénazes et séfarades est paralysé. C'est un abcès qu'on n'a pas envie d'ouvrir, contrairement aux conflits laïcs-religieux, Israéliens et Palestiniens. On s'interdit de se renvoyer des arguments polémiques qui permettraient de vider son sac. On n'a pas reconnu que les séfarades, arrivés plus tardivement, ont été eux aussi des pionniers, notamment dans les villes de développement. Un rôle essentiel, même s'il est moins héroïque que le rôle de ceux qui ont porté les armes. C'est un problème de mémoire collective. Les ashkénazes sont encore identifiés par les séfarades comme ceux qui, dans les années 50-60, les ont mal intégrés».
En fait certains dirigeants politiques ashkénazes  ont tout simplement peur de perdre le pouvoir devant la montée irréversible d’une classe, jadis défavorisée, qui a reçu en renfort des cadres et des universitaires venus de France, en grande majorité séfarade.

Transfuges séfarades

À voir les manœuvres pré-électorales dans les États-majors politiques, on peut se demander si nous ne sommes pas retournés aux heures noires de la discrimination orientale. Le cas n’est pas unique et se pose pour plus d’un candidat. Il n'existe pas de hasard en politique. Le parallèle avec la situation d’hier est facile lorsque l’on constate que des militants séfarades diplômés, ayant une expérience de la gestion des affaires, sont systématiquement écartés des listes de candidats ou placés, par alibi, à un rang qui ne leur laisse aucune chance d’être élu.
C’est le cas du docteur Emmanuel Navon, d’origine marocaine, professeur à l’université de Tel Aviv et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya et  militant de longue date du Likoud, qui a toujours été relégué à la 40ème place alors que les places éligibles réservées aux immigrants sont systématiquement offertes aux représentants russes.
Yoni Chetboun

Le parti HaBayit Hayehudi a laissé partir le député Yoni Chetboun, d’origine tunisienne,  qui n’avait aucune chance d’être réélu en 2015 en raison d’une décision du leader de la formation Naftali Bennett de le placer au bas de sa liste. Il devait certainement lui faire trop d’ombre. En effet, contrairement à certains caciques du parti, il avait été très actif auprès des nouveaux immigrants francophones qui l’ont suivi alors que certains ne partageaient pas son idéologie. Ils avaient besoin d’un leader et il était tout indiqué pour faire la fusion dans une communauté individualiste.
Le cas de Moshé Kahlon est similaire. Ancien bras droit de Netanyahou, il a fait face à tellement de blocages au Likoud qu’il a préféré le quitter pour tenter ses chances vers de nouveaux horizons. Ses origines libyennes lui collaient à la peau et son souhait d’améliorer le sort des classes défavorisées avait été perçu comme un appel à la révolution contre le système établi.
Amir Peretz et ses jumelles

  On se souvient aussi du tollé qui avait accompagné la nomination d’Amir Peretz à la défense et des quolibets lors de sa prise de fonction. Et pourtant on lui doit la décision, contestée alors, de construire le Dôme de fer qui a sauvé plus d’une vie durant la dernière guerre de Gaza. On n’avait pas crié à la discrimination à l’époque car son cas semblait unique. Est-ce un hasard si tous les transfuges des partis sont séfarades ? Au parti travailliste  Amir Peretz avait déjà été bloqué à la seconde place car les militants avaient préféré donner la direction du parti à Shelly Yacimovitch qui a d’ailleurs mené le parti à l’atonie puis à la déroute.
Shelly Yacimovitch

 La vieille garde ashkénaze semble veiller au grain et il n’est pas question pour elle de partager le pouvoir avec ceux qui risquent d’être à terme majoritaires dans le pays, s’ils ne le sont pas déjà. Seule l’armée est à l’abri de ces calculs politiques car elle n’accorde les promotions qu’aux meilleurs, sans distinction d’origine. Il en est ainsi de la nomination du nouveau chef d’État-major, Gadi Eizenkot, qui n’a jamais caché ses origines marocaines.
Gadi Eizenkot


Les francophones seront les grands perdants de ce schisme alors qu’ils arrivent en masse pour donner un essor à l’immigration européenne. Mais ils font peur car ils ont été élevés au biberon de la démocratie française, pluraliste, qui permet l’élévation au mérite, sans discrimination. Alors ils sont déroutés par le système clanique israélien, souvent violent, qui laisse sur son chemin des cadavres politiques.  

3 commentaires:

  1. Johann Giovanni HABIB15 décembre 2014 à 21:07

    Sur l article: revons un peu au sujet de la promotion sepharade elle viendra peut etre effectivement des francophones qui sont vus comme des francais plus que comme des "mizrahi" en Israel. A l instar d Obama qui n est pas d origine afro americaine

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  2. vous oubliez golda meir qui croyaient qu'on vivait dans des cavernes et nous méprisait allegrement

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  3. Quand les Sépharades sont arrivés en masse en France, à l’époque de l’indépendance donnée aux pays du Maghreb, ils ont trouvé une communauté ashkénaze grandement majoritaire. Ces Juifs avaient tendance à dire (c’est une boutade...): “Il pleut” quand on leur crachait dessus... Les Juifs du Maghreb ont alors apporté avec eux la fierté d’appartenir à un grand peuple et ont réanimé la flamme du judaïsme religieux, sans laquelle la communauté ashkénaze aurait fini par disparaitre petit à petit... Aujourd’hui, les Juifs de France, en majorité Sépharades, nous rejoignent de nouveau en masse en Israël, et nous leur souhaitons d’y trouver rapidement le bonheur et la place qui leur revient!
    Roger Goldstein
    que ses amis séfarades à l’époque avaient surnommé: l’Ashkénaze le plus tunisien de Paris...

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